: Reportage Législatives 2024 : dans les Yvelines, le grand écart d'Aurélien Rousseau, ancien ministre macroniste passé à gauche pour "faire barrage au RN"
"Et toi, de quel parti viens-tu ?" En arrivant pour un tractage matinal à la gare de Verneuil-sur-Seine dans les Yvelines, mercredi 19 juin, Aurélien Rousseau se renseigne sur les militants qui l'entourent. Socialistes, écologistes et communistes sont réunis autour de la bannière du Nouveau Front populaire pour aider l'ancien ministre de la Santé d'Emmanuel Macron à "faire barrage au Rassemblement national", selon le mot d'ordre mobilisateur.
Les insoumis sont attendus un peu plus tard sur le marché de cette commune de 15 000 habitants. "On ne va pas cacher qu'on a des différences", admet rapidement l'ex-directeur de cabinet d'Elisabeth Borne, qui a quitté le gouvernement en décembre 2023 sur un désaccord après le vote de la loi immigration. "Mais là, il y a un truc qui me fait peur et qui semble possible, c'est une majorité pour le RN. Je me bats d'abord contre ça."
Dans la 7e circonscription des Yvelines, l'énarque, qui a dirigé l'agence régionale de santé d'Ile-de-France pendant la pandémie du Covid-19, se retrouve face à une autre ancienne ministre d'Emmanuel Macron, Nadia Hai, en charge de la Ville quand Jean Castex était à Matignon. En 2022, cette macroniste avait emporté la mise avec 56% des voix face à une candidate socialiste de la Nupes. Deux ans plus tard, aux européennes, le Rassemblement national y est arrivé en tête avec 23,5% des voix. Pour les législatives, la formation d'extrême droite a choisi comme candidate la médiatique cheffe cuisinière Babette de Rozières, qui se présente sous la bannière LR-RN.
Pour autant, à gauche, on a sorti la calculette. Sur cette terre d'élection de l'ancien Premier ministre Michel Rocard, l'addition des voix obtenues par les quatre partis du Nouveau Front populaire s'élève à 37%. "La 7e circonscription est gagnable, donc ça ne m'a pas trop étonnée qu'ils choisissent quelqu'un de plus connu", confie la socialiste Michèle Christophoul, qui défendait le camp de la Nupes en 2022.
"Emmanuel Macron a fait une erreur"
Le parachutage de cet ancien ministre, choisi par Place publique, le parti de Raphaël Glucksmann, s'est décidé "très vite" dans la journée du vendredi 14 juin. Le samedi soir, il rencontrait sa directrice de campagne, une élue de Conflans-Sainte-Honorine, et dès le dimanche, il entamait sa campagne sur les marchés. "Avec la dissolution, Emmanuel Macron a fait une erreur dans son calcul politique, en pariant sur le fait que la gauche n'arriverait pas à s'unir", analyse-t-il.
"On ne peut pas avoir un seul choix entre le RN et Renaissance, ce n'est pas démocratique. Donc c'est un rassemblement contre le Rassemblement national, mais aussi contre le piège tendu à la gauche."
Aurélien Rousseau, candidat du Nouveau Front populaireà fraceinfo
Son arrivée a fait quelques déçus parmi les prétendants à une investiture, et décontenancé une partie des militants de gauche. "Les insoumis jouent bien le jeu, on travaille ensemble et ça se passe bien", assure cependant Michèle Christophoul. "J'ai été un peu surprise, mais bon, ce sont les programmes qui comptent", avoue de son côté Maritza, militante communiste, en brandissant la feuille contenant les dix engagements du Nouveau Front populaire. "Je suis un type de gauche, j'ai quitté mes fonctions du jour au lendemain sur un désaccord politique et ce n'est pas facile de quitter un gouvernement", affirme Aurélien Rousseau. Toutefois, il prévient dans le même temps ses nouveaux alliés : "Il y a des prises de position de candidats LFI qui sont intolérables. Il y a des choses, comme l'antisémitisme, avec lesquelles on ne joue pas, c'est du fiel. Et ça, c'est insupportable aussi."
Ce natif du Gard, ancien professeur d'histoire-géographie, père de trois enfants, n'habite pas la circonscription et découvre jour après jour ce territoire tranquille de banlieue parisienne. "Je ne suis pas d'ici, comme le montre mon accent, mais je suis ancré grâce à tous les militants qui m'entourent et j'ai eu le droit à une masterclass militante depuis dimanche", assure-t-il en buvant un grand crème dans l'arrière-cour d'un PMU. "Et les sujets sur cette circonscription sont nationaux : l'éducation, le logement, la pollution, le sentiment de déclassement..."
"Il faut que des gens puissent partir à 60 ans"
Parmi les sujets portés par le programme commun de l'alliance de gauche, il y a aussi l'abrogation de trois réformes d'Emmanuel Macron,"celles sur l'immigration, l'assurance-chômage et les retraites". Entre les étals du marché, Aurélien Rousseau est d'ailleurs interpellé sur ce dernier point. "J'espère que vous expliquerez à vos nouveaux alliés qu'il faut faire cette réforme des retraites, qu'il faut garder l'esprit de responsabilité au regard de l'état d'endettement de la France", lui lance un militant de la majorité présidentielle. "Ni le PS, ni les Verts, ni Glucksmann n'ont l'intention d'aller à la retraite à 60 ans pour tout le monde. Mais il faut que des gens puissent partir à 60 ans, quand ils ont commencé à travailler tôt ou qu'ils ont eu des métiers pénibles" , se justifie le candidat, qui a été militant communiste dans sa jeunesse.
"Mon sujet principal, c'est de sauver le système de retraites par répartition. Je pense qu'on aura des débats sur les modalités d'une nouvelle réforme."
Aurélien Rousseauà franceinfo
A l'image d'Emmanuel Macron lors d'une interview le 14 juin, les anciens "amis" d'Aurélien Rousseau dénoncent "l'incohérence" du candidat. "Il a renié ses origines, ses combats menés aux côtés d'Emmanuel Macron. Il a été l'auteur de la réforme des retraites", dénonce Nadia Hai, en distribuant des tracts à la sortie du RER à Conflans-Sainte-Honorine. "Il y a une contradiction avec ce qu'il a porté et avec une partie de ses valeurs", enfonce-t-elle.
"Ne pas se réveiller avec la gueule de bois"
"On a l'impression que j'étais le professeur Nimbus avec des tubes à essai pour concocter la réforme des retraites. J'étais [alors] directeur de cabinet de la Première ministre, mais je n'étais pas ministre, j'étais en situation du conseil", se défend le candidat. Il assure "s'être beaucoup battu" pour tenter de trouver un accord avec les syndicats. Accusé d'avoir "retourné sa veste", le candidat contre-attaque : "J'ai été ministre du président de la République et je suis parti quand j'ai vécu le changement d'orientation politique. Emmanuel Macron, je ne crois pas qu'il ait été élu sur la loi immigration, sur le fait d'employer le mot 'immigrationniste' comme il l'a fait hier [mardi], mais il a été élu pour faire faire barrage au RN."
Sur le marché de Verneuil-sur-Seine, le candidat Rousseau doit tour à tour répondre à la colère des agriculteurs, à une enseignante d'une école Montessori ou encore à l'inquiétude concernant les hausses d'impôts. "Cela fait du bien de passer de la théorie des dossiers à la réalité du terrain", assure l'ancien ministre. "Moi, je suis inquiète par rapport à la fiscalité, au bout du compte ce sont les classes moyennes qui vont payer, car il va bien falloir régler la dette", lance une habitante. "On a une politique qui a aidé les plus riches ces dernières années, donc je pense qu'on peut aussi rétablir un peu de justice fiscale", répond Aurélien Rousseau. Et quand il arrive à court d'arguments, il revient aux fondamentaux : "Le plus important, c'est de ne pas se réveiller le 8 juillet avec la gueule de bois et le RN au pouvoir."
Liste des candidats pour le premier tour :
- Ali KAYA (extrême gauche)
- Babette DE ROZIERES (Union de l'extrême droite)
- Colette AUBREE (Reconquête !)
- Nadia HAI (Ensemble ! (Majorité présidentielle))
- Jack LEFEBVRE (Extrême gauche)
- Julien FRÉJABUE (Les Républicains)
- Aurélien ROUSSEAU (Union de la gauche)
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