Allemagne, Italie, Belgique, Suède... Comment nos voisins européens parviennent à gouverner avec des coalitions
Mais comment font les autres ? Au lendemain du second tour des élections législatives convoquées par Emmanuel Macron, aucune majorité absolue n'a émergé des urnes, laissant la classe politique dans l'expectative. Comment gouverner quand trois blocs et quelques petits groupes se partagent l'hémicycle de l'Assemblée nationale ? La réponse ne se trouve pas dans les livres d'histoire : la France n'a jamais connu une telle situation sous la Ve République.
Pour comprendre les enjeux, franceinfo s'est donc tourné vers nos voisins européens qui font l'expérience, au quotidien, de gouvernements minoritaires ou de larges coalitions.
Les partis allemands "contraints" de travailler ensemble
La France dispose d'un bon exemple de démocratie de concertation juste de l'autre côté du Rhin. En Allemagne, la culture de la discussion et du compromis sont un terreau fertile pour les coalitions gouvernementales. Traditionnellement, le parti qui arrive en tête des élections législatives cherche ainsi des alliés pour disposer d'une majorité confortable. Il n'a de toute façon pas beaucoup le choix, car le complexe mode de scrutin allemand n'a débouché qu'une fois sur une majorité absolue pour un parti. "L'usage de la proportionnelle engendre une diversité des partis représentés [au Parlement] et les contraint de facto à collaborer", résume Jeanette Süss, chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
Ces coalitions rassemblent "des partis du centre droit au centre-gauche", excluant d'office les formations plus radicales, souligne la chercheuse. Depuis 2021, le parti social-démocrate SPD, l'Alliance 90/Les Verts et le parti libéral-démocrate (FDP) dirigent le pays à trois, autour du chancelier Olaf Scholz, chef du SPD. Une coalition dite "en feu tricolore", à cause des couleurs représentant chaque formation.
Avant de travailler ensemble, les partis signent un contrat de coalition, qui dessine les grandes orientations politiques qui seront prises à moyen et long termes. Le contrat actuel prévoit par exemple la sortie du charbon pour la production d'électricité d'ici à 2030 ou encore la légalisation de la consommation de cannabis. Bien que long de 177 pages, le document n'anticipait pas le budget 2025, pourtant le nerf de la guerre. Après d'intenses tractations qui ont duré plusieurs mois, les chefs de parti ont finalement réussi, le 5 juillet, à trouver un accord, sauvant ainsi une coalition qui se serait difficilement remise d'un échec sur le budget.
En Suède, un accord de coalition lie aussi, depuis 2022, les conservateurs, les chrétiens-démocrates et les libéraux, avec le soutien au Parlement des Démocrates de Suède (SD), le parti d'extrême droite. Nommé "accord de Tidö", le contrat reprend largement les idées de ce parti, qui pèse de tout son poids sur la vie politique suédoise sans occuper aucun ministère. Le texte prévoit ainsi de réduire le nombre de réfugiés accueillis chaque année de 6 400 à 900, de durcir le regroupement familial et de restreindre l’accès à la citoyenneté suédoise.
"Au quotidien, les quatre partis travaillent en étroite collaboration sur l’agenda législatif."
Nicholas Aylott, politologue à l'université de Södertörnà franceinfo
Pour s'assurer de la stabilité de cet ensemble fragile, un comité composé de hauts fonctionnaires de chaque sensibilité politique sert de plateforme de négociation et de préparation des textes, qui doivent ensuite être votés. Un dispositif qui n'empêche pas les crispations : la révélation, au mois de mars, de l'existence d'"usines à trolls" sur les réseaux sociaux, dirigée par SD en vue de déstabiliser d'autres partis, y compris ceux de la coalition au pouvoir, a largement fragilisé l'alliance.
En Belgique, parfois plus d'un an sans gouvernement
Plus acrobatique encore que le quadripartisme suédois, la coalition belge. Notre voisin a vu naître, en 2020, une alliance de sept partis, menée par l'ancien Premier ministre Alexander De Croo et surnommée la "coalition Vivaldi". Le système institutionnel complexe du royaume, entre mille-feuilles administratif et proportionnelle intégrale au Parlement, le rend sensible aux vents de l'instabilité, lui conférant une réputation de pays ingouvernable. Au point d'avoir connu de longues périodes sans gouvernement : 16 mois, par exemple, à l'issue des législatives de 2019. Une lenteur assumée par la Belgique, qui, en attendant, confie au gouvernement sortant le soin d'assurer les affaires courantes. Le roi Philippe, lui, endosse en période de latence le rôle d'arbitre et peut nommer un "démineur" pour empêcher l'explosion.
Pour éviter les blocages, l'Italie, qui connaît aussi une grande instabilité parlementaire, a mis en place des garde-fous. Lors de l'échec de formation d'une coalition ou en période de crise économique, le président de la République peut nommer un "gouvernement technique". La Botte en a connu quatre depuis la Seconde Guerre mondiale. "Ces gouvernements sont composés de techniciens, d'experts sectoriels qu'on appelle pour occuper une mission provisoire lorsque l'on constate que les coalitions ne sont pas faisables", explique Jean-Pierre Darnis, professeur de civilisation italienne à l'université Côte d'Azur.
"Le but [du gouvernement technique] est de neutraliser la dimension partisane d'un gouvernement."
Jean-Pierre Darnis, professeur de civilisation italienne à l'université Côte d'Azurà franceinfo
Il peut alors entreprendre des réformes d'ampleur qui seraient difficiles à adopter dans un cadre de coalition partisane. Le dernier gouvernement technique en date était celui de l'économiste Mario Draghi, chargé de sortir le pays de la crise liée à l'épidémie du Covid-19, de février 2021 à octobre 2022.
Plus largement, depuis la tentative de bipolarisation du système politique italien initiée par Silvio Berlusconi en 1994, les gouvernements italiens sont toujours des gouvernements de coalition, emmenés par des leaders forts. Actuellement, c'est Giorgia Meloni qui gouverne avec son parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, allié à la Ligue et au parti de droite Forza Italia.
Des coalitions "qui changent la vie politique"
De l'autre côté de la Méditerranée, l'Espagne a découvert plus récemment le gouvernement par coalition. Le traditionnel bipartisme du pays a été ébranlé par l'émergence de nouvelles formations politiques, notamment issues de la société civile, qui ont rebattu les cartes. En 2019, le Parti socialiste espagnol (PSOE) s'est allié avec l'émergente formation de gauche radicale Podemos pour gouverner, une première depuis la fin de la dictature franquiste.
"Les coalitions ont complètement changé la vie politique espagnole. Il y a présent beaucoup de concessions, parfois mal perçues par les électeurs", explique Maria Elisa Alonso, politologue à l'Université de Lorraine et spécialiste de l'Espagne. Pour obtenir le soutien des partis régionalistes catalans, et ne pas avoir à céder le pouvoir à la droite, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a accepté de faire adopter une loi d'amnistie pour les organisateurs du référendum de 2017 sur l'indépendance de la Catalogne, poursuivis par la justice. Un sujet extrêmement sensible dans la péninsule ibérique.
En France, confusion entre "compromis" et "compromission"
Face au risque d'instabilité qui découle de l'absence de majorité absolue en France, la tête de liste des macronistes aux dernières européennes, Valérie Hayer, a appelé, dans les colonnes de Ouest-France, à "s'inspirer de ce qu'on fait au Parlement européen". Le bon fonctionnement de l'institution repose en effet sur une culture du compromis, qui "transcende les partis", abonde Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions européennes.
Encore faut-il que les partis français soient disposés à s'asseoir autour d'une table. Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure ou encore Laurent Wauquiez ont rapidement balayé l'idée de dépasser leurs familles politiques, dès dimanche soir. Une situation qui n'étonne que peu Thierry Chopin, politologue et conseiller spécial de l'Institut Jacques-Delors.
"L'acceptation du compromis n'est pas caractéristique de notre culture politique."
Thierry Chopin, conseiller spécial de l’Institut Jacques-Delorsà franceinfo
"Face à l'absence de majorité stable et la parlementarisation de la vie politique, notre classe politique n'est pas préparée", déplore le politologue. "Le compromis, facteur essentiel d'une coalition, apparaît en France comme une forme de compromission."
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