Motion de censure, saisine du Conseil constitutionnel… Quelles sont les six armes de l'opposition pour contrer le gouvernement ?
En l'absence de majorité absolue pour la coalition d'Emmanuel Macron à la suite des élections législatives, le rôle de l'opposition s'annonce d'autant plus fort au sein de l'Assemblée nationale.
C'est la douche froide pour la majorité présidentielle. Avec seulement 245 députés élus à l'issue du second tour des élections législatives, dimanche 19 juin, Ensemble ! doit renoncer à sa majorité absolue et se préparer à convaincre dans l'opposition pour faire adopter ses projets de loi. D'autant qu'au lendemain du scrutin, l'offensive a déjà commencé. Le député LFI Eric Coquerel a annoncé que son parti déposerait une motion de censure le 5 juillet, estimant qu'Elisabeth Borne ne pouvait plus "continuer à être Première ministre", faute de "majorité".
Alors que Les Républicains (LR) perdent leur place de premier groupe d'opposition au sein de l'hémicycle, c'est la Nupes, l'alliance des principaux partis de gauche, qui devient la deuxième force politique de l'Assemblée, avec 133 députés*, suivie par le RN qui, avec 89 élus, réalise une percée historique. Avec quelles armes l'opposition peut-elle peser sur la vie parlementaire et contrer le gouvernement ?
1Le vote contre certaines lois à l'Assemblée
C'est le pouvoir principal dont dispose l'opposition : celui de rejeter une loi présentée par le gouvernement lors de son examen par l'Assemblée. Une fois cet examen effectué par une des huit commissions permanentes, le texte est soumis au vote de tous les députés dans l'hémicycle.
Or, avec 245 sièges, le camp d'Emmanuel Macron se trouve loin des 289 députés nécessaires à la majorité absolue. Le gouvernement devra donc convaincre 44 députés au sein des autres groupes et réfléchir à des alliances pour faire adopter ses textes.
2La motion de censure
Cette arme parlementaire, définie dans l'article 49 de la Constitution, permet d'engager la responsabilité du gouvernement et, si elle aboutit, de le renverser. Concrètement, une motion peut être déposée si elle est signée par au moins un dixième des députés (soit 58 élus). Un vote est ensuite organisé dans l'hémicycle. En cas d’adoption à la majorité absolue, soit 289 voix, le Premier ministre doit remettre au président de la République la démission de son gouvernement. Seules les voix favorables à la motion comptent. "Les députés qui s'abstiennent ou ne prennent pas part au vote sont réputés soutenir le gouvernement", précise le site Vie publique.
Sous la Ve République, une seule motion de censure a abouti au renversement du gouvernement. Il s'agit de celle adoptée en octobre 1962 à l'encontre du gouvernement de Georges Pompidou. Déposée par les opposants au projet de réforme introduisant l'élection du président de la République au suffrage universel direct, elle avait été adoptée par 280 voix sur les 480 députés de l'époque.
3La saisine du Conseil constitutionnel
Depuis 1974, les parlementaires de l'opposition peuvent également saisir le Conseil constitutionnel, selon l'article 61 de la Constitution. Cela permet à une minorité de députés (au moins 60) de vérifier si une loi est conforme ou non à la Constitution.
Si, avant 2008, cette saisine ne pouvait être réalisée qu'avant la promulgation d'une loi, elle peut aujourd'hui se faire a posteriori. Les Sages ont ensuite un mois pour statuer sur la loi en question, sauf demande urgente du gouvernement, qui ramène ce délai à huit jours.
Le 17 janvier, les Sages avaient ainsi été saisis par 60 députés de tous bords emmenés par le groupe LFI et par une soixantaine de sénateurs socialistes, au sujet du projet de loi transformant le pass sanitaire en pass vaccinal. Ces parlementaires dénonçaient une atteinte aux libertés fondamentales. Quelques jours plus tard, le Conseil constitutionnel avait validé la plupart des dispositions du projet de loi.
4La constitution de commissions d'enquête
Il est également possible pour les groupes d'opposition de demander la création de commissions d'enquête. Cet outil de contrôle permet aux députés de recueillir des éléments d'information sur des faits précis, notamment par le biais d'auditions.
En ce sens, une commission permanente de l'Assemblée peut choisir de se constituer en commission d'enquête. Cela a par exemple été le cas en juillet 2018, après les révélations du journal Le Monde sur le rôle d'Alexandre Benalla, à l'époque collaborateur d'Emmanuel Macron, lors des violences en marge des manifestations du 1er-Mai. La commission des lois de l'Assemblée s'était alors constituée en commission d'enquête et avait mené un mois d'auditions, qui avaient vu se succéder plusieurs hauts responsables de la police et des membres du gouvernement. La commission des lois du Sénat avait fait de même, pendant six mois.
La création d'une commission d'enquête peut aussi être demandée à l'initiative des députés. Ainsi, chaque président de groupe peut réclamer, une fois par session ordinaire – du premier jour ouvrable d'octobre au dernier jour ouvrable de juin –, "qu'un débat sur une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête soit inscrit d'office à l'ordre du jour d'une séance en cours", rapporte le site de l'Assemblée nationale.
A ce titre, les députés Eric Ciotti (LR) et Alexis Corbière (LFI) ont récemment affirmé vouloir convoquer une commission d'enquête au sujet des incidents survenus en marge de la finale de la Ligue des champions au Stade de France. La même démarche est en cours au Sénat, qui commence à rendre à publics les résultats de ses auditions.
Une fois constituées, les commissions d'enquête sont composées de 30 députés maximum, choisis de manière proportionnelle dans tous les courants politiques. Le site de l'Assemblée précise que "les fonctions de président ou de rapporteur reviennent automatiquement à un membre d’un groupe d’opposition ou d’un groupe minoritaire". A l'issue des investigations, un rapport est publié, sauf opposition de la commission, et peut mener à un débat dans l'hémicycle. "Il conduit souvent à des recommandations et, parfois, au dépôt d’une proposition de loi", précise le site Vie publique.
5La présidence de la commission des finances
Présidée jusqu'ici par le député Eric Woerth (ex-LR récemment rallié à la majorité présidentielle), la commission des finances représente un enjeu majeur. Déjà revendiquée par le RN, elle constitue un contre-pouvoir important : elle contrôle notamment les budgets arrêtés dans les lois de finances, "grâce aux pouvoirs d'investigation dont disposent ses rapporteurs spéciaux", explique le site de l'Assemblée. Elle est également chargée d'évaluer les lois de financement de la sécurité sociale. Dans un futur proche, c'est elle qui sera chargée d'examiner à l'Assemblée le projet de loi sur le pouvoir d'achat que le gouvernement doit présenter d'ici au mois de juillet.
Selon l'article 39 du règlement de l'Assemblée, le président de la commission des finances doit appartenir à un groupe d'opposition. L'usage veut qu'il soit issu de la plus importante de ces forces d'opposition.
6Une journée de séance par mois réservée à l'opposition
Enfin, les députés de l'opposition disposent d'une journée par mois réservée dans l'hémicycle. Ainsi, selon l'article 48 de la Constitution, "un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l’initiative des groupes d’opposition".
Concrètement, cela signifie qu'une fois par mois, les députés de l'opposition peuvent décider quels seront les sujets abordés lors d'une séance. L'occasion pour eux d'organiser des débats sur le sujet de leur choix, ou de présenter leurs propositions de loi.
* Franceinfo a opéré différentes vérifications et a décidé d'intégrer dans les rangs de la Nupes deux candidats étiquetés Divers gauche par le ministère de l'Intérieur. Contrairement aux chiffres du ministère, les projections en sièges de la Nupes comptabilisent donc, dans cet hémicycle, les députés Joël Aviragnet et Hervé Saulignac. Toutes nos explications se trouvent dans cet article.
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