Qui est Laurence Tubiana, l'aspirante Première ministre du Nouveau Front populaire qui ne convainc pas LFI ?

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La directrice de la Fondation européenne pour le climat, Laurence Tubiana, à la COP25, à Madrid (Espagne), le 13 décembre 2019. (FERNANDO VILLAR / EFE / SIPA)
Architecte de l'accord de Paris, cette figure de la diplomatie climatique a su, en 2015, mettre le monde autour de la table. Pourtant, elle pourrait être à l'origine d'une rupture au sein du NFP, toujours en quête d'un nom pour Matignon.

Tubiana or not Tubiana, telle est la question qui divise le Nouveau Front populaire (NFP). Après le refus par le Parti socialiste d'adouber la présidente du conseil régional de La Réunion, Huguette Bello, comme candidate de l'alliance de la gauche au poste de Premier ministre, la contre-proposition du PS (soutenue par les écologistes et les communistes) relance le bras de fer, mardi 16 juillet, au sein de la fragile coalition. Economiste et diplomate, issue de la société civile, présidant la Fondation européenne pour le climat depuis 2017, Laurence Tubiana, 73 ans, ne convainc pas la quatrième composante du NFP, La France insoumise.

Le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, interrogé sur le plateau des "4 Vérités" sur France2, juge cette proposition "pas sérieuse", car elle revient à faire "rentrer par la fenêtre les macronistes". En guise de pièce à conviction : une tribune publiée le 11 juillet dans Le Monde et signée par Laurence Tubiana, appelant Le Nouveau Front populaire à "tendre la main aux autres acteurs du front républicain".

Faute de majorité dans l'hémicycle, le programme porté par le NFP aux législatives doit être "le point de départ" des discussions, mais "ne sera pas le point d'arrivée dans tous les domaines", constatent ses auteurs. Compromission avec la macronie ? Réflexe de diplomate ? Parmi ceux qui l'ont côtoyée au cours d'une longue carrière au service de la cause climatique, beaucoup voient sa capacité de dialogue comme un atout.  

Une approche sociale de la crise climatique 

Dans une interview au Monde en 2020, Laurence Tubiana se définissait volontiers comme "une femme de gauche et écologiste". Mais ce sont bien des socialistes qui ont sollicité les premiers l'expertise de cette économiste de formation, spécialisée dans les questions climatiques et de gouvernance mondiale. Au tournant du siècle dernier, l'universitaire est ainsi devenue la conseillère au développement durable du Premier ministre socialiste Lionel Jospin. A une époque où les dirigeants découvraient le potentiel destructeur d'une crise climatique, elle a alerté sur les aspects sociaux des questions environnementales. Laurence Tubiana a été "parmi les premières personnes" à transmettre à Dominique Voynet "la conviction que la question climatique va être un bouleversement sur le plan économique", affirmait l'année dernière l'ancienne ministre de l'Environnement de Lionel Jospin à franceinfo

Autrice en 2000 d'un rapport sur le développement durable dans la politique extérieure de la France pour le compte de Matignon, elle appelait alors la France à "défini[r] une politique nationale cohérente à long terme avec les objectifs de développement durable", posant les bases d'un Institut du développement durable et des relations Internationales, l'Iddri, qu'elle a fondé en 2001. Son successeur à la tête de cette structure, Sébastien Treyer, vante aujourd'hui une "avocate infatigable d'une plus grande ambition en matière sociale, face aux multiples fracturations qui traversent notre société." 

Quant à Friederike Roder, vice-présidente de l'organisation internationale de lutte contre la pauvreté Global Citizen, elle met en avant les "efforts récents" de Laurence Tubiana "pour réformer la fiscalité internationale et mettre en place des taxes sur les ultrariches et les secteurs les plus polluants." Des mesures qui figurent dans le programme du NFP. 

"Prendre en compte le point de vue de l'autre"

Pour Sébastien Treyer, "Laurence Tubiana est connue pour sa capacité d'écoute de toutes et de tous", au point de "trouver des solutions à des blocages qui paraissaient insolubles". Pour ceux qui ont travaillé avec elle, rien n'illustre mieux cette compétence que l'issue de la COP21, la conférence de l'ONU pour le climat, à Paris, en 2015. Dans le documentaire réalisé par le ministère des Affaires étrangères sur les coulisses de l'accord de Paris, Laurent Fabius revient sur l'atout qu'a représenté Laurence Tubiana à la tête de la délégation hôte : "Parce qu'elle sait bien écouter, parce qu'elle sait prendre en compte le point de vue de l'autre, elle arrive à convaincre et c'est une grande qualité."  

Laurence Tubiana, représentante spéciale du gouvernement français pour la conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques et le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, célèbrent l'accord trouvé à l'issue de la conférence, à Paris, le 12 décembre 2015. (WITT/ SIPA PRESS/SIPA / SIPA)

Rebaptisée depuis "architecte de l'accord de Paris", Laurence Tubiana est assise à droite du ministre quand il proclame la signature de cet accord qui, en engageant 160 pays vers des objectifs différenciés de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a relancé la diplomatie climatique. "Laurence a la capacité de faire dialoguer des gens qui ne sont pas forcément là pour dialoguer, sur un sujet très complexe", appuie Benoît Leguet, directeur général de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) et collègue de Laurence Tubiana au sein du Haut Conseil pour le climat (HCE).

Membre de cet organe depuis sa création par Emmanuel Macron, en 2019, la négociatrice défend régulièrement son indépendance. Elle dénonce d'ailleurs auprès du Monde le "gouffre abyssal entre le discours et les actes" de l'exécutif. Cette "incohérence", qu'elle juge "insupportable", convainc même la diplomate du pouvoir supérieur des "mobilisations citoyennes" sur "un casting gouvernemental", explique-t-elle. 

Le temps presse, une fois encore 

C'est dans ce contexte qu'elle accepte de coprésider le comité d'organisation de la Convention citoyenne pour le climat (CCC). L'initiative, convoquée par Emmanuel Macron, voit le jour dans la foulée de la crise des "gilets jaunes". Elle rassemble 150 citoyens, appelés à débattre pendant un an, en vue de remettre au président une série de mesures conciliant, selon la formule consacrée, "fin du monde et fin du mois". Quand la militante écologiste Mathilde Imer la sollicite, Laurence Tubiana accepte "tout de suite de participer à cette aventure de démocratie participative", explique cette voix du monde associatif. "Car pour elle, écologie et démocratie vont de pair, notamment si on veut une écologie socialement juste".

"Elle était tellement contente qu'il y ait une CCC qu'elle a remercié Macron, mais cela ne veut pas dire qu'elle est inféodée au président", abonde Claire Burlet, membre de la convention et conseillère municipale à Cambrai (Nord), qui se positionne à l'aile gauche de Renaissance. Pour elle, Laurence Tubiana "reste quelqu'un de foncièrement socialiste". "Lors de la CCC, elle était entourée de personnes venant de tous bords, mais toujours à la bonne place, c'est quelqu'un qui sait faire l'exercice", poursuit l'élue.

En voulant une négociatrice comme Première ministre, le PS, les écologistes et les communinistes actent-ils en creux le renoncement à un gouvernement de gauche ? De cette question urgente dépend la survie du mouvement : un horizon plus proche encore que celui de la fin du monde et de la fin du mois. Il s'agit cette fois de se mettre d'accord d'ici la fin de la semaine.

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