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Procès de Jawad Bendaoud : "Son attitude extravagante peut finalement lui être favorable"

Entre coups de colère et déclarations surréalistes, Jawad Bendaoud a provoqué l'agacement des parties civiles. Mais son comportement pourrait-il jouer en sa faveur ? Franceinfo a posé la question à Julia Katlama, avocate pénaliste.

Article rédigé par Kocila Makdeche - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un dessin représente Jawad Bendaoud, le 24 janvier 2018, le premier jour de son procès à Paris.  (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Cinquième jour du "Jawad Bendaoud Show". Les parties civiles doivent prendre la parole, mardi 30 janvier, lors du procès du "logeur de Daech". Ce trentenaire est jugé pour "recel de malfaiteurs terroristes" après avoir hébergé dans un squat deux terroristes des commandos du 13-Novembre. Lundi, la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris s'est penchée sur la personnalité trouble du prévenu.

>> Suivez en direct la cinquième journée du procès de Jawad Bendaoud

Depuis le début de son procès, Jawad Bendaoud tente convaincre les magistrats qu'il ignorait héberger des terroristes. Il a ainsi multiplié les coups de colère et les sorties surréalistes. S'il prête parfois à sourire, son comportement a provoqué l'agacement des familles de victimes. Cette attitude pourrait-elle faire partie d'une stratégie de défense ? Pour y voir plus clair, franceinfo a interrogé Julia Katlama, avocate pénaliste et ancienne secrétaire de la conférence du Barreau de Paris.

Franceinfo : Menaces aux avocats, logorrhées surréalistes... Est-ce que l'attitude turbulente de Jawad Bendaoud à la barre peut finalement jouer en sa faveur ?

Julia Katlama : Il faut bien avoir conscience que nous sommes face à un dossier hors norme avec un prévenu lui-même un peu hors norme. On retrouve chez Jawad Bendaoud une personnalité qui apparaît comme immature et narcissique, des traits présents chez de nombreuses personnes au profil de délinquant. En plus, il faut considérer les conditions extrêmes de sa détention actuelle (il est placé à l’isolement depuis près de deux ans) et la médiatisation sans pareil dont il a fait l’objet. Difficile de croire que cela n’a pas eu d’effet sur son état psychique. Il a l’occasion d’avoir une tribune très médiatisée sauf qu’il y entre après des mois et des mois d’isolement.

Il passe de l’ombre à la lumière très brutalement. Il faut considérer tous ces éléments pour comprendre son comportement à la barre.

Julia Katlama

à franceinfo

Son attitude extravagante peut finalement lui être favorable dans le sens où elle colle à la version des faits qu’il expose. Il donne ainsi l'image d'un homme centré sur lui-même, qui cherche à gagner de l'argent rapidement sans réfléchir aux conséquences de ses actes. Lorsqu'il est questionné par les avocats des parties civiles et qu'il les menace, il semble égal à lui-même, franc, sans filet. Sa spontanéité déconcertante, qui de prime abord apparaît être une défense catastrophique, donne, à mon sens, du crédit au personnage qu’il disait être à l’époque des faits et donc in fine, un peu à sa version des faits.

Ne va-t-il pas trop loin en jouant la carte du délinquant sincère ? Par exemple, lorsqu'il avoue à la barre vouloir se remettre à vendre de la cocaïne une fois sorti de prison ?

Lorsqu'il a dit vouloir vendre de la cocaïne en sortant de prison, je vois surtout de sa part, une provocation à l'endroit des magistrats et du système judiciaire. On a cette impression qu'il se sent déjà condamné, qu'il n'a plus rien à perdre. Il ne joue clairement pas le jeu de la justice, en mettant, comme c’est de bonne défense, en avant un projet de réinsertion, travaillé et réfléchi.

Le problème, c'est qu'en adoptant cette posture, il semble se moquer de l'institution judiciaire et cela pourrait lui porter préjudice.

Julia Katlama

à franceinfo

Maintenant, encore une fois, cela a l'avantage de sembler authentique. Les magistrats peuvent aussi se méfier des prévenus qui surjouent. Des accusés qui ont trop préparé leur défense avec des mots qui apparaissent clairement ne pas être les leurs. Jawad Bendaoud n’est pas dans ce registre.

Comment fait un avocat pour assurer la défense d'un prévenu qui semble à ce point incontrôlable ?

Il est d'abord important de bien préparer l'audience en amont avec son client. De lui expliquer ce qu’il peut dire ou ne pas dire devant un juge. De tester les questions avec lui. Mais parfois, malgré tous nos efforts, celui-ci finit par se laisser submerger par l'émotion à l’audience. A la barre, il arrive que le prévenu stresse et se lance dans des longues logorrhées qui le desservent.

Certains, face à la frustration de ne pouvoir s’exprimer comme ils le souhaiteraient ou le sentiment de ne pas être compris par l’institution judiciaire, finissent par hurler et insulter tout le monde, pour le regretter la minute d’après où ils ont quitté le box.

Julia Katlama

à franceinfo


Quand un accusé est sur le point de déraper, son avocat tente de stopper l'hémorragie. Cela peut passer par un simple regard. Pour cela, il faut avoir une autorité suffisante sur son client mais aussi qu’il ait une grande confiance en vous. Parfois, nous intervenons pour interrompre notre client sur sa lancée… Pour Jawad Bendaoud, il est possible que la stratégie de ses conseils soit aussi de le laisser s’exprimer. Dans le cas contraire, cela semble de toutes manières extrêmement compliqué pour ses avocats de le maîtriser…

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