A Mayotte, pourquoi est-il si difficile d'établir un bilan humain précis du passage du cyclone Chido ?

Le dernier bilan encore provisoire communiqué par la préfecture mahoraise mardi fait état de 22 morts. Mais les autorités redoutent "plusieurs centaines" de victimes, voire "quelques milliers".
Article rédigé par franceinfo
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Des membres de la sécurité civile en train de porter secours à la population à Mayotte, le 16 décembre 2024. (SECURITE CIVILE / AFP)

Un défi immense, dans un département où tout est à reconstruire. Après le passage dévastateur du cyclone Chido sur Mayotte, samedi, les autorités éprouvent de grandes difficultés à décompter le nombre de morts et de blessés qu'il a laissés derrière lui. Dans le dernier bilan provisoire publié mardi 17 décembre à la mi-journée, le ministère de l'Intérieur fait état de 22 personnes mortes à l'hôpital, précisant que ce bilan restait "très délicat à consolider". Le même jour, devant les députés, le Premier ministre, François Bayrou, n'a guère été plus précis, évoquant "une vingtaine de morts, 200 blessés graves", "1 500 blessés en urgence relative" et un bilan "pas encore établi". 

Dès les premières heures qui ont suivi la catastrophe, les autorités ont prévenu. "Il y aura certainement plusieurs centaines [de morts], peut-être approcherons-nous le millier, voire quelques milliers", a expliqué dimanche le préfet du département, François-Xavier Bieuville, à Mayotte la 1ère. Face à l'ampleur de la tâche, les autorités ont ordonné "la mise en place d'une mission de recherche des morts" parmi les communautés vivant dans ce département, le plus pauvre de France. Pourquoi les autorités rencontrent-elles tant de difficultés pour établir un bilan précis ? Franceinfo fait le point.

Les dégâts matériels considérables freinent les secours

Les destructions rendent difficile le travail des secours et par conséquent l'accès aux victimes. Le cyclone a ravagé l'archipel, où un grand nombre de logements sont fragiles, voire très précaires. Selon les dernières données produites par l'Insee, qui datent de 2017, quatre habitations sur dix à Mayotte sont en tôle, en terre ou en bois. Le plus souvent, précise l'institut de statistiques, ces habitations précaires sont occupées par des étrangers : 65% d'entre eux habitent dans une maison en tôle, contre 25% des Français natifs de l'archipel. "C'est du bois, de la tôle sur des collines en terre battue. Vous imaginez le vent qui vient s'engouffrer, plus la pluie qui crée des coulées de boue", raconte à l'AFP le directeur de l'urgence et des opérations de la Croix-Rouge française, Florent Vallée. Des matériaux rudimentaires qui, pour la plupart, n'ont pas résisté aux rafales de plus de 230 km/h recensées sur l'archipel. Même des maisons en dur ont vu leur toit être emporté et leurs vitres, soufflées, selon les témoignages d'habitants.

Les infrastructures ont elles aussi été lourdement endommagées. La tour de contrôle de l'aéroport de Pamandzi a subi d'importants dégâts et les liaisons maritimes ont été coupées. L'hôpital de Mamoudzou n'a pas été épargné. Lors du passage du cyclone, sur des images filmées à l'intérieur de l'établissement, on aperçoit le sol immergé et les soignants qui tentent de nettoyer, les pieds dans l'eau. Les centres médicaux étaient aussi "inopérants", lundi, selon la ministre démissionnaire de la Santé, Geneviève Darrieussecq.

Les dégâts sont également très importants sur les axes routiers, même si "à peu près 80% du réseau routier est de nouveau accessible", a assuré François Bayrou devant les députés mardi. "On est encore dans une phase de reconnaissance complète de dégagement des voies d'accès pour aller dans les endroits les plus isolés et saisir l'impact et les conséquences de ce cyclone", explique sur France Bleu Jérôme Giron, président de l'ONG Pompiers humanitaires français (PHF). Mardi, l'électricité était toujours en cours de rétablissement avec la "remise en route" de "50% du réseau électrique", a tenté de rassurer le Premier ministre. L'eau non potable est de nouveau accessible et 50% de l'eau potable "sera rétablie dans les 48 heures et 95% dans les sept jours", précisait le point gouvernemental quotidien. Au total, 95% du réseau de téléphonie mobile restait indisponible mardi, selon Mayotte La 1ère

La population réelle est difficile à estimer et parfois à atteindre

Mardi, le ministère de l'Intérieur a annoncé que 70% des habitants de Mayotte avaient été "gravement touchés" par le cyclone Chido, sans pouvoir préciser à quel point. Le bilan "réel" du cyclone ne sera "jamais" connu des autorités, déplore Estelle Youssouffa, députée Liot de la première circonscription de Mayotte, "puisque c'est une population en situation irrégulière, clandestine", qui n'est pas déclarée aux autorités locales. Mayotte compte officiellement 321 000 habitants, selon la dernière estimation de l'Insee. Dans son point sur la situation, le ministère de l'Intérieur évalue à 100 000 le nombre de personnes vivant dans des habitats précaires. 

Le décompte est d'autant plus compliqué que Mayotte est une terre de forte tradition musulmane et que, selon les rites de l'islam, de nombreux défunts ont vraisemblablement été enterrés dans les 24 heures suivant leur mort. Il est donc possible que des victimes aient déjà été inhumées sans pour autant avoir été déclarées aux autorités. "Il y a plus d'enterrements que de décès signalés. Ce ne sera pas simple d'avoir les données exactes", reconnaît Yannick Le Bihan, de l'ONG Médecins du monde. 

Enfin, le nombre d'enfants isolés victimes du cyclone pourrait aussi grimper dans les jours à venir. "Il y a un phénomène chronique d'orphelins : quand les parents sans papiers sont expulsés vers les Comores, ils ne disent pas forcément qu'ils ont des enfants... et parfois se noient en essayant de revenir, a expliqué à l'AFP Jean-François Corty, président de Médecins du monde. On ne sait pas trop où sont ces enfants aujourd'hui." 

Les secours ont aussi été touchés par le cyclone

Fonctionnaires, membres des équipes de secours, soignants... Le personnel en première ligne pour porter secours à la population est directement concerné par la catastrophe. "Nous n'avons réussi à prendre contact qu'avec cinq membres de notre équipe salariée et cinq bénévoles actifs, à cause des problèmes de communication et des coupures d'électricité, constate auprès de franceinfo Yannick Le Bihan, à la tête d'une équipe de Médecins du monde présente sur place qui compte 25 bénévoles très actifs et 80 au total. Notre bureau a été touché et on ne peut plus utiliser notre matériel. Certains membres de nos équipes n'ont plus de toit ou plus de fenêtres chez eux, des problèmes d'accès à l'eau potable et à la nourriture." 

Même constat du côté de la Croix-Rouge, qui ne parvenait toujours pas, mardi, à entrer en contact avec 200 de ses bénévoles présents sur l'archipel. De son côté, la fondation Apprentis d'Auteuil de Mayotte "a réussi à joindre environ 70 personnes sur l’ensemble de [son] personnel. Seulement 70 sur 220 à ce jour"confie à franceinfo Gwenola Coulange, la directrice de l'organisation.

Pour ces organisations, "la priorité, pour le moment, ce n'est pas de donner un chiffre. C'est de sauver les gens qu'on peut encore sauver et d'éviter une crise sanitaire", explique à Libération Eric Brocardi, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers.

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