Qu'est-ce que le groupe des Patriotes pour l'Europe, au sein duquel le Rassemblement national va siéger à Bruxelles ?

Le président du RN Jordan Bardella va présider cette alliance regroupant des partis européens souverainistes et d'extrême droite. Certains affichent leur soutien à la Russie et leur opposition à l'immigration.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, s'exprime au soir du second tour des élections législatives, le 7 juillet 2024, à Paris. (GUILLAUME PINON / HANS LUCAS / AFP)

Une annonce majeure pour le Parlement européen, glissée un soir d'un scrutin français. "Nos eurodéputés joueront dès demain pleinement leur rôle au sein d'un grand groupe qui pèsera dans les rapports de force en Europe", a déclaré Jordan Bardella au soir du second tour des élections législatives, dimanche 7 juillet. Le chef du Rassemblement national, dont la formation a fortement progressé sans obtenir la majorité qu'elle espérait, a annoncé dans la foulée le ralliement de son parti aux Patriotes pour l'Europe au Parlement européen. Il devient même leur président.

Ce groupe initié par le Premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orban défend une ligne souverainiste, s'oppose au soutien militaire à l'Ukraine et entend promouvoir la "famille traditionnelle". Avec 84 eurodéputés venant d'une dizaine de pays, les Patriotes pour l'Europe constitueront la troisième force au Parlement européen, devant les familles politiques de Giorgia Meloni et Emmanuel Macron. Franceinfo vous explique le positionnement de cette nouvelle formation.

Un groupe fondé par le nationaliste hongrois Viktor Orban

"Une nouvelle ère commence", a déclaré dimanche le Premier ministre hongrois en annonçant la création du groupe Patriotes pour l'Europe depuis Vienne, en Autriche. Viktor Orban dit vouloir "changer la politique européenne". Pour former ce groupe, le dirigeant, déjà soutenu par le Tchèque Andrej Babis, fondateur du parti centriste et populiste Ano, et l'Autrichien Herbert Kickl, chef de la formation d'extrême droite FPÖ, avait encore besoin de l'appui d'élus issus de quatre autres Etats membres.

Très vite, il a été rejoint par cinq partis : le Parti pour la liberté (PVV) du Néerlandais Geert Wilders, le portugais Chega, l'espagnol Vox, le Parti populaire danois et le parti d'extrême droite indépendantiste flamand Vlaams Belang. Lundi, après le Rassemblement national, la Ligue de l'Italien Matteo Salvini les a rejoints. 

"En créant ce nouveau groupe, Viktor Orban veut exercer le leadership sur la droite nationaliste et illibérale européenne", analyse auprès de franceinfo Thierry Chopin, conseiller spécial de l'Institut Jacques-Delors. Il a d'autant plus besoin d'alliés que son parti, le Fidesz, a perdu un siège et ne compte que 11 élus à l'issue des élections européennes de mai. Ils ne détiennent donc pas un "important pouvoir institutionnel" à Bruxelles, explique ce spécialiste de la politique européenne.

Dans la précédente législature, plusieurs formations des Patriotes, dont le Rassemblement national, étaient membres du groupe Identité et démocratie (ID), désormais vidé de ses troupes. Seules deux petites formations, d'Estonie et de République tchèque, n'ont pas suivi leurs alliés au sein des Patriotes pour l'Europe. Vox, de son côté, a quitté le groupe des Conservateurs et Réformistes Européens (ECR) de Giorgia Meloni. Plus étonnant : le parti tchèque Ano se rallie à eux depuis Renew Europe, où il siégeait jusqu'ici avec, notamment, les eurodéputés français de Renaissance.

La troisième force du Parlement européen

Avec le ralliement du RN, qui envoie 30 eurodéputés à Bruxelles, et des 8 élus de la Ligue italienne, les Patriotes comptent au total 84 eurodéputés de 12 nationalités. Le groupe devient donc, pour l'heure, la troisième force du Parlement européen, derrière le groupe de la droite proeuropéenne (Parti populaire européen, PPE)  et ses 188 membres, et celui des sociaux-démocrates (S&D), qui totalise 136 élus.

Avec le plus grand nombre d'eurodéputés, le RN a pris de facto la direction des Patriotes. L'objectif est de représenter "le mouvement souverainiste" pour "réellement influer sur les décisions du Parlement", a déclaré l'eurodéputé RN Jean-Paul Garraud auprès de l'AFP. "Nous sommes résolument contre l'aspect ultra-fédéraliste de l'UE, le fait qu'elle veuille à tout prix dominer les Etats".

La force des Patriotes devrait permettre à ses membres de disposer d'un temps de parole et de moyens financiers accrus. Et potentiellement de décrocher des postes clés : vice-présidents du Parlement, présidences de commissions, rapporteurs... Même s'il est hautement probable que le PPE, les S&D, les Verts et la gauche radicale (The Left) s'opposent à la nomination de tout élu de ce groupe.

"Jusqu'ici, il y avait un cordon sanitaire, allant du PPE aux libéraux, pour empêcher la nomination d'élus d'extrême droite à des postes à responsabilité."

Thierry Chopin, conseiller spécial de l'Institut Jacques-Delors

à franceinfo

Ce cordon pourra-t-il être maintenu avec la nouvelle amplitude des Patriotes ? "Avec l'évolution électorale, ça me paraît difficile de nous opposer encore cette position totalement antidémocratique", rétorque le RN Jean-Paul Garraud. Par ailleurs, les marges de manœuvre de la coalition majoritaire au Parlement (PPE, sociaux-démocrates, libéraux) s'annoncent réduites, et l'adoption de législations plus difficile. "Le centre de gravité s'est déplacé à la droite de la droite, les voix nationalistes vont être plus fortes", confirme Thierry Chopin. D'autant plus si les Patriotes s'allient avec ECR, l'autre groupe d'extrême droite, avec lequel ils partagent des idées. "Il y aura une imprévisibilité, une instabilité plus grande", imagine le politiste.

Un regroupement de personnalités proches de la Russie

Les Patriotes affichent une tendance russophile. Viktor Orban, dont le pays exerce pour six mois la présidence tournante du Conseil de l'UE, est le seul dirigeant de l'UE à être resté proche du Kremlin depuis le début de la guerre en Ukraine. Le 5 juillet, il s'est rendu à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine et aborder le conflit, hérissant ses partenaires européens. En début d'année, il avait également mis son veto à une enveloppe de 50 milliards d'euros adressée par l'UE à Kiev, qui avait finalement été validée avec retard. Une ligne qui le distingue notamment de Giorgia Meloni et du groupe ECR.

Le FPÖ autrichien, par la voix de son dirigeant Herbert Kickl, soutient aussi Moscou et a dénoncé les sanctions européennes contre la Russie, rappelle Le Monde. Quant à Matteo Salvini, le chef de la Ligue italienne, il a durant des années affiché son admiration pour Vladimir Poutine, avant de s'en éloigner.

Ces positions rappellent l'ambivalence du Rassemblement national au sujet de Moscou. Durant la campagne pour les élections législatives, Jordan Bardella a encore assuré qu'il soutenait Kiev et ne laisserait pas "l'impérialisme russe absorber un Etat allié comme l'Ukraine". "Le RN a une stratégie de normalisation au niveau national, mais il continue de siéger au niveau européen avec des partis qui ont un positionnement de radicalisation", pointe Thierry Chopin. "Le RN et Jordan Bardella font un pas vers une sorte de clarification", renchérit sur franceinfo Erwann Lecoeur, politologue spécialiste de l'extrême droite à l'Université Grenoble Alpes. "Ils rentrent dans un groupe qui est très nettement plutôt anti-UE, plutôt pro-Poutine... D'une certaine façon, ça va aussi peut-être peser sur l'avenir du RN en France, si jamais les médias français en parlent."

Des positions homophobes, racistes et antivax

Au-delà de Viktor Orban, déjà connu pour ses atteintes à l'État de droit en Hongrie, ses attaques contre le droit d'asile, ses lois LGBTphobes et des soupçons de détournements de fonds publics, le groupe des Patriotes compte dans ses rangs plusieurs autres partis ou personnalités ayant déjà défendu des positions discriminantes.

Le chef du Parti autrichien de la Liberté (FPÖ), Herbert Kickl, tient un discours virulent contre les migrants, la presse ou encore la vaccination. En 2021, en pleine pandémie de Covid-19, il avait brandi à la télévision un certificat médical montrant qu'il n'avait pas d'anticorps liés au coronavirus, afin de contrer "les rumeurs" selon lesquelles il se serait fait "vacciner en secret", raconte la RTBF. En Belgique, le Vlaams Belang prône l'indépendance de la Flandre et épouse la thèse complotiste et raciste du "grand remplacement", tandis que Vox, en Espagne, affiche un discours antimigrants et xénophobe.

En Italie, le général Roberto Vannacci, élu aux européennes sur la liste de la Ligue, ne cache pas son admiration pour le dictateur Benito Mussolini, estime que l'écologie est "idéologique" et que les féminicides sont une invention, liste Le Monde. Il a également multiplié les propos homophobes et racistes, déclarant au sujet de la volleyeuse noire italienne Paola Egonu que "ses traits ne représentent pas l'italianité", ou écrivant dans un livre que les homosexuels n'étaient pas "normaux".

"Je n'ai pas connaissance de ces propos, je ne les partage pas et je les condamne", avait assuré Jordan Bardella, interrogé à ce sujet lors de la campagne des européennes. Roberto Vannacci fait désormais partie de ses six vice-présidents à la tête des Patriotes pour l'Europe.

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