Au procès de l'assassinat de Samuel Paty, jusqu'à 16 ans de réclusion criminelle requis à l'encontre des huit accusés

Le Parquet national antiterroriste a réclamé des peines bien en deçà de celles encourues par certains accusés, suscitant la colère des représentants des parties civiles. Le verdict est attendu en fin de semaine.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'avocate générale Marine Valentin le 16 décembre 2024 lors du réquisitoire prononcé devant la cour d'assises spéciale de Paris au procès de l'assassinat de Samuel Paty. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Une "grande hétérogénéité dans les profils" des accusés, qui se traduit par une diversité des peines réclamées. Alors que le procès de l'assassinat de Samuel Paty entre dans sa septième semaine, lundi 16 décembre, le Parquet national antiterroriste (Pnat) a requis des peines allant de 18 mois de prison avec sursis à 16 ans de réclusion criminelle à l'encontre des huit accusés impliqués, à des degrés divers, dans la décapitation du professeur d'histoire-géographie, le 16 octobre 2020. L'auteur de l'attentat avait été tué par la police le jour même. "Si Abdoullakh Anzorov était dans le box aujourd'hui, il ne fait nul doute que nous aurions requis la peine maximale", a déclaré l'avocate générale Marine Valentin.

Jusqu'à quel point les accusés étaient-ils au courant de "son entreprise mortifère" ? Y étaient-ils associés ? Les débats entamés le 4 novembre doivent permettre à la cour d'assises spéciale de Paris de trancher. De son côté, le parquet antiterroriste a choisi de requalifier les faits pour quatre accusés et de réclamer des peines bien en deçà de celles encourues initialement.

La peine la moins lourde – 18 mois d'emprisonnement assortis d'un sursis probatoire pendant trois ans – est requise à l'encontre de Priscilla Mangel, active au sein de la sphère jihadiste, "repliée sur ses croyances" et "retranchée derrière sa posture victimaire". L'audience n'a pas permis "de démontrer" qu'elle connaissait "l'engagement" du terroriste et "ses velléités de passage à l'acte jihadiste". Idem pour Yusuf Cinar, à l'encontre duquel est requise une peine d'un an d'emprisonnement pour "apologie publique du terrorisme par un moyen de communication en ligne".

En revanche, le Pnat a maintenu l'accusation d'"association de malfaiteurs terroriste" pour deux autres accusés issus de la sphère jihadiste. Ainsi, il a réclamé pour Louqmane Ingar une peine de 3 ans d'emprisonnement, dont 2 ans assortis d'un sursis probatoire, et pour Ismaïl Gamaev, seul accusé à reconnaître sa culpabilité, une peine de 5 ans d'emprisonnement, dont 18 mois avec sursis.

"Volontairement associés à son entreprise mortifère"

C'est à l'encontre d'Azim Epsirkhanov, un Russe d'origine tchétchène âgé de 23 ans, qui connaissait l'assassin depuis l'enfance, "son meilleur ami", que la peine la plus lourde, 16 ans de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté des deux tiers, est requise. A l'encontre du dernier membre du trio, Naïm Boudaoud, 22 ans, l'accusation a réclamé une peine de 14 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des deux tiers. Tous les deux encourent pourtant la perpétuité, car ils ont été renvoyés, au terme de l'enquête, pour "complicité de terrorisme".

Cependant, selon les avocats généraux, "il n'est pas possible de démontrer qu'ils avaient connaissance de la nature précise du passage à l'acte envisagé par Abdoullakh Anzorov". Le ministère public a donc demandé à la cour d'assises spéciale de Paris de les condamner à une "association de malfaiteurs terroriste", parce qu'"il est parfaitement établi qu'ils se sont volontairement associés à son entreprise mortifère". "Ils lui ont fourni les conditions matérielles de mettre en œuvre [son projet d'attentat], en étant pleinement conscients de ses convictions jihadistes. Le fait qu'ils ne les partagent pas est indifférent", a souligné l'avocate générale Marine Valentin.

"Il y a un ciblage viral et violent d'un professeur"

En revanche, les magistrats antiterroristes ont mis en évidence le rôle crucial de Brahim Chnina, le père de la collégienne à l'origine de la rumeur accusant Samuel Paty, et du prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, dans la vague de haine qui a précédé l'assassinat. "La campagne numérique" que les deux accusés ont menée "montre une action de manière concertée", a estimé le Pnat, qui a requis 10 ans de réclusion criminelle contre le premier et 12 ans contre le second, assortis dans les deux cas d'une période de sûreté des deux tiers.

"Personne ne dit qu'ils souhaitaient la mort de Samuel Paty, mais en allumant ainsi des milliers de mèches numériques, ils savaient que l'une d'elles mènerait à la violence jihadiste contre le professeur blasphémateur", a estimé le second avocat général, Nicolas Braconnay. Demandant leur condamnation, il a soumis deux possibilités à la cour : "Soit vous considérez Abdoullakh Anzorov comme un malade imprévisible, enfermé dans ses délires, a-t-il déclaré. Soit vous comprenez que le geste qu'il a commis, celui de punir un blasphémateur, s'inscrit dans une logique délibérée, dans un mode opératoire identifié, un contexte défini dans lequel il y a un ciblage viral et violent d'un professeur."

"La famille de Samuel Paty est choquée et en colère"

Dans les premiers mots de ce réquisitoire à deux voix, qui a duré un peu moins de six heures, l'avocat général a justement parlé de la victime. "Samuel Paty n'était pas un martyr, d'aucune cause, a-t-il déclaré. Il n'est pas mort en militant, il n'est pas mort en hussard noir de la République, mais en victime innocente d'un crime radicalement abject et absurde." Nicolas Braconnay a tenu à revenir sur le point de départ de l'affaire : le contenu de l'enseignement prodigué par Samuel Paty, le 6 octobre 2020, et son attitude envers les élèves. "Il s'agissait d'un cours équilibré et pertinent, dénué de toute volonté de choquer", a-t-il rétabli.

Le vice-procureur antiterroriste a également tenu à se "tourner" vers "les proches" de Samuel Paty, "écoutés attentivement". "Notre réquisitoire n'a pas pour but de plaire aux parties civiles. Mais l'exigence et l'effort d'argumentaire qui sont les nôtres, que les parties civiles sachent qu'ils leur sont aussi adressés", a souligné le magistrat antiterroriste.

Un message qui n'est pas très bien passé : après la fin des réquisitions, les avocats des parties civiles ont fait part de leur sidération face aux peines requises. "Ce sont des réquisitions scandaleuses", a réagi Virginie Le Roy, avocate des parents et de Gaëlle Paty, une sœur de Samuel Paty, ajoutant : "La famille de Samuel Paty est choquée et en colère." Francis Spziner, l'avocat du fils de Samuel Paty et de son ex-compagne, a renchéri : "Ces réquisitions, ce n'est pas rendre justice." Le verdict est attendu à la fin de la semaine.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.