Islamistes radicaux : peut-on les condamner pour un séjour en Afghanistan ?
Certains prévoyaient d'aller en Afghanistan, d'autres surfaient sur des forums islamistes radicaux. Que peut reprocher la justice aux présumés aspirants terroristes arrêtés mercredi 4 avril dans plusieurs villes de France ?
"Filière", "zones tribales", "individu autoradicalisé"… Les termes sont vagues pour désigner les activités présumées des dix personnes interpellées mercredi 4 avril dans plusieurs villes de France.
Les arrestations se sont déroulées dans le cadre de huit enquêtes préliminaires du parquet antiterroriste de Paris, confiées à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Les personnes étaient surveillées en raison de leur participation à des forums islamistes radicaux ou des voyages dans des zones connues pour servir de centres de formation au jihad, la guerre sainte, à la frontière pakistano-afghane. "D’autres s'entraînaient en vue de se rendre dans ces zones", assure le ministère de l’Intérieur.
Selon une source policière citée par Le Figaro, l'un des objectifs de l'opération est de "purger des dossiers de salafistes soupçonnés de graviter dans la mouvance radicale" et "neutraliser d'éventuels passages à l'acte".
• Quel chef d'accusation ?
Les suspects pourraient être poursuivis pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", un chef d'accusation créé par la loi du 22 juillet 1996 et dont les enquêteurs se servent pour démanteler des réseaux qu’ils suspectent de fomenter des attentats. Si ce chef d’accusation était retenu, les suspects encourraient dix ans de prison.
Encore faut-il prouver qu'ils ont effectivement préparé des actes de terrorisme. Et un stage de formation en Afghanistan ne suffit pas pour condamner quelqu'un devant les tribunaux. "Il faut des actes concrets, les intentions ne suffisent pas en droit pénal. Il faut au moins qu'ils aient des billets payés par Al-Qaïda ou des instructions écrites", relève l'avocat pénaliste Jean-Pierre Mignard.
Les voyages, les participations à des forums radicaux "sont des indices qui peuvent présenter une incontestable utilité policière, mais c'est nettement insuffisant sur le plan judiciaire, à moins qu'il y ait des écrits faisant l'apologie de la violence, explique l'avocat. Ce type d'affaires se dégonfle souvent aussi facilement qu'on les gonfle."
Contacté pour savoir de quels éléments matériels dispose l'accusation pour poursuivre les personnes arrêtées mercredi, le parquet de Paris n’a pas donné suite. "Si on interpelle des gens, c’est qu’on a des éléments, assure le ministère de l’Intérieur. La loi est respectée, comme les droits des uns et des autres."
• Pas de preuves matérielles, selon la défense de "l'émir" de Forsane Alizza
La faiblesse des éléments matériels est également mise en avant par la défense de Mohamed Achamlane. Ce chef du groupuscule Forsane Alizza a été arrêté en même temps que 18 autres personnes au cours d’une opération de police très médiatisée il y a moins d’une semaine.
Treize d'entre eux ont été mis en examen mercredi pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" et "acquisition, détention et transport d'armes". Neuf ont été écroués. L'accusation leur reproche entre autres d'avoir appelé au jihad, détenu des armes et des substances permettant la fabrication de bombes et projeté d'enlever un magistrat lyonnais.
"Ce dossier est une pure construction intellectuelle, soutient l’avocat de l'"émir" autoproclamé Mohamed Achamlane, Philippe Missamou. Il y a des discussions, des débats, des propos excessifs, mais pour commettre des actes de terrorisme, il faut un plan, un calendrier, une répartition des rôles. Je mets au défi l’accusation et les juges d’instruction antiterroristes de m’apporter ces éléments."
Et les armes retrouvées au domicile de Mohamed Achamlane ? Elles étaient neutralisées, persiste l’avocat. Cette affirmation fait encore débat.
• Opération de communication ou d'intimidation ?
Des voix se sont élevées pour dénoncer une "mise en scène" à quelques semaines du premier tour de la présidentielle, pour favoriser le président candidat, Nicolas Sarkozy. "Ces opérations se seraient tenues en dehors de l’affaire Merah, insiste la place Beauvau. Il y a des interpellations d’islamistes et des expulsions toute l’année."
La succession rapide des opérations de lutte contre l'islamisme et l’expulsion de cinq personnes présentées comme des islamistes radicaux étrangers ont pour but "d'intimider et de faire comprendre à ces hyper-fondamentalistes qu'ils doivent se modérer", décrypte de son côté le sociologue Farhad Khosrokhavar dans une interview à L’Express.
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