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Travailler plus, travailler moins : le dilemme français

Le slogan de Nicolas Sarkozy est-il toujours d'actualité à l'heure où le gouvernement prône la montée en puissance du chômage partiel ?

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Un des 1000 salariés associés de l’entreprise Acome, spécialisée dans la fabrication de câbles, fait avancer une bobine de fil de cuivre, le 5 janvier 2012 à Romagny (Manche). (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

Travailler plus ou travailler moins ? Pendant cinq ans, Nicolas Sarkozy n'a jamais renié son slogan de campagne "Travailler plus pour gagner plus", mis en application à travers la défiscalisation des heures supplémentaires. Cette mesure fiscale est l'une des rares à n'avoir pas été abandonnée ou rabotée pendant la crise. Le but : coutourner les 35 heures, que la droite a toujours combattues sans pour autant parvenir à les supprimer.

Cinq ans plus tard, l'idée d'enterrer définitivement la réduction du temps de travail continue à faire son chemin. Hervé Morin et Dominique de Villepin, par exemple, veulent porter la durée légale du travail à 37 heures. L'UMP prône également une sortie des 35 heures (voir document PDF), et souhaiterait même remplacer la durée légale du travail par des accords d'entreprise.

Mais ces dernières semaines, alors que la crise économique s'aggrave, le gouvernement évoque la nécessité de promouvoir le chômage partiel, un mécanisme qui permet aux entreprises en difficulté de réduire ponctuellement le temps de travail des employés. Le salaire perdu est compensé par une indemnisation de l'Etat. A l'occasion du sommet social de mercredi 18 janvier, le président de la République a annoncé que 100 millions d'euros supplémentaires y seraient consacrés. En temps de crise, le remède apparaît alors dans le "travailler moins".

Un virage paradoxal ?

Partage du temps de travail d'un côté, volonté de remettre en cause les 35 heures de l'autre... les socialistes ne se sont pas fait prier pour s'engouffrer dans la brèche : "Là où l'Allemagne a mobilisé 1,7 milliard d'euros pour financer utilement du chômage partiel, le gouvernement français en aura dépensé quatre fois plus, en pure perte, pour financer les heures supplémentaires", raillait fin décembre dans un communiqué Bernard Cazeneuve, porte-parole de François Hollande.

"Il y a une contradiction énorme entre ces dispositifs, ce que nous avions déjà dit il y a trois ans, souligne Marion Cochard, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La défiscalisation des heures supplémentaires et l'élargissement du chômage partiel sont deux mesures en opposition totale, qui s'inscrivent dans des logiques contraires. Parler d'augmentation du temps de travail en temps de hausse du chômage paraît déconnecté."

Une position que ne partage pas Amandine Brun-Schammé, économiste au centre de recherche COE-Rexecode, réputé proche du patronat : "Les deux dispositifs ne sont pas incohérents. Les heures supplémentaires ne représentent que 3 % du volume des heures travaillées. Le chômage partiel permet quant à lui d'ajouter de la flexibilité. Ce qui est utile, car plus on s'éloigne de l'emploi, plus il est difficile d'y revenir."

La flexibilité, remède miracle ?

C'est en tout cas ce à quoi aspire l'auteur du rapport de l'UMP sur la durée du travail, le libéral Hervé Novelli. A l'horizon 2015, espère-t-il, "la durée légale des 35 heures dans la loi sera remplacée par un renvoi aux accords conventionnels, la loi ne fixant qu'un plafond – par exemple 39 heures. [Ce dernier] s'appliquerait à tous et servirait de durée légale du travail aux branches ou entreprises qui n'auraient pas abouti à un accord".

C'est de cette philosophie que sont issus les accords compétitivité-emploi évoqués par le gouvernement, mais passés sous silence par Nicolas Sarkozy à l'issue du sommet social de mercredi. C'est aussi la voie suggérée par COE-Rexecode : "Pour corriger les rigidités héritées des 35 heures, il faut un système fluide, comme ce qui a été fait en Allemagne, c'est-à-dire adapter la force de travail selon la conjoncture et les besoins", plaide Amandine Brun-Schammé.

Cette évolution, présentée comme ayant donné des résultats satisfaisants outre-Rhin, fait bondir la gauche et les syndicats. Et Marion Cochard, de l'OFCE, en relativise les qualités, notant que le marché du travail allemand se caractérise aussi par "du temps partiel subi et des conditions de travail dégradées". Selon elle, cette flexibilité accrue reviendrait à supprimer toute sécurité dans les contrats de travail. "Or, il n'y a aucune raison que les risques conjoncturels ne soient pas partagés entre les salariés, les entreprises et l'Etat."

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