Législatives 2024 : au sein de la majorité, une stratégie du "ni-ni" de plus en plus assumée en cas de duels entre le RN et LFI
"J'ai la peur panique de ce qui va nous arriver", lâche une figure de Renaissance. Depuis l'annonce de la dissolution par Emmanuel Macron au soir des élections européennes, dimanche 9 juin, et l'organisation de législatives anticipées, le camp présidentiel vit dans la crainte de perdre des dizaines de sièges à l'Assemblée nationale. Pris en tenaille entre le Rassemblement national et la gauche unie sous les couleurs du Nouveau Front populaire, les soutiens du chef de l'Etat redoutent les résultats du premier tour, organisé le 30 juin. Les macronistes le savent : la dynamique n'est pas de leur côté, eux qui ont subi une lourde défaite aux européennes.
S'il est encore trop tôt pour anticiper le second tour, qui aura lieu le 7 juillet, la possibilité d'une élimination du candidat du bloc central est forte dans de nombreuses circonscriptions. Ce sera le cas "dans une nette majorité" d'entre elles "vu le rapport de force", assure Mathieu Gallard, directeur d'études chez Ipsos. Que vont faire les candidats du parti présidentiel dans cette configuration, qui pourrait être inédite par son ampleur ? "Ils auraient dû trancher ce sujet-là en trouvant une position en interne, mais il y a une incapacité à construire collectivement", observe Vincent Tiberj, sociologue et professeur à Sciences Po Bordeaux, qui note "l'incohérence" des prises de position exprimées jusqu'à présent.
LFI, le nœud du problème
En l'absence de ligne claire tranchée par Renaissance et ses alliés, chacun y va de sa déclaration personnelle. "Moi, j'ai dit que je ne mettais jamais de signe égal entre l'extrême gauche, même La France insoumise, et l'extrême droite du Rassemblement national ou de Reconquête", a ainsi affirmé l'ancien ministre et député sortant Clément Beaune, sur franceinfo, le 15 juin.
"Je voterai toujours, je le dis très clairement, s'il y a un deuxième tour un jour entre un candidat RN et un candidat quel qu'il soit, y compris de LFI, pour le candidat qui est opposé au RN."
Clément Beaune, député sortantsur franceinfo
L'ancienne ministre et députée sortante de Gironde, Bérangère Couillard, partage le positionnement de son ancien collègue au gouvernement. "J'appellerai toujours à voter contre l'extrême droite. C'est mon engagement premier", confie-t-elle à franceinfo. Mais désormais, la ligne "tout sauf le RN" est minoritaire au sein du camp présidentiel. Car si le parti de Jordan Bardella peut remporter les législatives, c'est aussi le cas du Nouveau Front populaire, au sein duquel La France insoumise – sous le feu des critiques depuis le 7 octobre – est le mouvement qui compte le plus de candidats. Lors de sa conférence de presse, le 12 juin, Emmanuel Macron a d'ailleurs renvoyé dos à dos les "deux blocs", "deux extrêmes". "Le camp macroniste porte une responsabilité lorsqu'il dit que le RN est raciste et que la gauche est antisémite. Il les met sur le même plan alors que ce n'est pas la même chose", conteste Vincent Tiberj.
Résultat : chacun tient une position différente sur l'attitude à avoir face à LFI. Marc Ferracci, député sortant et très proche du chef de l'Etat, distingue les personnalités au sein du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. "Si je dois me déterminer entre un candidat RN et, par exemple, Thomas Portes [député LFI sortant], qui a mis la tête du ministre du Travail sur un ballon de foot pour marcher dessus, je peux vous dire que j'irai à la pêche parce que l'incarnation ne me convient pas", a-t-il déclaré sur LCP, vendredi.
"LFI et le RN, ce n'est pas la même chose"
De très nombreux représentants du camp présidentiel refusent clairement de choisir entre un candidat LFI et un candidat RN. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui se représente dans son fief du Nord, a ainsi dit sur CNews, le 13 juin, qu'il ne voterait "pas pour un candidat RN, ni pour un candidat LFI", en cas de duel. Même position du côté de la ministre Sabrina Agresti-Roubache, elle aussi candidate à sa réélection à Marseille. "Je n'appellerai à voter ni pour des candidats RN ni pour des candidats LFI, qui ne cherchent pas des électeurs, mais des victimes", a-t-elle assuré sur CNews, le 17 juin.
La veille, sur RTL, la ministre Olivia Grégoire avait non seulement rejeté LFI mais plus largement les candidats du Nouveau Front populaire, "sauf si c'est un socialiste modéré" : "Si la question m'était posée, je voterais blanc." Et l'ancienne porte-parole du gouvernement d'ajouter : "Le Front populaire, c'est la Nupes, on ne va pas se mentir, et voter Front populaire, c'est voter Mélenchon." Un raccourci car, à cette heure, les différents partis du Nouveau Front populaire n'ont pas désigné leur candidat pour Matignon, ni même décidé le moyen de trancher cette question.
Les positions tranchées de ces ministres seront-elles encore tenables au soir du premier tour ? "Les candidats ne vont jamais pouvoir faire du 'ni-ni'. Il faudra appeler au barrage en votant pour le Nouveau Front populaire", anticipe un membre de l'équipe de campagne de Renaissance. "Il ne faut pas déconner, quand même. LFI et le RN, ce n'est pas la même chose."
Pas de "signe égal" jusqu'en 2022 pour Macron
Les divisions au sein du camp présidentiel à ce sujet ne sont pas nouvelles. En juin 2022, au moment des précédentes législatives, des divergences étaient déjà apparues sur la position à tenir en cas de duels entre LFI, membre de la Nupes, et le RN. Si certaines voix s'étaient élevées pour appeler à soutenir clairement des candidats de gauche, LREM (ancien nom de Renaissance) avait rechigné à donner une consigne de vote nationale. "A la présidentielle 2022, pour faire barrage à Marine Le Pen, ils avaient demandé un vote républicain à des électeurs qui se sentent floués et déçus", rappelle le chercheur Vincent Tiberj.
"Aux législatives de 2022, la réciproque du front républicain a été brisée."
Vincent Tiberj, chercheur et sociologueà franceinfo
L'évolution est notable par rapport aux positions passées d'Emmanuel Macron sur l'extrême droite, notamment au moment de son accession à l'Elysée. "On construit toujours son engagement politique sur des indignations. La mienne, c'est le 21 avril 2002", expliquait-il en octobre 2016 au Figaro Magazine, en référence au jour où Jean-Marie Le Pen s'est qualifié pour le second tour de l'élection présidentielle. En avril 2022, interrogé par Le Figaro, le président sortant avait encore refusé de mettre un signe égal entre les deux camps. "Je fais un distinguo profond, parce qu’ils procèdent de mouvements très différents. Mais, par rapport au champ républicain, ils apportent des réponses simplistes et des contre-vérités qui cultivent les peurs", avait-il nuancé.
Si le RN est toujours ciblé, le mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon semble aujourd'hui beaucoup plus dangereux qu'en 2022 aux yeux de nombreux cadres macronistes. "J'ai vu à quel point pendant deux ans, ils ont bordélisé l’hémicycle, à quel point ils n'ont pas respecté ni les Français, ni l'institution, ni le mandat qu'ils avaient, ni les collègues", a estimé Yaël Braun-Pivet sur LCI, vendredi. La présidente sortante de l'Assemblée nationale "considère" que LFI ne porte pas "les valeurs de notre République".
"Je répondrai au lendemain du 30 juin"
Pour le premier tour, la coalition présidentielle a décidé de prendre les devants en choisissant de ne pas investir de candidats dans environ 70 circonscriptions. "Nous faisons ce choix soit parce que nous n’étions pas les mieux placés pour arriver au second tour, soit parce que nous nous rangeons derrière des sortants", justifie un cadre de Renaissance. L'objectif est de faciliter la qualification du candidat jugé républicain au second tour, qu'il soit de gauche et opposé au Nouveau Front populaire, ou de droite et contre le rapprochement entre Eric Ciotti et le RN.
Surtout, les cadres de la majorité, comme François Bayrou (MoDem), sur LCI, et Edouard Philippe (Horizons), sur BFMTV, se refusent à envisager une élimination dans de nombreuses circonscriptions, au soir du 30 juin. Et donc à prendre position en vue d'un duel dont ils seraient absents. Le gouvernement est aussi sur cette ligne. "Je répondrai à la question du second tour au lendemain du 30 juin", appuie Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement.
"Arrêtons d'enjamber le premier tour. Ça donne le sentiment qu'on baisse les bras !"
Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernementà franceinfo
Pour éviter d'avoir à faire ce choix, la majorité espère un sursaut de son électorat, afin d'atteindre dans un maximum de circonscriptions la barre des 12,5% des inscrits et ainsi se qualifier pour le second tour. "A 70% de participation, il y a 300 triangulaires, ça peut tout changer", veut ainsi croire François Patriat, proche d'Emmanuel Macron. Face au RN et au Nouveau Front populaire, Renaissance et ses alliés auraient un argument tout trouvé pour tenter de limiter leur recul au soir du second tour : défendre le camp de la "raison" face à des "extrêmes" renvoyés dos à dos.
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