Cyclone Chido à Mayotte : comment reconstruire une île détruite après une telle catastrophe naturelle ?

De l'île de Saint-Martin à l'Indonésie en passant par Haïti, de multiples territoires ont été meurtris par des cataclysmes ces dernières années. Les enseignements sont nombreux sur la manière la plus adéquate de rebâtir.
Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
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La ville de Dzaoudzi, à Mayotte, partiellement détruite par le cyclone Chido comme le reste de l'archipel, le 28 décembre 2024. (PATRICK MEINHARDT / AFP)

Le chantier est colossal. A la hauteur de la dévastation laissée à Mayotte par le passage du cyclone Chido, le 14 décembre. Sur l'archipel, où tout est à terre, le nouveau Premier ministre, François Bayrou, a annoncé lundi 30 décembre les contours d'un plan "Mayotte debout" pour reconstruire le département français. Un projet de "loi d'urgence", prochainement présenté en Conseil des ministres, doit par ailleurs être examiné au Parlement dans les 15 jours. L'objectif est posé. Reste une question concrète : comment l'atteindre ?

D'emblée, le locataire de Matignon s'est engagé à "empêcher la reconstruction des bidonvilles", précisant que cette disposition pourrait être "inscrite dans la loi". A Mayotte, l'intégralité des "bangas", ces logements de fortune qui représentent 40% des habitations, ont été détruits lors du passage du cyclone. Mais, déjà, une grande partie d'entre eux ont été reconstruits par des habitants en situation de survie et en quête d'un abri en ce début de saison des pluies

Le dossier demeure sensible. Ces bidonvilles, dans lesquels résident en grande partie des migrants en situation illégale venus des Comores voisines, avaient déjà été en partie détruits par les autorités en 2023 dans le cadre de l'opération Wuambushu, puis en avril 2024. Des démantèlements dont l'efficacité avait été jugée mitigée au sein de la population mahoraise. 

"Build Back Better"

Lundi, le Premier ministre ne s'est pas épanché sur la question migratoire ni sur le relogement de ces milliers d'habitants précaires. Quelques jours après le sinistre, il avait bien évoqué le lancement d'un appel à projets pour construire des habitations "immédiatement montables". Une idée reçue avec méfiance par des professionnels de la reconstruction. "Nous avons en mémoire les préfabriqués installés après le tremblement de terre en Haïti [en 2021], très coûteux et hors-sol. Ils ne correspondaient pas aux besoins et aux attentes des populations, notamment en termes de circulation naturelle de l'air", dénonce Alexandre Giraud, directeur de l'action philanthropique de la Fondation de France.

"Ce qui a été fait à Port-au-Prince est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire", abonde Patrick Coulombel, cofondateur de la fondation Architectes de l'urgence, l'un des acteurs de la reconstruction de Mayotte. "Les habitats transitoires ont conduit à l'extension des bidonvilles de Port-au-Prince et n'ont abouti qu'à peu de constructions définitives", poursuit-il.

"Les préfabriqués, c'est du temporaire qui ne partira jamais."

Patrick Coulombel, cofondateur de la fondation Architectes de l'urgence

à franceinfo

En attendant, pour orienter les différents acteurs de la reconstruction face à une catastrophe d'ampleur, l'ONU préconise une stratégie : "Build Back Better", autrement dit comment "reconstruire en mieux". Erigé en injonction en 2005 lors de la conférence internationale de réduction des risques de catastrophe de Kobé (Japon), le "Build Back Better" vise à "tirer parti de la catastrophe pour se relever moins vulnérable, plus résilient", résume Annabelle Moatty, géographe, chargée de recherche au CNRS au sein du laboratoire de Géographie physique.

Le "Build Back Better" tend d'abord à réorganiser la gouvernance du territoire après la crise. "Le but est de gagner du temps dans la prise de décision en réduisant les contraintes, notamment administratives, qui pèsent sur les territoires sinistrés", explique la chercheuse. Quelques jours après le passage du cyclone sur Mayotte, le Conseil d'Etat a ainsi validé un projet de loi d'urgence. Le texte, qui devrait être présenté en Conseil des ministres la semaine du 6 janvier, développe un panel de mesures exceptionnelles pour faciliter la reconstruction, en allégeant notamment les règles d'urbanisme, à l'exception des règles paracycloniques et parasismiques.

Faire vite, certes. Mais surtout faire mieux. Pour tous les experts joints par franceinfo, l'avenir de Mayotte passera par un bâti plus résistant. En Indonésie après le tsunami de 2004 ou encore au Japon après le séisme de 2011, une telle démarche avait engendré la délocalisation de villages entiers. "Des villages et villes ont été relocalisés en dehors des zones à risques mais cela a nécessité une disponibilité foncière importante", explique Annabelle Moatty. Impossible de transposer ce modèle à Mayotte, qui ne dispose pas d'assez de terrains disponibles et présente un régime de propriété différent. "On aimerait pouvoir dégager des solutions qui fonctionnent partout avec très peu d'incertitudes, or chaque situation est unique et chaque personne à la manœuvre doit développer des capacités d'innovation pour s'adapter", souligne-t-elle.

S'inspirer des pays du Sud

Pour innover et s'adapter, "il faut s'inspirer de ce qui se fait dans les pays aux économies faibles, comme dans les bidonvilles de Medellín, en Colombie", défend ainsi Cyrille Hanappe, associé fondateur de l'agence d'architecture AIR et directeur du diplôme "Architecture et risques majeurs" à Paris-Belleville. La reconstruction des habitations à Mayotte passe selon lui par l'instauration d'un réseau d'abris en cas de nouvelle catastrophe, mais aussi par l'acheminement des réseaux d'électricité et d'eau, alors que l'archipel a notamment connu une crise de l'eau en 2023. Le plan "Mayotte debout" présenté lundi prévoit ainsi l'installation d'une deuxième usine de dessalement sur le territoire et "l'accélération de la création de la troisième retenue collinaire [ouvrages de stockage de l'eau]."

L'accompagnement et la formation des Mahorais pour qu'ils puissent améliorer eux-mêmes leur logement constituent un autre aspect primordial du chantier : "On amène les services publics et on laisse les habitants se débrouiller dans leur logement", explique Cyrille Hanappe. Il ajoute que ce travail d'accompagnement "peut démarrer rapidement" mais doit se poursuivre "sur le temps long". Le plan gouvernemental pour la reconstruction de Mayotte précise déjà que des éléments de charpentes métalliques et des tôles doivent être acheminés en urgence pour réparer des toitures. Par ailleurs, des "ateliers pour façonner ces éléments seront installés, avec des formations sur place pour assurer la fabrication dans l'archipel", détaille Matignon. 

Développer des écosystèmes résilients

L'avenir de Mayotte ne passera pas uniquement par la réparation de ses habitations ou de ses bâtiments publics. Le relèvement économique des populations est l'un des principes fondateurs du "Build Back Better". A Saint-Martin, territoire français frappé sévèrement par la tempête Irma en 2017, l'économie reposait essentiellement sur le tourisme. Au lendemain de la catastrophe, l'île n'a plus été prisée des touristes, explique Annabelle Moatty. Une leçon qui doit être retenue pour la reconstruction de Mayotte, selon la chercheuse : "Une réflexion doit être instaurée pour trouver des moyens de subsistance durables et les plus diversifiés possibles."

L'expérience d'Irma à Saint-Martin a également permis de se rendre compte de l'importance du développement d'écosystèmes résilients. La reconstruction de Mayotte passera nécessairement par la restauration et l'extension des surfaces naturelles occupées par les mangroves, explique ainsi Alexandre Giraud. Cet écosystème permet, en cas d'ouragan ou de tempête, de limiter l'impact des vagues mais aussi de lutter contre l'érosion et de faciliter le ruissellement en cas de fortes pluies. "L'idée est de pouvoir reconstruire mieux, à la fois en améliorant l'accès aux besoins de base pour la population, mais aussi en prenant en compte les risques climatiques", résume-t-il. Ce qui nécessitera un immense travail de coordination avec les collectivités locales et les acteurs de terrain.

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