Environnement : Emmanuel Macron peut-il être "le premier président de la République dont on dira qu’il a vraiment agi pour l’écologie ?"
Le président a promis d'axer son nouveau mandat sur la transition écologique. Mais certains indices laissent penser que la réalité des faits pourrait ne pas correspondre aux ambitions affichées.
"La politique que je mènerai dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas." Voilà la promesse faite par Emmanuel Macron à 3 000 de ses partisans, au jardin du Pharo à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 16 avril 2022. Dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, le président a mis le paquet pour draguer les électeurs écologistes et leur promettre une politique plus ambitieuse. Il a notamment assuré que le nouveau Premier ministre serait chargé de la planification écologique.
Alors que ce second quinquennat débute, que peut-on attendre des cinq années à venir ? Des décisions et votes de la majorité présidentielle peuvent laisser penser qu’il n’y aura pas de révolution sur le front de la lutte contre le changement climatique mais plutôt un double discours entre promesses ambitieuses et réalisations a minima, ce dont se défendent les macronistes.
Un vote significatif au Parlement européen
Un vote du Parlement européen est un exemple type. Mardi 3 mai, les eurodéputés se sont penchés sur un rapport d’initiative – dont le vote est donc non-contraignant – porté par une eurodéputée du Groupe de l'alliance progressiste des socialistes et démocrates à propos de l’économie bleue. L’une des résolutions visait à interdire la pêche au chalut dans toutes les aires marines protégées (AMP). Ces zones, particulièrement remarquables pour leur biodiversité, ne sont pas précisément définies par une réglementation européenne. Les États, dans leur législation nationale, disposent de deux types d’AMP : simples (environ 10% des eaux européennes au total) et strictement protégées.
Or, un amendement proposé par le groupe Renew (auquel appartiennent les eurodéputés de La République en marche) est entré en concurrence avec la résolution du rapport. Rédigé par Pierre Karleskind, il propose de limiter l’interdiction de la pêche au chalut aux zones "strictement protégées" - qui ne représentent que 1% des eaux européennes – et sur avis scientifique. Les députés l’ont voté à 319 voix (280 contre), enterrant de fait l’examen de la résolution. Pourtant, dès le mois de février, des chercheurs comme Joachim Claudet défendait un meilleur encadrement de ces zones. "Jusqu’à présent, on a cherché la quantité, arrivant à un nombre astronomique d’aires marines protégées. Maintenant, on demande de la qualité, avec des écosystèmes réellement protégés", défendait-il sur franceinfo lors du One Ocean Summit celui qui travaille au centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement.
"On avait un texte ambitieux et Renew a fait du sabotage", déplore l’eurodéputée La France insoumise (qui siège avec The Left) Leïla Chaibi. François Chartier, chargé de campagne Océans et pétrole pour Greenpeace, est tout aussi furieux. "C’est honteux. Ça vide de son sens le concept d’aire marine protégée", juge-t-il. Tous les deux dénoncent le "double discours permanent" d’Emmanuel Macron et de La République en marche sur les politiques liées au changement climatique.
"L’affichage est positif mais si on met en avant un chiffre ambitieux et qu’en parallèle on fait tout pour que l’application soit limitée on a un vrai problème."
François Chartier, chargé de campagne Océans et pétrole chez Greenpeaceà franceinfo
"C’est représentatif du double langage qu’ils ont tenu pendant cinq ans et qu’ils vont continuer à tenir pendant cinq ans", se désole-t-il. Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l’institut Jacques-Delors, confirme : "Il y a un décalage entre le discours et les actes" dans les politiques climatiques portées par La République en marche.
"La position proposée par les Verts était excessive au regard des conséquences socio-économiques" qu'elle aurait générées, défend de son côté Pierre Karleskind. En interdisant la pêche au chalut dans les aires marines protégées, "vous mettez par terre 40% de la pêche française car 80% du poisson débarqué en France provient de la pêche au chalut", affirme celui qui est également président de la commission Pêche du Parlement européen. Il défend son "pragmatisme d’océanographe" :
"Il y a une différence entre limiter, réguler et interdire. On regarde précisément à quel endroit il est pertinent d’interdire. Il faut être capable d’avancer sans détruire le tissu économique."
Pierre Karleskind, eurodéputé Renew et président de la commission Pêche au Parlement européenà franceinfo
Il assure par ailleurs que l'interdiction de la pêche au chalut n'aura, à certains endroits, "aucun impact environnemental". L’eurodéputé défend aussi une forme de réalisme politique dans ce vote : "Il n’y aurait pas eu de majorité pour voter l’amendement écologiste et envoyer un message à la Commission européenne", affirme-t-il, arguant qu’entre les Libéraux et les Verts il a dû trouver une forme de compromis sinon il n’y aurait eu aucun texte sur le sujet. "Faux", s’étrangle Claire Nouvian, fondatrice de l'ONG Bloom, qui a mené la charge contre l'amendement Renew sur les réseaux sociaux. "Les bascules de vote se font avec Renew. C’est à eux de prendre leurs responsabilités."
Tous s’accordent en revanche pour dire que les rendez-vous pour le climat sont nombreux à l’aube de ce nouveau quinquennat. En effet, la Commission européenne doit présenter d’ici l’été des mesures pour la gestion des mers et la restauration des écosystèmes naturels. Un traité doit également bientôt être signé sous l’égide de l’Organisation des nations unies (ONU) sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. "L’agenda politique international sur la question est très important", assure François Chartier. L’agenda climatique national aussi : "Emmanuel Macron va démarrer son quinquennat dans le rouge", alertait sur franceinfo jeudi 5 mai Isabelle Autissier, de WWF. La France venait en effet de connaître son jour du dépassement, c'est-à-dire que si toute l'humanité vivait comme les Français, elle aurait consommé en 95 jours toutes les ressources que la planète peut renouveler en un an. "Il peut espérer le finir dans le vert dans cinq ans."
Les ratés du premier quinquennat ont laissé des traces
Si ce vote reste celui d’eurodéputés, ne représentant donc pas automatiquement la position de La République en marche et du gouvernement sur la transition écologique, d’autres exemples qui ont marqué les cinq premières années au pouvoir d’Emmanuel Macron permettent, à l’échelle de la France, de douter de la bonne volonté du président pour ce nouveau quinquennat. Ainsi, quelques jours après le second tour, une mesure s’est glissée parmi les changements du 1er mai : la baisse d’une partie des aides à la rénovation énergétique. Les certificats d’économie d’énergie (CEE) ont en effet baissé de 26 à 58% en fonction des travaux à réaliser. Ces aides financières sont versées par les fournisseurs d’énergie, ainsi obligés de contribuer à des opérations de réduction de la consommation énergétique. À défaut, ils sont susceptibles de payer des amendes.
D’autres exemples ont marqué le premier quinquennat et ont abîmé la confiance chez certaines associations ou ONG. Le fiasco de la Convention citoyenne pour le climat revient par exemple rapidement dans les têtes. "La plupart des mesures structurantes de la Convention citoyennes pour le climat ont soit été écartées soit vidées de leur substance", se souvient François Chartier de Greenpeace. "Ça fait cinq ans qu’ils font de la destruction très active", glisse Claire Nouvian. "Les citoyens de la convention sur le climat sont arrivés avec le paquet de proposition le plus ambitieux. C’est passé à la moulinette gouvernementale et il n’en reste presque plus rien", regrette Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l’institut Jacques-Delors. En effet, seules dix mesures avaient été reprises "sans filtre" dans la loi Climat, alors que le président s’était engagé à en reprendre l’intégralité.
Enfin, on peut ajouter à l’ardoise gouvernementale la condamnation de l’État pour inaction climatique car la France avait manqué à ses propres engagements climatiques. Le 14 octobre, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État à réparer le préjudice causé par ses manquements.
Beaucoup d'acteurs sceptiques sur le prochain quinquennat
Dans ces conditions, difficile pour certains observateurs d’espérer un "changement de logiciel" comme le dit François Chartier. "Emmanuel Macron avait dit que notre vote l’obligeait mais rien n’a changé", peste Claire Nouvian, selon qui "la trahison n’a pas tardé", en référence au vote au Parlement européen sur la pêche au chalut. "C’est toujours une politique au service des lobbies et même contre l’écologie." À Greenpeace, on estime qu’"on peut douter" de la volonté d’Emmanuel Macron.
"Il est très fort pour les grands sommets, les grandes déclarations et les grands engagements mais derrière il y a du détricotage par l’Union européenne ou l’administration"
François Chartier, chargé de campagne Océans et pétrole chez Greenpeaceà franceinfo
Il dit être "vigilant" en ce début de second quinquennat : "Il n’y a eu aucun signal fort sur la question environnementale depuis l’élection." Claire Nouvian estime, elle aussi, qu’on "va repartir exactement comme en 40", expliquant que les promesses du président concernant l’écologie sont un simple "opportunisme, un calcul électoraliste". Pierre Karleskind défend, là encore, une forme de pragmatisme.
"Le discours d’Emmanuel Macron n’a pas été de dire 'On va tout sacrifier sur la base d’une volonté écologique'."
Pierre Karleskind, eurodéputé Renewà franceinfo
Alors qu’attendre de ce second quinquennat et de son Premier ministre chargé de la planification écologique ? "Il faut une personne politique significative qui prend les choses à cœur", affirme Thomas Pellerin-Carlin. Il estime que, dans ce cas, "il y a une vraie opportunité de faire du quinquennat Macron un quinquennat écologique". Le plus important sera selon lui la structure que prendra cette planification écologique. "Si on crée un secrétariat général comme il en existe pour la défense ou les affaires européennes, ça peut tout changer."
Marine Braud, ancienne conseillère d’Elisabeth Borne et Barbara Pompili au ministère de la Transition écologique et actuellement consultante en développement durable, confirme jeudi 5 mai sur franceinfo : "C’est un enjeu qui est fondamentalement transversal pour lequel il faudra une équipe dédiée à Matignon afin d’appuyer le Premier ministre." La clé se situe principalement selon Thomas Pellerin-Carlin du côté des lobbyistes et des réunions interministérielles, "noyau clé de réduction des ambitions". Et d’interroger : "Quelle sera la place d’Emmanuel Macron dans l’histoire de France ? Sera-t-il le premier président de la République dont on dira qu’il a vraiment agi pour l’écologie ?"
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