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L'article à lire pour comprendre la déchéance de nationalité

Depuis sa présentation en Conseil des ministres le 23 décembre, le projet d'extension de la déchéance de nationalité aux terroristes divise à droite comme à gauche. 

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Un buste de Marianne, photographié à la mairie de Toulouse (Haute-Garonne), le 4 avril 2014. (PASCAL PAVANI / AFP)

Un projet qui fabriquerait "des Français de souche" , qui créerait à terme une catégorie de "Français de seconde zone"... Depuis la décision de François Hollande de maintenir l'extension de la déchéance de nationalité aux terroristes dans le projet de réforme constitutionnelle présenté mercredi 23 décembre, la gauche et la droite s'écharpent autour de cette proposition. 

Qui est vraiment concerné ? Cette proposition remet-elle en question le droit du sol ? Doit-elle inquiéter les binationaux ? Présentée comme "dangereuse" et "inefficace" par ses détracteurs, elle demeure un acte "symbolique fort" dans la lutte contre le terrorisme pour ses partisans. Francetv info vous explique ce qu'il faut savoir pour la comprendre.

On m'a dit que la déchéance de nationalité, c'était un truc du régime de Vichy. C'est vrai ?

"Revenons aux faits (...) Cette déchéance n'a absolument rien à voir avec les actes discriminatoires du régime raciste et antisémite de Vichy", insiste le Premier ministre Manuel Valls, sur son compte Facebook, mardi 29 décembre. "La première procédure de déchéance de nationalité a été instituée par la IIe République." En effet, la dénaturalisation apparaît en France pour la première fois en 1848, elle vise à sanctionner les Français qui continuent de pratiquer l'esclavage, aboli le 27 avril 1848.

Durant la première guerre mondiale, une législation spéciale permet de déchoir de leur nationalité des Français originaires de puissances ennemies, "qui se prêtent à des actes de trahison ou d'insoumission", rappelle Sylvain Saligari, avocat spécialisé dans le droit des étrangers à France 24. Plus de 500 personnes sont touchées. Sous le régime de Vichy (1940-1944), la déchéance est massive et concerne 15 000 cas. "Sont d'abord visés les juifs : 7000 juifs d'origine étrangère perdent la nationalité française. Le reste, ce sont surtout des délinquants." explique l'historien Patrick Weil au Figaro. Ces dispositions sont annulées après guerre par une ordonnance de 1945, qui fixe les grandes lignes de la déchéance de nationalité.

Est-ce que tout le monde peut être déchu de sa nationalité ?

Actuellement, l'article 25 du Code civil (sur Légifrance) prévoit qu'un individu qui a acquis la qualité de Français (droit du sol, mariage, naturalisation) peut être déchu s'il est condamné pour un crime ou un délit précis. Un enfant né en France de parents étrangers peut acquérir la nationalité française à partir de 13 ans, détaille Service Public. Si l'un de ses deux parents est étranger, mais né en France, il est français de naissance, c'est ce qu'on appelle, le "double-droit du sol".

Pour être déchu, il faut qu'il ait été condamné pour "atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation", "constituant un acte terroriste", ou "qu'il se soit livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France" par exemple.

Seules les personnes françaises depuis moins de dix ans peuvent être privées de la nationalité. Le délai est étendu à quinze ans si elles ont commis un crime ou un délit constituant "une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation".

Du coup, c'est possible de se retrouver sans nationalité ?

Non. Depuis la loi Guigou de 1998, la déchéance ne peut s'appliquer qu'à des binationaux, afin de respecter la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui stipule que tous les individus ont "droit à une nationalité" et ne peuvent en être "arbitrairement privés", détaille l'ONU. Dans les faits, la déchéance est peu pratiquée. Selon le ministère de l'Intérieur, 26 déchéances de nationalité ont été prononcées depuis 1973, dont 13 pour terrorisme.

Que changerait la révision constitutionnelle ?

La possibilité de déchoir de leur nationalité des Français binationaux nés Français, et non plus seulement ayant acquis cette nationalité après leur naissance, est le changement principal de cette proposition. Il nécessite la révision de l'article 34 de la Constitution qui définit la loi et délimite son domaine. 

Ça va vraiment dissuader les terroristes de passer à l'action ?

Non, de l'aveu même du Premier ministre, la mesure vise à sanctionner "lourdement", et de "manière symbolique" les auteurs de crimes "contre la vie de la nation", a précisé Manuel Valls lors d'une conférence de presse le 23 décembre. Le Conseil d'Etat lui-même a souligné que la perspective d'une éventuelle déchéance "aurait sans doute peu d'effet dissuasif" sur les candidats aux attaques terroristes.


Le gouvernement maintient l'extension de la déchéance de nationalité

Contrairement au projet initial, les délits ne sont pas concernés et la personne devra avoir été condamnée "définitivement" par un "tribunal indépendant", rappelle le Premier ministre. Suivant l'avis du Conseil d'Etat diffusé le même jour, le terme même de "terroriste" ne sera sûrement pas introduit dans la Constitution. "La conséquence est que cela élargira les crimes potentiellement concernés", explique Serge Slama, "ça sera ensuite au législateur (le Parlement) de préciser quelles sont les infractions exactes qui entrent dans ce champ".

Est-ce vraiment nécessaire de modifier la Constitution ?

Pas vraiment. L'article 23-7 du Code civil  permet déjà de déchoir de la nationalité un Français né Français, et non pas naturalisé,  s'il "se comporte en fait comme le national d'un pays étranger", stipule l'article. "Cette disposition fut adoptée (...) dans une période où l’on approchait de la guerre (...) et en réaction à la loi de 1927 qui prévoyait par exemple la naturalisation après trois ans de séjour seulement." explique l'historien Patrick Weil à Rue89. Cette disposition a été maintenue après la Libération et appliquée à quelques centaines de personnes, des collaborateurs, ou des communistes durant la guerre froide. 

Depuis les années 1950, le Conseil d'Etat a réduit la formule vague de "se comporte en fait", par "défaut de loyalisme", qui peut être assimilé au terrorisme, explique Rue89. Cependant, "on ne peut pas l'utiliser dans le cas actuel, car il faudrait considérer que l'Etat islamique est un Etat", précise Serge Slama, professeur de droit public à l'université de Paris Ouest-Nanterre à francetv info. Même si un amendement à cet article éviterait de modifier la Constitution, "il y aurait toujours un risque d'inconstitutionnalité, explique-t-il, en modifiant la Constitution, l'Etat s'assure à coup sûr la compétence de pouvoir déchoir." 

Si une personne a déjà été condamnée dans le passé, elle pourra être déchue?

Pour fixer les modalités d'application de cette extension, une loi ordinaire sera nécessaire."Si elle est inscrite dans le Code civil, elle aura un effet immédiat", explique Serge Slama. "En revanche, si elle s'inscrit dans le Code pénal, elle n'aura pas d'effet rétroactif". Pour l'instant, le gouvernement ne s'est pas exprimé sur le sujet.

Les auteurs de crimes terroristes déchus de leur nationalité "seront poursuivis et condamnés en France", a affirmé Manuel Valls, en précisant que "c'est seulement à l'expiration de leur peine" qu'ils pourront faire l'objet d'une expulsion du territoire.

Lorsqu'on perd sa nationalité, est-on forcément expulsé ?

"En règle très générale après une déchéance, le ministre de l'Intérieur prend un arrêté d'expulsion", explique le juriste Serge Slama. Dans la plupart des cas, les dénaturalisés saisissent le Conseil d'Etat puis la Cour européenne des droits de l'homme.

"Si leur pays de destination présente des risques réels d'atteinte aux droits de l'homme, la CEDH s'oppose à la mesure en vertu de l'article 3 de la Convention européenne des Droits de l'homme." C'est le cas de Kamel Daoudi, déchu de sa nationalité en 2006 pour avoir fait partie d'un groupe suspecté d'avoir voulu faire exploser l'ambassade des Etats-Unis en 2001, rapporte Le Parisien. Interdit de rester sur le territoire français, il devait être expulsé vers l'Algérie, mais la CEDH a refusé. Depuis, il est assigné à résidence à Carmaux (Tarn). "Une situation très fréquente dans ce genre de cas", décrit Serge Slama. 

J'ai eu la flemme de tout lire et je suis allé directement à la fin. Vous me faites un petit résumé ?

A la suite des attentats du 13 novembre, le président de la République François Hollande a indiqué vouloir modifier la Constitution afin d'y inscrire la déchéance de nationalité pour les binationaux, nés Français. Actuellement, l'article 25 du Code civil permet de déchoir un Français naturalisé, mais pas un Français né Français. Une mesure très contestée à droite, comme à gauche, qui a fait l'objet de nombreux débats, avant d'être finalement présentée dans le projet de réforme constitutionnelle le 23 décembre. 

La mesure prévoit qu'"une personne née Française, qui détient une autre nationalité, peut être déchue de la nationalité française lorsqu'elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation". Si la mesure est votée, ce sera ensuite au Parlement de définir les infractions concernées. Si la loi est inscrite dans le Code civil, elle aura un effet immédiat, mais si elle s'inscrit dans le Code pénal, elle n'aura pas d'effet rétroactif et ne pourra pas s'appliquer aux personnes condamnées avant la promulgation de la loi.

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