"Une volonté de soumission, voire d'avilissement" : au procès des viols de Mazan, la peine maximale de vingt ans de réclusion requise contre Dominique Pelicot

Le septuagénaire, principal accusé de ce procès, est poursuivi pour avoir drogué, violé et fait violer par 50 hommes son épouse, Gisèle Pelicot. "Il a infligé en toute conscience à sa femme et sa famille toute entière une souffrance indicible", a dénoncé la vice-procureure.
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
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Les avocats généraux, Jean-Francois Mayet et Laure Chabaud, au tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 2 septembre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Il est "la clef de voûte" de cette affaire "hors normes". Au procès des viols de Mazan, l'accusation a requis, lundi 25 novembre, vingt ans de réclusion criminelle, soit la peine maximale, contre Dominique Pelicot, pour avoir, entre juillet 2011 et octobre 2020, drogué, violé et fait violer son épouse par des dizaines d'hommes recrutés sur internet. "Je vous demanderai de déclarer Dominique Pelicot coupable de l'ensemble des faits qui lui sont reprochés", a déclaré l'avocate générale Laure Chabaud, dans une salle d'audience pleine à craquer.

"Vingt ans, c’est à la fois beaucoup, parce que vingt ans de la vie d’un homme, ce n’est pas rien, et vingt ans à vivre dans les quatre murs d’une prison, ce n’est pas rien, a-t-elle poursuivi. Vingt ans, c’est à la fois beaucoup et trop peu au regard de la gravité des faits commis et répétés."

Le parquet a aussi requis dix ans de suivi sociojudiciaire assorti d'une injonction de soins. Il a demandé à ce qu'à la fin de sa peine, Dominique Pelicot "fasse l'objet d'un réexamen, en vue d'une éventuelle mesure de rétention". Trois circonstances aggravantes ont été retenues : qu'il ait commis et organisé ces viols en sa qualité de conjoint de la victime, que ces faits aient eu lieu en réunion, et que la victime ait été sous l'emprise d'une soumission chimique. Pendant près d'une décennie, Dominique Pelicot a drogué son épouse Gisèle en dissimulant des cachets d'anxiolytiques dans sa nourriture.

Pour l'avocate générale, "le passage à l'acte" de Dominique Pelicot "ne peut être dissocié de l'étude de [sa] personnalité", rappelant que sa sexualité est "marquée par des déviances multiples". L'homme est "structuré sur un mode pervers", les femmes sont à ses yeux "déshumanisées, réduites à l'état d'objet". L'expert psychiatre Paul Bensussan a fait état le concernant d'un fonctionnement "très pathologique, avec des mécanismes de défense archaïques, animés par le clivage et le déni". La magistrate a toutefois rappelé que le septuagénaire ne souffre d'aucune pathologie mentale.  

Animé par "la recherche de son propre plaisir"

Elle a souligné que des individus, dans l'histoire criminelle, ont pu "se montrer absolument charmants et, dans le même temps, capables des pires atrocités". A ses yeux, Dominique Pelicot répond à ce cas de figure : "Il était un mari attentionné, un père affectueux, mais qui a infligé en toute conscience à sa femme, et sa famille toute entière, une souffrance indicible par des actes niant toute humanité à sa victime".

Il était animé par "la recherche de son propre plaisir" qui passait par "une volonté de soumission de son épouse, voire d'avilissement" de celle-ci. Laure Chabaud a notamment appelé les propos orduriers tenus par Dominique Pelicot la concernant dans les nombreuses vidéos qui ont pu être visionnées à l'audience. 

"Pour 'soumettre une femme insoumise', selon ses propres mots, Dominique Pelicot a opté pour la soumission chimique."

Laure Chabaud, vice-procureure

devant la cour criminelle du Vaucluse

La magistrate a rappelé que l'accusé avait reçu une vingtaine de prescriptions médicamenteuses, notamment pour du Temesta "dans sa forme la plus dosée", dont il s'était fait délivrer un total de "780 comprimés", mais également du Zolpidem, un puissant somnifère dont des traces importantes ont été retrouvées dans les cheveux de la victime. 

Elle a rappelé l'état de "confusion" et les nombreuses "absences" de Gisèle Pelicot du fait de cette ingestion de médicaments, dans des doses telles qu'elles auraient pu engager "son pronostic vital", comme l'a souligné un expert en toxicologie pendant le procès. Gisèle Pelicot avait été victime d'un accident de voiture sous les effets de ces cachets.

Pas de "traduction juridique" aux "souffrances" d'une de ses filles

Au-delà des multiples viols infligés à son ex-épouse et de la soumission chimique, la vice-procureure a aussi demandé que Dominique Pelicot soit reconnu coupable d'avoir pris et diffusé de multiples photographies intimes de Gisèle Pelicot mais aussi de ses belles-filles, qu'il a photographié nues dans leur salle de bain, avant d'en faire des photomontages à caractère pornographique. "Aucune limite ne semble opérante chez Dominique Pelicot qui va jusqu'à écrire : 'Je suis entouré de belles salopes'", a rapporté Laure Chabaud.

Elle s'est également arrêtée sur les deux photographies de sa fille Caroline Darian dénudée, qui étaient enregistrées sous le nom "Ma fille à poil". "Caroline est convaincue d'avoir été, elle aussi, droguée par son père, dans la mesure où elle ne dort jamais dans cette position, qu'elle aurait dû être réveillée par lumière dans la pièce et que la culotte portée n'était pas la sienne", a rapporté l'avocate générale. Elle a rappelé que sur ces faits, Dominique Pelicot a adopté "une position inhabituelle", puisque "ce sont les seuls qu'il conteste, allant jusqu'à dire qu'il n'est pas sûr que ce soit elle sur les images". Et assurant "qu'il n'en gardait pas le souvenir, comme si on pouvait oublier de tels faits".

Laure Chabaud a toutefois observé qu'aucun élément n'a été découvert permettant de "trouver une traduction juridique" aux "souffrances" de Caroline Darian. Celui que cette dernière désigne désormais comme son "géniteur", et qu'elle a invectivé à plusieurs reprises à l'audience, n'est donc pas poursuivi pour viols sur sa fille, mais uniquement pour "atteinte à la vie privée par enregistrement et fixation d’images à caractère sexuel".

Une peine de 17 ans requise contre un disciple de Dominique Pelicot

L'avocate de Dominique Pelicot, Béatrice Zavarro, a décrit son client comme "abattu". "On se préparait à ce que la peine maximale soit réclamée, il n'y a pas de surprise", a-t-elle cependant reconnu. Reste à savoir quelles peines l'accusation va réclamer contre les 50 coaccusés.

Une seule réquisition est tombée mardi matin, concernant Jean-Pierre M., un cas à part parmi les accusés, puisqu'il n'est pas accusé d'avoir violé Gisèle Pelicot, mais poursuivi pour avoir violé et fait violer sa propre épouse, avec la complicité de Dominique Pelicot. Le ministère public a requis 17 ans de réclusion criminelle à son encontre. Au total, les deux hommes ont eu "une dizaine de rendez-vous sur une dizaine d'années", a relevé l'avocat général, Jean-François Mayet, estimant que Jean-Pierre M. "avait le temps suffisant pour se rendre compte de ce qui se jouait".

Les autres réquisitions s'étaleront jusqu'à mardi soir, voire mercredi midi. Le parquet devrait faire une différence entre les récidivistes – quatre hommes sont venus six fois et six sont venus deux fois – et les accusés venus une seule fois à Mazan. "On ne peut plus, en 2024, considérer que, parce qu'elle n'a rien dit, c'est qu'elle était d'accord", a prévenu Laure Chabaud, alors que l'essentiel des accusés ont affirmé ne pas avoir compris que la victime n'était pas consentante. "Il n'y avait rien d'ambigu, ni dans le contexte, ni dans l'attitude de Gisèle Pelicot, qui pouvait laisser croire à ces hommes qu'elle était d'accord pour subir ces actes sexuels dans l'état léthargique qui était le sien", a-t-elle la vice-procureure.

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