Législatives 2024 : réserves de voix, triangulaires… Pourquoi l'enjeu de la participation au premier tour s'annonce crucial

Davantage de Français qu'en 2022 devraient se rendre aux urnes pour ce scrutin anticipé, ce qui pourrait accroître le nombre de triangulaires possibles au second tour.
Article rédigé par Thibaud Le Meneec
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La participation au premier tour des élections législatives, le 30 juin 2024, sera très scrutée. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Dans un paysage politique bouleversé depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, dimanche 9 juin, le chiffre n'est pas passé inaperçu. Selon les données communiquées par le ministère de l'Intérieur vendredi 21 juin, à 10 jours du scrutin, 1 055 067 procurations ont été établies, soit davantage qu'en 2022.

"Les Français vont se mobiliser sans doute comme jamais ils ne se sont mobilisés pour des élections pour élire des députés", a salué Gérald Darmanin. Le ministre s'est un peu emballé, car pour constituer un record, il faudrait que la mobilisation pour le premier tour du 30 juin dépasse les niveaux de 1973 (81,3% de participation) ou de 1978 (83,2%). 

La participation pourrait cependant atteindre 63%, selon un sondage de l'institut Ifop pour Le JDD, dimanche. Cela correspondrait à un bond de plus de 15 points par rapport au premier tour des législatives de 2022 (47,51%). "Auparavant, les législatives étaient systématiquement organisées après une présidentielle, beaucoup d'électeurs avaient le sentiment d'élections de validation", explique Mathieu Gallard, directeur d'études à l'institut Ipsos.

L'incertitude des réserves de voix

C'est ce qui s'appelle le "fait majoritaire" : aux législatives, une majorité parlementaire était quasi systématiquement accordée par les Français au nouveau président de la République pour appliquer son programme. "Là, c'est différent : il y a l'enjeu de savoir qui va gouverner le pays après les élections et si le Rassemblement national va accéder au pouvoir", précise Mathieu Gallard. C'est la large victoire du parti d'extrême droite aux élections européennes qui a provoqué la dissolution annoncée par Emmanuel Macron et le bouleversement du paysage politique qui a suivi.

L'importance des enjeux pour ces élections législatives peut donc faire reculer l'abstention, après des européennes marquées par une participation en hausse mais encore désertées par près d'un électeur sur deux (48,17% d'abstention). A qui ce regain prévu de participation pourrait-il profiter ? Il est encore trop tôt pour le savoir. "Ça peut être un vote de barrage, mais n'écartons pas l'hypothèse du pire", met en garde un cadre macroniste, qui évoque "le grand flou" et "le stress" des soutiens du chef de l'Etat avant le scrutin.

En attendant, chaque camp espère attirer à lui ces nouveaux votants, du Nouveau Front populaire au Rassemblement national. "La hausse de la participation nous avantage, parce que notre électorat est plutôt abstentionniste", veut croire Philippe Olivier, cadre du RN. "L'électorat du RN était déjà très mobilisé aux européennes, car 60% des électeurs de Marine Le Pen en 2022 sont allés voter, contre 54% de ceux d'Emmanuel Macron et 53% de ceux de Jean-Luc Mélenchon en 2022", pointe au contraire Mathieu Gallard, ce qui augure de plus grandes réserves de voix à gauche et au centre.

"Rien n'est sûr, mais le rebond de participation pourrait défavoriser le RN aux élections législatives."

Mathieu Gallard, directeur d'études à l'institut Ipsos

à franceinfo

La participation sera en tout cas très scrutée dans chaque circonscription, au premier tour, car elle peut dessiner les contours du second. Si aucun des candidats n'atteint dès le premier tour la barre des 50% avec les voix d'au moins 25% des citoyens inscrits sur les listes électorales, les deux premiers sont qualifiés pour le second tour, organisé dimanche 7 juillet. Mais si le troisième parvient à rassembler les suffrages d'au moins 12,5% des inscrits sur les listes électorales (et non seulement des suffrages exprimés), il est lui aussi qualifié pour le second tour. Mécaniquement, une augmentation de la participation dans une circonscription permet donc d'abaisser la barre de qualification au second tour. Avec 50% de participation, il faut dépasser 25% des suffrages exprimés, tandis qu'avec 80% de participation, il "suffit" de dépasser 15,62%.

Le nombre de triangulaires, qui correspondent à des seconds tours avec trois candidats, peut donc être plus élevé qu'en 2022 (huit triangulaires), qu'en 2017 (une seule), voire qu'en 2012 (34).

Des triangulaires favorables au RN ?

A qui pourraient profiter ces configurations ? Historiquement, les triangulaires tendent à favoriser le Rassemblement national car les voix de ses opposants s'éparpillent sur deux adversaires distincts. D'autant plus lorsque le bloc d'extrême droite s'approche des 40%, comme ce fut le cas pour les européennes avec le RN et Reconquête, le 9 juin.

"Mais que va-t-il se passer en matière de désistements ?", interroge Mathieu Gallard. Entre les résultats du premier tour et la date limite du dépôt des listes, fixée mardi 2 juillet à 18 heures, certains candidats peuvent en effet décider de jeter l'éponge. Leur objectif est d'empêcher la dispersion des voix et l'élection d'un élu RN à l'Assemblée nationale, alors que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella comptait 88 députés avant la dissolution.

Réflexe classique entre deux tours d'une élection, les désistements pour favoriser le front républicain seront observés de très près cette année, avec trois blocs très polarisés. De nombreux responsables du camp présidentiel ont ainsi assuré qu'ils ne choisiraient pas un bulletin s'ils étaient confrontés à un second tour entre un candidat RN et un candidat LFI, une stratégie de plus en plus assumée dans les rangs de la majorité. De l'autre côté, les candidats du Nouveau Front populaire se gardent d'évoquer leur consigne de vote en cas d'élimination précipitée.

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