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Trois binationaux évoquent la déchéance de nationalité : "Je ne suis pas inquiet pour moi, mais pour la République"

La proposition sur la déchéance de nationalité est inscrite dans le projet de révision de la Constitution, présenté le 23 décembre en Conseil des ministres.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La proposition sur la déchéance de nationalité sera applicable à toutes les personnes françaises nées d’un ou deux parents étrangers et ayant conservé leur nationalité étrangère. (MAXPPP)

"Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français", a déclaré François Hollande devant le Congrès réuni à Versailles, trois jours après les attentats de Paris. Un mois plus tard, après de nombreuses incertitudes,y compris au sein de la gauche, le projet d'extension de la déchéance de la nationalité figure bien dans la révision de la Constitution. Présenté mercredi 23 décembre en Conseil des ministres, le projet provoque un débat houleux au sein de la gauche.

Pour le moment, l'article 34 de la Constitution (sur Légifrance) rend possible une déchéance de la nationalité, mais seulement pour les personnes l'ayant acquise après leur naissance. Si l'article est révisé, il concernera aussi les binationaux nés français, reconnus coupables de faits de terrorisme. Cette extension crée de nombreuses divisions : certains y voient une façon de différencier les citoyens ; d'autres une mesure efficace pour lutter contre le terrorisme. Francetv info a interrogé trois Français ayant la double nationalité, afin de comprendre comment ils envisagent ce projet.

Nicolas, franco-libanais : "Il ne faudrait pas déchoir pour de mauvaises raisons"

A 22 ans, Nicolas a jonglé toute sa vie entre deux cultures, deux nationalités. Entre le Liban et sa vie à Ermont, dans le Val-d'Oise, où il est né. "Mes parents sont arrivés en France durant la guerre du Liban pour continuer leurs études. Mon père a créé sa société d'informatique en France." En 1993, Nicolas naît sur le sol français, et obtient naturellement la nationalité française. "Dans la famille, on a toujours eu la culture française. Le Liban a longtemps été sous mandat français. La langue, la culture, l'éducation... Les Libanais sont très proches de la France", explique-t-il. A la maison, ses parents lui parlent arabe, surtout pour qu'il puisse discuter avec ses grands-parents lors de ses vacances au pays du Cèdre. "Depuis, je me sens français car je vis ici, mais j'ai le cœur au Liban. Je n'aimerais pas avoir à choisir."

Après les attentats de Paris, lorsqu'il entend parler du projet de déchéance de la nationalité, il ne ressent aucune crainte particulière : "Je ne suis pas concerné, mais je trouve que c'est un moyen pour l'Etat de rejeter ses responsabilités. Comme si les binationaux pouvaient ne plus faire partie de la population." Le jeune étudiant en finance se dit pourtant tout à fait favorable à une déchéance de la nationalité pour les terroristes : "Ils ne doivent pas avoir la nationalité française puisqu'ils n'aiment pas leur pays. Mais cela doit s'appliquer à tous les terroristes, qu'importe la religion et dans des conditions précises. La notion de 'terrorisme' est encore vague, il ne faudrait pas déchoir pour de mauvaises raisons." 

Sevan Minassian, franco-iranien : "Cette mesure porte l'idée que certains Français sont des citoyens de seconde zone"

A 18 ans, lorsque Sevan reçoit son passeport iranien, il ne sait pas trop quoi en faire. Son père est né en Iran, sa mère en Auvergne et lui n'a connu que la France. "Je l'ai gardé au fond d'un tiroir et je ne l'ai jamais touché, jusqu'à ce que j'entende le discours de François Hollande devant le Congrès", raconte ce psychiatre de 30 ans. "Je ne me suis pas inquiété pour mon cas personnel, mais par rapport à ce que ça veut dire pour la République", explique-t-il. De culture française et arménienne davantage qu'iranienne, Sevan n'a aucune attache en Iran mais a appris l'histoire de l'Arménie, et sait ce qu'"apatride" veut dire pour le peuple arménien.

Rassuré dans un premier temps de voir que le projet va être abandonné, Sevan déchante lorsqu'il apprend que le président le maintient. "Finalement, même si mon passeport iranien est périmé, je vais le renouveler juste par résistance politique", dit le jeune homme, devenu psychiatre "grâce à la République française""Tous les spécialistes pointent l'inefficacité de cette mesure dans la lutte antiterroriste. Même symbolique, elle donne l'idée que certains Français sont des citoyens de seconde zone, et ça me gêne énormément."

Cyril, franco-algérien : "J'ai peur que ce changement tombe un jour dans les mains du FN"

Depuis 41 ans, Cyril possède la double nationalité. Né à Paris de parents algériens en 1974, il acquiert la nationalité française par le droit du sol, et la nationalité algérienne par ses parents. Le soir du 13 novembre, Cyril était au Stade de France lorsque des kamikazes se sont fait exploser"Dans les jours qui ont suivi l'attentat, mes émotions sont passées du choc à la tristesse, puis la colère", raconte-t-il. Le 16 novembre, lorsqu'il regarde le discours de François Hollande devant le Congrès et entend qu'il veut modifier la Constitution pour y inscrire la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour des actes terroristes, il salue la décision. "J'avais le sentiment que le pays était en guerre et qu'il fallait tout faire pour écarter le danger", explique-t-il. "Je n'avais pas encore le recul nécessaire."

Après les élections régionales, alors que sa colère a presque "disparu", Cyril se documente, lit des articles et prend soudainement peur : "Avec ce qui s'est passé, les régions qui ont failli passer à l'extrême droite, je me suis dit que ce genre de loi dans la main du FN, ça peut être très dangereux." Electeur de gauche convaincu, Cyril trouve que la proposition sent le soufre : "Le gouvernement veut envoyer un message fort, mais ça ne règlera pas la menace terroriste." Même s'il ne se sent pas concerné, puisqu'il n'a jamais été condamné, cet agent de sécurité admet se sentir déjà "moins Français" que les autres : "C'est ce qu'on nous fait ressentir tous les jours, par notre couleur de peau, notre nom. Cette proposition enfonce le clou un peu plus."

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