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Pourquoi la Chine fait des vagues pour une poignée d'îles

Manifestations, boycott de produits nippons, envoi de navires sur place... Pékin ne relâche pas la pression autour des Diaoyu-Senkaku. 

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Une manifestation antijaponaise dans la province de Zhejiang (est de la Chine), mardi 18 septembre 2012. (STR / AFP)

ASIE-PACIFIQUE - Ce sont les îles de la discorde. Mardi 18 septembre, des dizaines de milliers de Chinois sont à nouveau descendus dans la rue, sous l'œil bienveillant du pouvoir, pour exiger que le Japon restitue les îles Diaoyu-Senkaku. Leurs fonds marins recèleraient en effet du pétrole et du gaz, ainsi que d'importantes ressources en poissons. Mais cette crise va bien au-delà de simples revendications territoriales. Pour FTVi, Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, explique comment ce bras de fer, aux forts relents nationalistes, pourrait potentiellement déraper.

Exacerber le nationalisme pour renforcer le régime

"Rendez-nous les Diaoyu", "Mettez bas votre drapeau" ou encore "Foutez le camp, diables japonais". Depuis près d'une semaine et l'annonce par le Japon du rachat des îles Senkaku (que les Chinois appellent Diaoyu), les manifestants encerclent l'ambassade du Japon à Pékin. Ces rassemblements sont parfois violents, comme le montrent ces images tournées à Zhuhai, dans le sud du pays. De telles manifestations ne pourraient avoir lieu sans l'autorisation des autorités. Le gouvernement encourage et encadre même ces défilés antijaponais, selon certains spécialistes, cités par le Washington Post. Une analyse confirmée par les participants d'un défilé à Shanghai, mardi, qui rapportent à l'AFP que les autorités ont organisé leur transport par autocars. Pour ajouter de l'huile sur le feu, le premier moteur de recherche chinois, Baidu, affiche mardi un logo partisan sur sa page d'accueil, montrant le drapeau chinois flottant sur les îles.

Le message du moteur de recherche le plus utilisé de Chine est clair : les îles appartiennent à la Chine. (CAPTURE D'ECRAN / BAIDU)


Selon Valérie Niquet, le pouvoir est fragilisé en interne et a besoin de reprendre la main. "Ces derniers mois, le rythme de la croissance économique du pays a ralenti, les scandales de corruption, notamment autour de l'affaire Bo Xilai, ont marqué les esprits, et dernièrement le vice-président avait mystérieusement disparu. C'est un contexte difficile alors qu'approche le 18e Congrès du Parti communiste." Exacerber le nationalisme est un moyen de fédérer la population pour renforcer la légitimité du régime. Et le timing est bien choisi : le mercredi 19 septembre marque le 81e anniversaire de l'invasion japonaise de la Mandchourie chinoise, en 1931, prélude à de nombreuses années de guerre entre les deux pays, jusqu'en 1945.

Tester les Etats-Unis

"Ce type de tensions a déjà eu lieu par le passé, mais aujourd'hui, la Chine a les moyen de tenir le bras de fer et d'affirmer sa suprématie dans sa zone d'influence", explique Valérie Niquet. Pékin a renforcé sa marine et si, officiellement, les navires envoyés sur place mardi sont civils, ils sont tout de même armés. En face, le Japon s'appuie sur son allié américain. Comme l'explique le correspondant à Séoul (Corée du Sud) du Point, "en vertu d'un traité bilatéral conclu avec leur allié japonais, les Etats-Unis se sont engagés à défendre militairement ces îlots. Résultat : Washington craint de se trouver embarqué dans un conflit.

"Pour la Chine, c'est l'occasion de tester les Etats-Unis dans cette région du globe", analyse la spécialiste. Alors que Washington peine à éteindre l'incendie déclenché par le film anti-islam L'innocence des musulmans, et que l'élection présidentielle approche, quelle sera la réaction de la diplomatie américaine ? "C'est un dilemme : soit elle joue l'apaisement et tolère sans réaction l'aventurisme chinois, soit elle met un point d'arrêt à cette crise. Et dans ce cas, le risque de dérapage est réel."

Se lancer dans un bras de fer économique hasardeux 

Ces violences ont aussi visé des boutiques, des restaurants et des concessionnaires automobiles de marques nippones, comme Toyota et Honda. Ces dernières heures, plusieurs établissements japonais en Chine ont donc annoncé leur fermeture. Panasonic a ainsi suspendu la production dans deux de ses usines, rapportent Les Echoset a provisoirement fermé un troisième site. 

Mais la Chine pourrait bien se tirer une balle dans le pied. Pékin est en effet le premier partenaire commercial du Japon. En 2011, leur commerce bilatéral a augmenté en valeur de 14,3%, pour atteindre un record de 345 milliards de dollars, comme le détaillait Le Figaro. Difficile dans ces conditions de relancer la croissance économique qui fait la force du pays et qui a permis au régime communiste de prospérer. Pour Valérie Niquet, "si l'économie pâtit de ce bras de fer et que les événements dégénèrent, les autorités chinoises pourraient très bien perdre le contrôle d'une crise qu'elles ont alimentée".

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