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Réforme des retraites : pourquoi l'examen de l'article 7, qui prévoit le recul de l'âge de départ à 64 ans, agite la Nupes

Quel est le bon moment pour débattre de l'article central du projet du gouvernement ? Cette question est au cœur des discussions, alors que l'examen de la réforme des retraites entre dans sa seconde semaine à l'Assemblée.
Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Les députés LFI lors de l'examen de la réforme des retraites, à l'Assemblée nationale, le 6 février 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

La Nupes tient en haleine les députés de la majorité. "Il y a une petite musique qui monte sur le fait qu'ils pourraient profiter de vendredi [10 février], jour normalement réservé à la circonscription, pour arriver à l'article 7." Le nez sur son pavé de saumon, cette députée de la majorité affiche une mine inquiète et pense à son agenda. "On a fait passer des consignes chez nous pour être très mobilisés, je vais devoir annuler un événement que j'avais avec le préfet." Sa crainte ? Que les élus de la Nupes retirent brutalement des milliers d'amendements au projet de loi sur la réforme des retraites pour arriver à l'article7, qui prévoit le recul de l'âge de départ à 64 ans et qui concentre le plus grand nombre d'amendements. Le but ? Prendre de court la majorité pour obtenir un vote contre cette mesure centrale du projet de loi.

Il n'en sera rien. Vendredi soir à minuit, il restait 15 867 amendements à discuter avant la reprise des débats, lundi à 16 heures. Les députés n'avaient pas fini d'éplucher l'article 2, qui contient l'index seniors. Le suspense sur la stratégie des députés de gauche reste donc entier et la majorité en est réduite à émettre des hypothèses. "Ils vont maintenir la pression jusqu'au bout, croit un député Renaissance. Les amendements, c'est leur seule cartouche." La fenêtre de tir est étroite : vendredi 17 février à minuit, les débats s'arrêtent au Palais-Bourbon. Le texte va alors partir au Sénat, et la perspective d'un examen sans vote à l'Assemblée reste très probable.

Dicter le rythme des débats

Depuis l'ouverture des débats, l'article 7 est au cœur des conversations. Or, les 20 000 amendements déposés sur le texte du gouvernement, dont 13 000 pour LFI, conjugués aux délais contraints d'examen, rendent théoriquement impossible sa discussion. Sauf si la Nupes décide d'un retrait massif de ses amendements. Un scénario plausible, puisque plusieurs chefs de file de gauche ont assuré, à l'instar de Sandrine Rousseau, qu'ils voulaient discuter de cet article.

"On veut absolument un débat sur l'article 7 et la mesure d'âge. On ne peut pas débattre de la réforme sans parler d'âge."

Sandrine Rousseau, députée EELV

à franceinfo

Mais les députés de gauche entendent maîtriser le rythme des débats et rechignent à dévoiler leur stratégie. "Les amendements, c'est comme le piano", assurait le patron des députés socialistes, Boris Vallaud, peu avant le début de l'examen du texte dans l'hémicycle. "On choisira le tempo en fonction des discussions, de leur nature. On peut accélérer ou ralentir." LFI affiche aujourd'hui sa satisfaction : "On s'était fixé l'objectif d'être les maîtres du temps et on y parvient", vante Antoine Léaument. "La stratégie est réinterrogée chaque jour", précise le député de Paris Rodrigo Arenas.

La Nupes a ainsi décidé de piloter au sein de l'intergroupe le rythme des amendements, confiait la semaine dernière le député PCF Sébastien Jumel. Les conversations y sont sans aucun doute passionnées tant chacun a sa petite idée sur le sujet. Des députés socialistes et écologistes poussent, par exemple, pour arriver rapidement au cœur de la réforme. "Retirons les amendements, passons au vote et montrons au gouvernement et à la France tout entière qu'il y a aujourd'hui une majorité de députés défavorables à la réforme des retraites !" s'enflammait mercredi dernier le socialiste Philippe Brun. Il n'a donc pas eu gain de cause.

A ce stade, la Nupes s'est seulement entendue pour accélérer sur l'article 2 et discuter des moyens de financement de la réforme des retraites. "Pour moi, nous devons finir l'étude de l'index seniors aujourd'hui [lundi] et pouvoir commencer le débat sur l'ensemble des options de financement existantes", assure la présidente du groupe EELV, Cyrielle Chatelain.

Ne pas "tuer dans l'œuf la mobilisation"

Lundi, à la mi-journée, La France insoumise assumait toujours sa stratégie d'obstruction parlementaire. "Nous n'aidons pas à ce que l'affaire soit rapidement réglée parce que nous parlons de deux ans de vie", défendait avant les débats le député LFI Alexis Corbière. Le groupe pourrait cependant changer son fusil d'épaule à mesure que vendredi soir se rapproche, et s'aligner sur les positions de ses partenaires écologistes et socialistes. Quand pourrait intervenir ce retrait massif d'amendements ? "Pour le moment, on ne retire rien", assurait lundi matin Hadrien Clouet. "Ce sera acté en réunion de groupe, demain [mardi] à 11 heures", affirme Rodrigo Arenas.

"Il y a des questionnements mais pas de décision. Tout est possible, que ça aille dans un sens comme dans l'autre."

Rodrigo Arenas, député LFI

à franceinfo

Les députés LFI et leurs collègues de gauche pourraient aussi décider d'accélérer l'examen du texte, pour débattre de l'article 7, mais en évitant un vote avant vendredi minuit, comme l'évoque France Inter. "C'est un point de discussion, en effet, mais on n'en est pas encore là", admet-on dans le groupe LFI. Une stratégie qui leur permettrait de débattre des 64 ans sans prendre le risque de perdre la bataille en cas de vote. Rien ne garantit qu'ils y parviennent et la majorité pourrait alors chercher à provoquer le vote, persuadée de détenir les voix nécessaires pour faire adopter l'article. "A cette heure, on a une majorité avec LR", assurait, il y a quelques jours, un poids lourd de Renaissance.

Cette hypothèse, non validée à ce stade, doit être conjuguée avec la mobilisation dans la rue et la cinquième journée d'action, jeudi. Les députés de la coalition de gauche craignent qu'un retrait massif des amendements fragilise le mouvement social en cours. "Si l'examen de l'article 7 arrive trop vite, il y a un risque que ça tue dans l'œuf la mobilisation", avertissait, la semaine dernière, le communiste Sébastien Jumel. Et alors que LFI semblait dessiner un calendrier de mobilisation en marge de l'intersyndicale, mi-janvier, le parti dirigé par Manuel Bompard est désormais solidement placé "derrière les syndicats", souligne Rodrigo Arenas.

Outre la coordination avec la rue, la Nupes doit garder un œil sur la stratégie gouvernementale. L'exécutif dispose lui aussi d'atouts pour influencer le rythme des débats parlementaires. Il peut ainsi réécrire un article, inverser l'ordre des articles ou encore demander une seconde délibération sur un vote. "J'ai peur que le gouvernement réécrive l'article 7 et que ça fasse tomber les amendements", confiait avant le week-end Sébastien Jumel, redoutant de voir le gouvernement chambouler les plans de la gauche pour cette seconde semaine à l'Assemblée nationale.

Sans compter que les autres groupes politiques ont aussi leur agenda. "Si on ne vote pas le texte en première lecture, c'est mieux, car on évite de faire capoter notre groupe", confiait un député LR, très inquiet sur les divisions des Républicains. De quoi troubler un peu plus la stratégie de la Nupes dans les derniers jours du texte à l'Assemblée, avant son passage au Sénat.

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