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"Nous ne voulons pas d'une audience aseptisée" : au procès des attentats du 13-Novembre, l'épineuse question de la diffusion de photos et de sons du Bataclan

La cour d'assises a tranché : trois extraits sonores et des images des attaques contre la salle de concert seront diffusés en début d'audience vendredi. Le sujet a divisé les avocats des parties civiles. 

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le Bataclan, à Paris, le 13 novembre 2021.  (AURORE THIBAULT / HANS LUCAS / AFP)

"Je ne pensais pas qu'il y aurait un débat." Un peu gêné, Jean-Marc Delas, avocat de l'association Life for Paris, s'est avancé à la barre, jeudi 31 mars, devant la cour d'assises spéciale de Paris. Il est venu plaider la demande de l'association de victimes qui souhaite diffuser, au procès des attentats du 13-Novembre, trois extraits sonores d'un dictaphone resté allumé pendant les attaques du Bataclan et une cinquantaine de photos de l'intérieur de la salle de concert. 

Les parties civiles se sont montrées divisées sur le sujet. Pourtant, a rappelé Jean-Marc Delas, "il n'existe pas un procès d'assises dans lequel on ne montre pas les scènes qui sont au cœur du sujet, même si c'est douloureux, morbide, affreux". Mais les familles endeuillées craignent que la dignité de leurs proches ne soit atteinte "et ne veulent pas qu'on les montre dans une position insoutenable", a insisté Aude Rimailho, avocate de parties civiles. 

Même constat pour Jean Reinhardt, avocat de l'association 13Onze15, qui accompagne plus de 100 parties civiles, très divisées sur la question. Certaines sont "pour-pour, d'autres pour-contre, et d'autres contre-pour", a-t-il résumé avec une pointe d'humour. Lui craint surtout la réactivation des traumas. Deux extraits sonores issus du même dictaphone avaient été diffusés au début du procès. L'un d'eux a provoqué chez une victime, qui suivait les audiences sur la webradio, "un choc psychologique profond", à tel point qu'elle a dû reprendre "les séances d'EMDR [une technique de thérapie], est retournée chez le psy et a arrêté tout contact avec le procès".

Crainte de fuites "dans la presse ou sur le web"

Ce débat de près de deux heures montre une nouvelle fois l'aspect "hors normes" de ce procès, au cours duquel on n'a toujours pas vu de photos de l'intérieur du Bataclan, alors qu'il s'agit de la principale scène de crime : 90 personnes y sont mortes sur 130 victimes au total. Fait d'autant plus étrange que les photos des terrasses ont, elles, été projetées lors des précédentes audiences.

Mais les précautions prises vis-à-vis des victimes, face à la vision d'horreur des corps empilés dans la fosse, ont primé jusqu'ici sur cette diffusion, ce que regrette l'avocate Cosima Ouhioun, qui trouve "infantilisant" de penser que ses deux clients, rescapés du Bataclan, ne seraient pas en mesure d'affronter ces éléments visuels et sonores. "Si la cour décide de diffuser, elle laissera le choix aux victimes de voir ou ne pas voir. Faire le choix de ne pas diffuser, c’est ne leur en donner aucun", résume sa consœur Daphné Pugliesi.

Camille Hennetier, avocate générale du Parquet national antiterroriste (Pnat), pointe quant à elle les risques de captation des images ou de la bande sonore lors des audiences, ce qui serait "inconcevable pour les victimes", insiste Aude Rimalho. L'avocate représente les parents d'une jeune femme de 30 ans, décédée au Bataclan, qui s'opposent à la diffusion de l'enregistrement sonore "car ils ne veulent pas qu'on entende les derniers instants de leur fille".

"Parfois, la violence, il faut la voir"

Mais la plupart des avocats ayant pris la parole jeudi après-midi se sont montrés très favorables à la diffusion de ces différents éléments. "On le sait, ce sera une épreuve dans l'épreuve, mais il est inconcevable, sur dix mois de procès, que les crimes commis ne soient pas montrés", a lancé Géraldine Berger-Stenger, représentante de l’Association française des victimes de terrorisme (AFVT). "Nous ne voulons pas d'une audience aseptisée."

Plusieurs de ses confrères et consœurs insistent sur la nécessité de ne pas édulcorer le procès. "On ne peut pas faire l'économie de ce fragment de réel qu'est un enregistrement sonore. Parfois, la violence, il faut la voir, pour avoir autre chose qu'une reconstitution imaginaire ou symbolique", a ainsi argumenté Véronique Truong, avocate de deux rescapés du Bataclan.

Son confrère Méhana Mouhou a rappelé que les mêmes questions s'étaient posées au moment du procès des attentats de Toulouse en 2017. En première instance, il avait été décidé de ne pas montrer les images issues de la GoPro de Mohammed Merah, qui avait filmé ses tueries. Les mêmes questions se poseront en septembre, pour le procès des attaques de Nice, a-t-il rappelé. Que faudra-t-il montrer du passage de "ce camion qui a déchiqueté des corps entiers" ? "Votre décision va être importante, monsieur le président", a prévenu l'avocat avant la suspension de séance, jeudi, en fin d'après-midi.

Après un délibéré d'une trentaine de minutes, Jean-Louis Périès a tranché : les photographies et les extraits sonores seront bien diffusés ce vendredi, en début d'audience. Le président assure que les mesures de précaution seront renforcées pour éviter les fuites et a appelé les gendarmes à être très vigilants pour que des photos ne soient pas prises.

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