Elections législatives : on vous explique pourquoi la Nupes s'étrangle devant les nuances adoptées par le ministère de l'Intérieur
Le ministère n'a pas retenu l'étiquette Nupes pour les élections législatives, alors qu'il a prévu un seul label pour les partis de la majorité présidentielle. La gauche dénonce une volonté "d'effacer" la Nouvelle Union populaire écologique et sociale.
Ils ne décolèrent pas. Les responsables de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) ne digèrent pas le contenu de la circulaire du ministère de l'Intérieur (en PDF) datée du 13 mai et signée de la main de Gérald Darmanin, qui porte sur les "nuances politiques" en vue des élections législatives. La circulaire prend en compte la création d'Ensemble !, le nouveau regroupement de partis de la majorité présidentielle, mais ne prévoit pas de nuance Nupes, alliance de gauche issue de l'accord entre LFI, le PS, EELV et le PCF pour les législatives.
Que dit la circulaire du ministère ?
Le document diffusé aux préfets porte sur "l'attribution des nuances aux candidats aux élections législatives". Après une première circulaire publiée en avril, qui n'avait posé de problème à personne, il s'agit de nouvelles directives pour mettre à jour la liste des nuances attribuées par l'administration, à distinguer de l'étiquette politique qui, elle, est choisie par le candidat. La grille retenue "est composée de 18 nuances correspondant aux principales formations et sensibilités politiques", explique la circulaire.
Dans la liste de nuances, se trouve ainsi le libellé "Ensemble ! (Majorité présidentielle)" pour regrouper LREM, le MoDem et leurs alliés. Mais la nuance "Nupes" n'a en revanche pas été créée. Le PS, LFI, le PCF et les écologistes disposent chacun de leur propre ligne. Précisons qu'il ne s'agit pas d'un problème de date, puisque la confédération de la majorité Ensemble ! a été créée le 5 mai, soit quelques jours après la naissance de l'alliance de gauche.
Il y a donc une autre explication. La Nupes ne se trouve pas dans la liste des nuances, car elle "réunit des candidats investis de manière indépendante par les partis associés à cet accord", ce qui "tend à démontrer la volonté pour ces candidats de rester attachés à leur parti d'origine", explique le ministère de l'Intérieur. "Ces partis se présentent de manière indépendante comme en attestent notamment les associations déclarées au titre de l'aide publique et de la campagne audiovisuelle." Autrement dit, le financement distinct des partis de gauche composant la Nupes ne permet pas, aux yeux du ministère, de mettre en place un label commun.
Pourquoi la gauche conteste-t-elle cette décision ?
Les candidats aux législatives peuvent se déclarer en préfecture du 16 au 20 mai et, par la suite, une nuance leur sera attribuée. "L'enjeu, c'est de parvenir à avoir une grille de lecture au soir des résultats", explique à franceinfo l'avocat Christophe Pichon, spécialiste en droit électoral. "Si vous n'avez pas de nuance Nupes, cela sera réparti en quatre nuances, donc en termes d'affichage, ça ne donnera pas la même impression."
La gauche accuse donc la place Beauvau de tenter de diluer l'alliance de gauche dans plusieurs nuances de rose, de rouge et de vert. Jean-Luc Mélenchon, qui espère accéder à Matignon après les législatives, a dénoncé "un système de duperie permanente" de la part de la macronie. Il reproche à la majorité d'opérer un calcul visant "à pouvoir, le soir du premier tour, minorer la percée" de l'alliance de gauche. "Effacer ses adversaires du tableau des résultats, est-ce encore la démocratie ?" a même interrogé le leader de LFI sur Twitter.
Nous découvrons que le Ministère de l'Intérieur refuse d'enregistrer la "Nouvelle Union populaire" pour les déclarations de candidature. Effacer ses adversaires du tableau des résultats est-ce encore la démocratie ? #NUPES
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) May 16, 2022
Julien Bayou, secrétaire national d'EELV, y voit également une "manœuvre parfaitement scandaleuse", visant "à tromper le rendu du résultat du premier tour". Tous les candidats de la Nupes "partagent pourtant le même programme et se présentent aux électeurs sous la même bannière", insiste l'alliance de gauche dans un communiqué. La Nupes appelle "solennellement le ministère de l'Intérieur à renoncer à son opération de tripatouillage électoral".
Est-ce que cela change quelque chose dans l'élection ?
Le nuançage déterminé par le ministère de l'Intérieur ne changera rien au déroulement de la campagne. "Il faut relativiser. Ce n'est que la présentation des résultats, cela reste des statistiques, mais ça ne va pas changer le moindre vote ou déplacer le moindre euro", estime Louis le Foyer de Costil, avocat en droit électoral. Cela ne changera rien au score de la Nupes et, le jour J, les journalistes font ce qu'ils veulent pour la présentation des résultats."
Si le ministère maintient sa circulaire, les médias auront donc le choix entre faire une addition des scores des partis composant la Nupes ou une présentation des résultats de la gauche parti par parti. Mais en réalité, ce seront d'abord les estimations des instituts de sondage qui donneront le ton. En revanche, "il est évident que le soir des résultats, on va avoir droit à une bataille d’interprétation, prévient Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof et au CNRS, interrogé par 20 Minutes. Si la Nupes arrive en tête, la majorité appuiera sur le fait que ses membres ne sont pas en accord sur tous les sujets et donc qu’il faut distinguer leurs votes."
Un recours devant le Conseil d'Etat peut-il aboutir ?
"Nous allons intervenir au Conseil d'Etat en référé pour demander à ce que nous soyons reconnus dans notre existence", a prévenu Jean-Luc Mélenchon. Les cadres de LFI dénoncent une rupture d'égalité et assurent qu'ils sont en train de travailler sur un recours administratif. Il y a d'ailleurs des précédents. En janvier 2020 par exemple, dans une ordonnance, le Conseil d'Etat avait partiellement suspendu une circulaire du ministère de l'Intérieur sur l'attribution des nuances politiques en vue des élections municipales, estimant notamment que l'attribution "liste divers centres" portait "atteinte à la lisibilité et à la sécurité du scrutin".
Il est impossible de prévoir la décision du Conseil d'Etat en cas de recours, "mais il est vrai que le Conseil d'Etat regarde tout ça en étant très tatillon, puisque celui qui émet la circulaire est aussi partie prenante", observe Louis le Foyer de Costil. "Le problème ne vient pas du choix du ministère d'avoir scindé ou regroupé un groupe, mais ce qui est étonnant, c'est de ne pas avoir fait la même chose pour tout le monde. Le juge va regarder la différence de traitement."
Les arguments sur le financement ou sur le fait que les investitures n'ont pas été attribuées par la Nupes, mais par chaque parti composant l'alliance, peuvent aussi peser au moment de la décision. "Ensuite, il n'y a pas de cadre juridique sur ce point, soulève Louis le Foyer de Costil. Rien ne dit dans la loi que l'étiquetage qui sert à récolter les financements doit correspondre aux nuances du ministère de l'Intérieur."
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