Nouveau rapport au travail, bien-être en entreprise, productivité... Pourquoi la semaine de quatre jours gagne du terrain en Europe
La Belgique et l'Espagne ont adopté des dispositifs en faveur de cette nouvelle organisation du travail. En France, une poignée d'entreprises ont franchi le pas.
Il n'envisage plus de travailler autrement. Depuis janvier 2021, Abdénour Ainséba, le patron de l'entreprise lyonnaise IT Partner, spécialisée dans les de services numériques, a adopté la semaine de quatre jours. La majorité de ses 80 salariés est passée d'une semaine de 35 à 32 heures sans perte de salaire. En plus du traditionnel week-end, ils bénéficient d'un jour de repos hebdomadaire.
En contrepartie, les journées de travail ont été rallongées d'une demi-heure, et s'étalent désormais sur 8 heures. "Ça ne change pas l'amplitude horaire pour autant, la pause déjeuner a simplement été réduite", assure le dirigeant. L'idée de cette nouvelle organisation a jailli "durant le premier confinement".
"La crise du Covid a fait émerger un véritable sujet sur la place du travail et la nécessité de trouver un nouvel équilibre entre vie professionnelle et personnelle."
Abdénour Ainséba, dirigeant de l'entreprise IT Partnerà franceinfo
La crise sanitaire et la réorganisation du travail qu'elle a imposée ont "fait naître l'envie chez des salariés, qui étaient habitués à une semaine de cinq jours en présentiel dans des bureaux, de mieux gérer leur présence et le nombre de jours passés au travail", abonde Marie-Rachel Jacob, professeure de management stratégique des ressources humaines à l'emlyon business school. Ainsi, 64% des salariés français, tous secteurs confondus, "souhaiteraient bénéficier d'une plus grande flexibilité dans l'organisation de leurs horaires de travail, avec la possibilité de les condenser sur une semaine de quatre jours", selon une étude d'ADP, cabinet spécialisé en ressources humaines, publiée en mai. Un chiffre en progression de 4 points par rapport à 2019.
Des initiatives en Espagne et en Belgique
Si seulement 5% des entreprises françaises ont franchi le pas, selon le cabinet, la semaine de quatre jours se déploie à plus grande échelle chez certains de nos voisins européens. En Espagne, le gouvernement a lancé une expérimentation dans 200 PME volontaires visant à réduire le temps de travail à 32 heures par semaine, réparties sur quatre jours, sans baisse de salaire. Le Parlement belge a, de son côté, voté à la fin septembre la possibilité pour les salariés d'effectuer leur temps plein sur quatre jours au lieu de cinq. Mais sans toutefois réduire le temps de travail, qui oscille entre 38 et 40 heures. Un moyen, selon le Premier ministre belge, d'offrir aux employés "plus de liberté et de flexibilité pour mieux concilier vie privée et vie professionnelle".
Ces décisions politiques s'inspirent en partie des retours positifs de vastes expériences conduites ces dernières années. En Islande, environ 2 500 travailleurs, soit plus d'1% de la main d'œuvre, ont vu leur temps de travail réduit à quatre jours. Cette semaine raccourcie, de 35 ou 36 heures au lieu de 40 heures, a été testée pendant quatre ans, de 2015 à 2019, dans plusieurs services publics (guichets administratifs, garderies, etc.). Les entretiens conduits auprès des participants "mettent en lumière une nette amélioration de l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée", selon les résultats de l'étude* (PDF). Ils disent avoir plus de temps pour leurs loisirs, faire du sport, s'occuper de leurs enfants ou effectuer les tâches ménagères.
Des effets positifs sur le stress et des arrêts maladie en baisse
Plus récemment, une expérimentation lancée en juin auprès de 3 300 Britanniques dans plus de 70 entreprises, a également confirmé une meilleure articulation entre le travail et la vie personnelle. Selon un sondage réalisé à mi-parcours, au bout de trois mois, auquel plus de la moitié des entreprises concernées ont répondu, 86% se disaient prêtes à maintenir cette organisation à l'issue de la période d'essai, détaille la BBC*.
De son côté, l'étude islandaise pointe aussi des bénéfices en matière de bien-être au travail et souligne "une réduction des symptômes liés au stress" parmi les salariés participant à l'essai, par rapport à ceux dont le temps de travail est resté inchangé. Chez IT Partner, Abdénour Ainséba a, lui, observé une baisse des arrêts maladie. Même constat chez LDLC, entreprise de matériel informatique passée en janvier 2021 à cette organisation. "Ils ont réduit l'absentéisme et les arrêts maladie, surtout dans les entrepôts où les métiers sont physiques", décrypte Marie-Rachel Jacob, qui suit de près l'expérience de cette autre société lyonnaise.
"Les travailleurs sont plus reposés, donc ils sont plus vigilants dans la sécurité, et il y a moins d'accidents du travail."
Marie-Rachel Jacob, professeure en managementà franceinfo
Plusieurs travaux suggèrent même l'existence d'un cercle vertueux : moins fatigués et plus épanouis, les salariés tendent à être plus productifs. C'est ce qu'avançait un chercheur de l'université d'Oxford qui a analysé le passage à une semaine de quatre jours auprès de 5 000 employés de centres d'appels. Au cours de l'expérience menée en 2018, le nombre et la qualité des appels ont augmenté, s'accompagnant d'une hausse des ventes, rapporte The Telegraph*.
Une tendance confirmée par l'expérimentation islandaise. "Les niveaux de productivité sont au minimum restés stables, voire ont augmenté dans certains cas", soulignent les auteurs du rapport. Malgré une réduction du temps de travail, les salariés sont parvenus à traiter le même nombre de dossiers et à exécuter autant de tâches qu'auparavant. Les premiers résultats de la seconde étude britannique en cours depuis juin vont aussi en ce sens. En trois mois, près de la moitié des entreprises participantes ont vu leur productivité se maintenir, un tiers d'entre elles estimait qu'elle s'était "légèrement améliorée" et 15% qu'elle s'est "sensiblement améliorée".
En France, les entreprises qui ont réduit le temps de travail se targuent également d'effets positifs sur leur production. Au premier semestre 2021, LDLC revendiquait une croissance de 6% de son chiffre d'affaires (lien PDF), grâce aux "gains de productivité" liés à la semaine de quatre jours. "Notre rentabilité et notre chiffre d'affaires se sont améliorés", assure quant à lui le patron d'IT Partner. "Pour nos collaborateurs, la semaine de quatre jours a une vraie valeur ; ils sont davantage impliqués dans l'entreprise et donc plus productifs", défend-il. Mais ce changement de fonctionnement nécessite une période d'ajustement. "On est passés par une phase de désordre, le temps qu'on s'organise progressivement", reconnaît Abdénour Ainséba.
Repenser l'organisation du travail
Pour gagner en efficacité, les réunions chez IT Partner sont devenues plus courtes et la gestion du planning a été totalement repensée. Afin de pouvoir répondre aux besoins des clients tout au long de la semaine, la journée de repos varie d'un salarié à l'autre. Chacun se voit attribuer un "jour off" entre le mardi et le vendredi, selon un calendrier redéfini chaque trimestre.
"Le passage à une semaine de quatre jours nécessite une ingénierie managériale très cohérente pour assurer la continuité du travail."
Marie-Rachel Jacob, professeure en managementà franceinfo
Toutes les entreprises ne peuvent donc pas s'aventurer dans ce bouleversement d'organisation. "Il faut que la société ait une certaine maturité et que les clients puissent suivre dans l'expérimentation", souligne le dirigeant d'IT Partner. "Aujourd'hui, ça reste un pari encore hasardeux", tempère-t-il. En outre, tous les salariés ne peuvent pas bénéficier de cette flexibilité. "Tout un pan de l'activité, dans l'industrie ou dans les hôpitaux, par exemple, ne fonctionne déjà pas sur le modèle classique d'une semaine à cinq jours", rappelle Marie-Rachel Jacob.
Chez les cadres, le déploiement d'une semaine de quatre jours peut aussi être compliqué. "Dire à un manager que ce qu'il n'arrive pas à faire en cinq jours, il va le faire en quatre jours, ça ne paraît pas une bonne solution", met en garde la spécialiste. "Si la charge de travail ne diminue pas, c'est assez risqué sur le plan de la santé. Les salariés risquent d'être épuisés", appuie Benoit Serre, vice-président de l'Association nationale des DRH, dans Les Echos (article pour les abonnés).
Benoit Serre juge plus pertinent de raisonner en nombre de jours travaillés sur un semestre ou une année. "On peut penser à diverses organisations du travail, mais l'important est de procéder au cas par cas en respectant les spécificités des secteurs et des entreprises, en passant par la négociation collective plutôt que par la loi", avance Andrea Garnero, spécialiste du marché du travail à l'OCDE auprès de l'AFP. "L'organisation de la semaine optimale n'est écrite nulle part", tranche-t-il.
*Les liens signalés par des astérisques renvoient vers des contenus en anglais.
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