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Fermeté, délégitimation, abandon de mesures... Comment le gouvernement a changé de tactique face aux "gilets jaunes"

Depuis le début du mouvement de contestation contre la hausse du prix des carburants et la baisse du pouvoir d'achat, le gouvernement a alterné entre fermeté et mains tendues. 

Article rédigé par franceinfo
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Une manifestation des "gilets jaunes", place de la Madeleine, à Paris, le 24 novembre 2018. (LAURE BOYER / HANS LUCAS / AFP)

La balle est dans le camp d'Emmanuel Macron. Après la deuxième grande journée de mobilisation des "gilets jaunes", samedi 24 novembre, le président doit annoncer mardi des mesures d'accompagnement de la transition écologique, afin de la rendre "acceptable". Une nouvelle méthode pour l'exécutif, qui a jusque-là fait preuve de fermeté vis-à-vis des manifestants. Franceinfo récapitule ce changement de tactique, intervenu en trois phases.

1La carotte et le bâton avant les premières manifestations

Sans surprise, le gouvernement se montre intransigeant aux premières heures du mouvement, alors que la mobilisation n'est pas encore passée des réseaux sociaux à la rue. Le Premier ministre Edouard Philippe assure ainsi le 14 novembre son intention de poursuivre la hausse des taxes sur le carburant au 1er janvier en dépit des actions prévues. "On ne va pas annuler la taxe carbone, nous n'allons pas changer de pied, nous n'allons pas renoncer à être à la hauteur de cet enjeu qui est considérable", se défend-il sur RTL"La loi s'applique" et "l'entrave à la circulation, c'est sanctionné", affirme-t-il aussi, mettant en garde ceux qui veulent "mettre le bobolo partout".

Les forces de l'ordre interviendront pour lever tout "blocage total", prévient également le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner sur BFMTV, mardi 13 novembre, à quatre jours de la première journée de manifestation. "Je demande qu'il n'y ait aucun blocage total. (...) Partout où il y aura un blocage, et donc un risque pour les interventions de sécurité et aussi la libre-circulation, nous interviendrons."

Dans le même temps, Emmanuel Macron assure "comprendre" la "colère" des manifestants. "Je n'ai pas réconcilié le peuple français avec ses dirigeants", reconnaît le chef de l'Etat, lors d'un entretien sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, le 14 novembre. "La considération, on ne l'a sans doute pas assez apportée", lâche le chef de l'Etat, à la suite de l'annonce par Edouard Philippe de plusieurs mesures "d'accompagnement" du gouvernement face à la hausse du prix des carburants. Parmi elles, l'élargissement du chèque énergie et une "super prime" à la conversion des véhicules des ménages les plus modestes.

2La disqualification du mouvement durant la semaine

Mais les gestes du gouvernement n'apaisent pas la colère des "gilets jaunes". Samedi 17 novembre, ils sont 282 000 à sortir dans la rue, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur. Une mobilisation réussie, de par son ampleur, mais entachée par des incidents qui font un mort et 227 blessés. Et les jours suivants, si le mouvement diminue, il ne semble pas s'arrêter.

Du côté du ministère de l'Intérieur, la ligne se durcit un peu plus. Dès le lendemain de la manifestation, Christophe Castaner dénonce sur Twitter une agression homophobe survenue en marche des rassemblements des "gilets jaunes". "Nous comptons, après 3 jours de manifestations, 1 mort, 528 blessés, dont 17 grièvement. (...) C’est inacceptable. J’en appelle solennellement à la responsabilité et au respect mutuel", tweete aussi le ministre de l'Intérieur, lundi 19 novembre. "Il faut avoir en tête que la mobilisation massive de nos forces de sécurité a aussi un effet sur notre capacité à intervenir sur d’autres sites du territoire. Et ceci alors que notre pays fait face à des risques sécuritaires majeurs, dont le risque terroriste", ajoute-t-il le même jour.

"Il y a une dérive d’une mobilisation qui était initialement 'bon enfant' et que nous avons d’ailleurs encadrée avec nos forces de l’ordre pour protéger les manifestants. On assiste aujourd’hui à une radicalisation avec des revendications qui sont incohérentes", estime encore Christophe Castaner le 20 novembre sur France 2

La même semaine, plusieurs membres de la majorité déplorent les menaces de "gilets jaunes" à l'encontre de députés LREM. Le président de l'Assemblée Richard Ferrand dénonce ainsi "des appels au blocage de députés et de leurs familles, la publication d'adresses personnelles devenant ainsi des cibles d'action sont intolérables". 

Samedi 24 novembre, au deuxième grand jour de mobilisation qui voit s'affronter manifestants et forces de l'ordre sur les Champs-Elysées, Emmanuel Macron partage sa "honte" sur Twitter. "Merci à nos forces de l’ordre pour leur courage et leur professionnalisme. Honte à ceux qui les ont agressées. Honte à ceux qui ont violenté d’autres citoyens et des journalistes. Honte à ceux qui ont tenté d’intimider des élus. Pas de place pour ces violences dans la République."

Christophe Castaner pointe par ailleurs "une mobilisation de l'ultra droite" parmi les 5 000 manifestants présents sur les Champs-Elysées, qualifiés de "séditieux" qui "ont répondu à l'appel notamment de Marine Le Pen". Marlène Schiappa et Benjamin Griveaux s'étaient déjà inquiété plusieurs jours auparavant d'une "instrumentalisation politique" des "gilets jaunes" par "l'extrême droite". La présidente du Rassemblement national accuse de son côté le gouvernement d'avoir laissé faire les "casseurs" pour obtenir des "images spectaculaires" et "décrédibiliser" le mouvement, lundi 26 novembre sur RMC/BFMTV.

3Des annonces sur "la méthode" pour calmer le jeu

Après plusieurs jours d'une mobilisation toujours soutenue par l'opinion publique, le temps est de nouveau à la concertation. Emmanuel Macron veut désormais apporter "une réponse claire à nos classes moyennes et à nos classes laborieuses", a expliqué le chef de l'Etat en marge d'un Conseil européen extraordinaire qui entérinait le Brexit, dimanche 25 novembre. "Manifestement, on a loupé quelque chose dans l'explication de la taxe carbone", déclare aussi le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin. De fait, même si la mobilisation dans la rue a faibli, certains "gilets jaunes" ont déjà créé un évènement sur Facebook appelant à "un acte 3 Macron démissionne".

Première main tendue, la création d'une vignette poids lourds a été reportée jusqu'à nouvel ordre, a appris franceinfo, jeudi 22 novembre. Selon un élu de la majorité, son instauration, dans le cadre du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) qui doit être présenté lundi 26 novembre en Conseil des ministres, aurait été "suicidaire",  les routiers risquant de rejoindre en masse les barrages. Le gouvernement a aussi écarté les péages urbains, faute de villes candidates et pour ne pas "accentuer les fractures entre territoires", selon le ministère des Transports.

Pour renouer le dialogue, Emmanuel Macron compte profiter de la présentation mardi de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) jusqu'en 2028. Le chef de l'Etat doit s'appuyer sur la création d'un "Haut Conseil pour le climat", a expliqué l'Elysée au Journal du Dimanche. Composés de 13 experts et scientifiques, il doit s'assurer que le cap de la dette carbone est bien tenu. Laurence Tubiana, ex-négociatrice pour la France lors de la COP21, Pascal Canfin, directeur général de WWF France, et des personnalités du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) en font partie. Mais attention, ce "tournant" porte sur "la méthode", mais "pas sur le contenu" de la politique menée, insiste le patron des députés LREM Gilles Le Gendre, lundi 26 novembre, sur LCI. Pas sûr que cela suffise aux "gilets jaunes".

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