Législatives : pourquoi les sondages donnent-ils une majorité à Emmanuel Macron, alors que la Nupes apparaît en tête des intentions de vote ?
Le mode de scrutin majoritaire à deux tours crée un décalage entre le score réalisé au niveau national par les partis et les projections de sièges à l'Assemblée nationale.
"Je demande aux Français de m'élire Premier ministre". Un mois après cette déclaration, Jean-Luc Mélenchon peut toujours nourrir l'ambition de s'installer à Matignon dans quelques semaines, alors que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) s'affiche en tête des intentions de vote dans plusieurs sondages en vue des élections législatives des 12 et 19 juin (notamment ceux des instituts Harris Interactive et Ifop). Pourtant, dans ces mêmes enquêtes d'opinion, les projections de sièges à l'Assemblée nationale donnent davantage d'élus à la confédération Ensemble, qui doit permettre à Emmanuel Macron de conserver une majorité présidentielle. Comment expliquer ce décalage entre les intentions de vote au niveau national et les projections de sièges dans le futur hémicycle ? Eclairage.
Parce qu'il n'y a pas de proportionnalité dans un scrutin majoritaire à deux tours
L'écart qui s'observe entre les intentions de vote et le nombre de sièges par parti (ou union électorale) s'explique par le fonctionnement même des élections législatives, qui se déroulent au scrutin majoritaire à deux tours. Chacune des 577 circonscriptions françaises élit son ou sa députée afin d'obtenir une représentation égalitaire de chaque territoire à l'Assemblée nationale. Ce mode de scrutin crée toutefois une distorsion entre les votes exprimés au niveau national et la composition réelle de l'hémicycle au Palais-Bourbon puisqu'il n'y a pas de proportionnalité entre le score d'un parti ou d'un bloc politique et son nombre de sièges à l'Assemblée. A la différence des élections européennes, où les partis se voient attribuer un nombre de sièges équivalent au score national qu'ils ont réalisé, en vertu d'un mode de scrutin proportionnel.
Cet écart entre le nombre de voix et le nombre de sièges potentiels n'est donc pas dû à une erreur des instituts de sondages dans leurs projections, mais découle du mode de scrutin des élections législatives. Illustration avec le sondage Harris Interactive (en PDF) réalisé entre le 6 et le 9 mai, qui donne 28% des intentions de vote pour la Nupes et 26% pour Ensemble au 1er tour des élections législatives, mais un nombre de sièges largement en faveur du bloc macroniste (300 à 350) par rapport à celui de la gauche (105 à 168), selon la projection de l'institut.
Ainsi, même si la Nupes arrive en tête des votes exprimés dans tout le pays, elle n'obtiendra pas forcément la majorité à l'Assemblée. Et il y a un autre biais qui doit inciter à lire ces sondages avec prudence : faute de temps et de moyens financiers suffisants, les sondeurs ne peuvent pas réaliser d'enquête d'opinion dans chaque circonscription. Ils se basent donc sur des modèles de prévision pour extrapoler des tendances nationales à un niveau local. En conséquence, si les projections par sièges peuvent donner une idée de l'ordre de grandeur des différents groupes parlementaires, elles ne peuvent pas être perçues comme une estimation complètement fiable.
Parce que la gauche est "désavantagée" par la concentration de son électorat
D'autres facteurs expliquent la forte différence entre le score national que l'alliance de gauche pourrait réaliser et le nombre de sièges qu'elle pourrait remporter. "Pour la gauche, il y a cette question de capacité à gagner des seconds tours, mais il y a surtout le phénomène de concentration de son électorat dans certaines circonscriptions. La gauche a un électorat très concentré dans les grandes villes", explique à franceinfo Bruno Jeanbart, vice-président de l'institut de sondage OpinionWay.
Car l'électorat de la gauche n'est pas réparti de manière homogène sur le territoire. Contrairement à La République en marche, qui réalise des scores relativement similaires dans un grand nombre de circonscriptions, les électeurs de gauche se concentrent fortement dans les villes et les banlieues périphériques, confirme Mathieu Gallard, directeur d'études chez Ipsos. "La répartition géographique de l'électorat d'Emmanuel Macron à la présidentielle était assez homogène. Il y a peu de circonscriptions où il a fait un score très important, contrairement à Jean-Luc Mélenchon, qui a parfois obtenu des scores de 40-45%. Il y a également peu de circonscriptions où le chef de l'Etat a fait un très mauvais score, contrairement à Marine Le Pen, qui a enregistré par endroits des scores inférieurs à 10-15%."
Or, pour gagner des sièges aux législatives, il est plus efficace d'obtenir des résultats équilibrés dans la plupart des circonscriptions (en vue du second tour) que d'avoir des scores très élevés dans certaines circonscriptions et très faibles dans d'autres.
Le Conseil consitutionnel est chargé de veiller à ce que chaque député représente le même nombre de citoyens, afin que chaque voix d'élu ait le même poids à l'Assemblée. Mais des disparités persistent. Le député qui sera élu par les 134 805 inscrits dans la 3e circonscription de Vendée aura par exemple le même poids dans l'hémicycle que celui qui sera élu par les 5 045 inscrits dans la circonscription unique de Saint-Pierre-et-Miquelon. "Les élections législatives ont tendance à surreprésenter le monde rural. Même si le Conseil constitutionnel veille à ce qu'il n'y ait pas d'écarts trop importants, le fait d'être concentré dans les grandes villes est un petit désavantage", analyse Bruno Jeanbart.
Parce que le positionnement centriste de la majorité présidentielle est un atout
Positionné au centre de l'échiquier politique, la confédération Ensemble d'Emmanuel Macron est en position de force pour remporter des sièges au second tour, où l'enjeu pour les candidats qualifiés est de mobiliser le vote en leur faveur mais aussi contre leurs adversaires. Face à un candidat de droite, le candidat centriste récupérera au moins une partie des voix des électeurs de gauche. Et inversement face à un candidat de gauche. "Au second tour, la position centrale de La République en marche est un énorme avantage", juge Bruno Jeanbart.
"L'inconvénient, c'est d'avoir une base un peu plus faible, moins mobilisée. Mais dans le cas présent, il l y a une dynamique grâce à la victoire d'Emmanuel Macron à la présidentielle", estime le vice-président d'OpinionWay. Cette dynamique, aussi appelée "fait majoritaire", s'est observée lors de toutes les élections législatives qui ont suivi une présidentielle depuis l'instauration du quinquennat en 2002.
Dans un système au scrutin majoritaire, cette position centrale du bloc macroniste, combinée aux faibles scores de la gauche dans les circonscriptions rurales, assure donc une réserve de sièges importante (et potentiellement une majorité confortable) au chef de l'Etat. D'autant qu'Emmanuel Macron peut aussi compter sur le vote barrage contre l'extrême droite de certains électeurs de gauche. "Dans une circonscription sur deux où La République en marche accède au second tour, elle se retrouve face au RN. Ce sont des seconds tours faciles à gagner", estime Bruno Jeanbart.
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