Au Tchad, la population déchirée entre espoir de changement et refus du nouveau régime
Attaques jihadistes au Sahel, effondrement des prix du pétrole, crise économique, chômage et Covid plongent une partie de la population tchadienne dans le désarroi. La jeunesse sans véritable projets d’avenir crie sa colère.
Au Tchad, une partie de la population aspire à un réel changement démocratique après la mort d'Idriss Déby le 20 avril 2021. Mais rebelles, partis politiques d’opposition, organisations de la société civile et une jeunesse sans véritables perspectives d’avenir rejettent massivement le pouvoir mis en place par Mahamat Idriss Déby, fils du président défunt. La formation dimanche 2 mai d’un gouvernement de transition, présenté comme un gouvernement d’union n’a pas fait redescendre la pression, ni calmé leur détermination face à un pouvoir qu’ils jugent illégitime.
Coup d'Etat institutionnel
Au Tchad, depuis la mort d'Idriss Déby, après 30 ans de régime, son fils Mahamat Idriss Déby a pris la tête du Conseil militaire de transition (CMT). Entouré de 14 généraux, tous fidèles à son père, il a dissous l'Assemblée nationale et le gouvernement et s'est arrogé les titres de président de la République et de chef suprême des armées. L'opposition et la société civile ont appelé à lutter contre ce "coup d'Etat institutionnel". Des manifestations ont éclaté faisant le 27 avril plus d’une dizaine de morts à N'Djamena et dans le Sud. Plus de 650 personnes ont été arrêtées.
Mais la plus grande menace pour les dirigeants tchadiens vient peut-être de la masse de jeunes chômeurs fatigués de la famille Deby qu’ils jugent par ailleurs "cautionnée par la France" et considèrent que le nouvel homme fort de leur pays n’est que la marionnette du "néocolonialisme français", précise Radio France cité sur franceinfo Afrique.
Le chômage touche 22% des moins de 25 ans. Comme eux, Jerusalem Klaradi, 26 ans est sans emploi, et réclame le retour à l’ordre constitutionnel. Elle précise à Reuters : "Nous souffrons. (…) Ils nous piétineront partout, mais avec le temps, il y aura la liberté." Un autre manifestant déclare lui aussi qu'il en a assez : "Trente ans et regardez-moi, à mon âge. J'ai un diplôme en agro-économie et je n'ai rien accompli. Où en sommes-nous maintenant ? (…) Nous collaborons avec la France parce que c'est un pays colonial, mais nous devons être capables de prendre en charge notre propre destin".
Quand le pétrole coulait à flots
Quand en 2003, le Tchad a commencé à pomper du pétrole dans le sud du pays, le gouvernement a salué cela comme un nouveau départ pour ce pays, l’un des plus pauvres du monde, frappé par une sécheresse et une insécurité permanentes. Alors qu’au début des années 2000, le gouvernement s’est engagé à affecter 70% des revenus pétroliers à la réduction de la pauvreté, la manne de l’or noir a plutôt permis au régime du président Idriss Déby d’acheter des armes et d’apporter des profits à une minorité au pouvoir estiment des ONG. Si le brut a rapidement dépassé le coton comme moteur de l’économie, Idriss Déby a été bien incapable de diversifier son économie. Vulnérable aux fluctuations des marchés pétroliers internationaux, le gouvernement a laissé s’endetter le Tchad.
En 2014, une chute des prix du pétrole a entraîné une crise économique et obligé alors l’Etat à licencier de nombreux fonctionnaires. Depuis, le chômage est toujours important et ce manque de diversité de l’économie limite la création d’emplois.
En 2018, 42% de la population vivait toujours sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Le pays est classé au 187e rang sur 189 au classement selon l'Indice de Développement Humain du programme des Nations unies pour le développement en 2020, précise l’AFP.
Le Tchad, avec une population de 16 millions d’habitants, repose sur environ 1,5 milliard de barils de pétrole, mais l’arrivée du coronavirus en 2020 a accentué le problème. La croissance de la production a ralenti, selon le Fonds monétaire international. L’économie s’est contractée de 0,6% en 2020 contre une croissance de 3% en 2019.
"Le manque d’emplois risque de créer un gros problème. Les gens sont en colère"
Lorsque Neldjibaye Madjissem, 31 ans a obtenu son diplôme de mathématiques en 2015, il a commencé à chercher du travail en tant que professeur d’école. Mais six ans plus tard, il cherche toujours, explique-t-il à Reuters. "Le manque d’emplois risque de créer un gros problème. Les gens sont en colère", tempête-t-il alors qu’il prépare un cours privé pour un lycéen dans le salon d’une petite maison à N’Djamena.
Depuis des années, cette récession a entraîné des milliers de licenciements dans les secteurs du pétrole, des transports et de la construction. Si ses cours privés à moins de 3 euros de l'heure, lui permettent à peine de joindre les deux bouts c’est toujours mieux que d’être sans emploi ni ressources. "Si le gouvernement nous dit aujourd'hui qu'en raison des crises et d'autres choses, il ne peut pas nous recruter, alors il vaut mieux que je donne au moins des cours particuliers dans mon quartier pour que je puisse payer le loyer et d'autres choses importantes", dit-il.
Mais le professeur blâme lui aussi le gouvernement tchadien pour le manque de travail, la mauvaise gestion des revenus pétroliers et la corruption. Il n’est pas étonné que les gens manifestent dans les rues par milliers. Pour Madjissem, plus la crise du chômage durera, plus la situation sera dangereuse pour le Tchad et toute la région du Sahel. "Les autorités doivent prendre cela au sérieux, sinon le risque est que si les jeunes ne trouvent pas de travail, ils quitteront le pays ou feront des bêtises. Ça sera triste pour tout le monde, pour notre pays, mais aussi pour le Sahel".
Environ 75 000 diplômés sont au chômage, selon une organisation locale, le Collectif des diplômés sans emploi. Mais Brahim Ben Saïd, chef de la Confédération libre des travailleurs du Tchad (CLTT) qui aide les chômeurs à lutter contre les licenciements devant les tribunaux, explique que ces chiffres ne tiennent pas compte des millions de personnes qui travaillent dans l’économie informelle et ont perdu leur emploi ces dernières années. "Les gens recherchent un emploi, et c’est la raison qui pousse les jeunes à protester".
A ce jour, le conseil militaire n'a pour l’instant présenté aucune mesure pour réduire le chômage.
Gouvernement de transition
Le 2 mai 2021, le gouvernement de "réconciliation", présenté par les nouvelles autorités comme un gouvernement d’union, a été massivement rejeté par la coordination des actions citoyennes.
Wakit Tama, un mouvement composé d’organisations de la société civiles et de partis politiques d’opposition a appelé à une nouvelle manifestation. Les leaders de la coordination citoyenne entendent poursuivre et même intensifier leur combat. Ils rejettent massivement ce nouveau gouvernement. Les membres de Wakit Tama veulent continuer de dénoncer, dans la rue, ce qu’ils désignent comme un "coup d’Etat institutionnel". Ils exigent le retour à l’ordre constitutionnel et l’ouverture d’un véritable dialogue national, explique RFI.
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