Température record en France, forêts en souffrance, moyens insuffisants... Ce qu'il faut retenir du rapport annuel du Haut Conseil pour le climat
"Il est grand temps d'acter l'urgence et d'engager les moyens." Le Haut Conseil pour le climat (HCC) a publié, mercredi 28 juin, son cinquième rapport annuel. Ce document de 200 pages, très attendu, évalue les mesures mises en œuvre par le gouvernement français pour lutter contre le réchauffement climatique. Alors que l'année 2022 est "emblématique de l'intensification des effets du changement climatique", les membres de cette instance indépendante soulignent, une fois encore, le besoin de "transformations structurelles" qui "n'avancent pas au rythme attendu". Franceinfo vous résume ce qu'il faut retenir de ce rapport.
Des chiffres alarmants qui illustrent les conséquences du réchauffement climatique
Le document dresse le bilan de l'année 2022 en commençant par les conséquences sans précédent subies par le pays sur le front climatique. Le rapport cite quantité de chiffres alarmants :
- une température record de +2,9°C par rapport à la période 1900-1930
- un déficit de précipitations de 25% par rapport à la période 1991-2020
- une baisse des rendements agricoles allant de 10 à 30% selon les filières
- des difficultés d'approvisionnement en eau potable dans plus de 2 000 communes
- un coût de la sécheresse sur les bâtiments évalué à 2,9 milliards d'euros pour les assurances
- 75 000 hectares de forêt brûlés
- 2 816 morts en plus dues aux vagues de chaleur
Et ces conséquences sur la société et les écosystèmes sont amenées à s'intensifier. "La température record de l'année 2022 correspond à la température moyenne en France à horizon 2050-2060 pour un niveau de réchauffement planétaire qui atteindrait 2°C", peut-on lire dans le rapport. "La France n'est pas prête à y faire face, comme l'année 2022 l'a démontré", a alerté la climatologue et présidente du Haut Conseil pour le climat, Corinne Le Quéré, lors d'une conférence de presse. "L'adaptation se fait sur un mode réactif, ce n'est pas pérenne. Elle doit devenir transformatrice."
Les émissions nationales sont en baisse, mais à un rythme trop lent
Signal positif : la baisse des émissions de gaz à effet de serre, responsables du changement climatique, se poursuit en France. Elles ont diminué de 2,7% en 2022 par rapport à 2021, pour atteindre 403,8 Mt eqCO2. Les secteurs du bâtiment et de l'industrie y ont largement contribué (voir notre infographie ci-dessous), à l'inverse des transports et de l'énergie, qui en ont émis davantage.
Le HCC explique cette tendance par la douceur observée cet automne et cet hiver, qui a réduit les besoins en chauffage, ainsi que par les "mesures de sobriété en réponse à la hausse des prix de l'énergie et au plan de sobriété du gouvernement". La France fait ainsi partie des 18 pays cités dans le rapport qui "ont vu leurs émissions diminuer durant une décennie ou plus".
Le rythme de baisse est toutefois encore "insuffisant" et devrait "presque doubler" pour atteindre les objectifs de 2030, déplore le HCC. De plus, si la France a respecté en 2022 les engagements qu'elle s'est fixés en termes d'émissions brutes (définis dans la Stratégie nationale bas-carbone), ce n'est plus le cas lorsqu'on prend en compte la trop faible absorption des ces mêmes émissions par les puits de carbone.
Les forêts françaises ont une moins bonne capacité à absorber le carbone
Le rapport alerte tout particulièrement sur la réduction du potentiel des puits de carbone, ces écosystèmes qui absorbent le CO2 présent dans l'atmosphère. "La quantité de carbone stockée par les puits de carbone français a diminué (-21%) en 2021", relate le rapport. Les données pour l'année dernière ne sont pas encore disponibles, mais le HCC prévient que "la sécheresse du printemps en 2022 et les incendies de l'été auront contribué à détériorer les stocks de carbone des forêts sur la dernière année".
"La mortalité dans les forêts a augmenté de 50% cette dernière décennie. On a besoin d'une action de grande ampleur pour régénérer les forêts et développer l'absorption dans les sols agricoles, pour pouvoir atteindre la neutralité carbone en 2050."
Jean-François Soussana, membre du HCClors d'une conférence de presse
De nombreux blocages freinent la lutte contre le réchauffement
"Il y a des blocages dans tous les secteurs", pointe du doigt Corinne Le Quéré. Le rapport souligne la persistance de niches fiscales qui reviennent à subventionner les énergies fossiles. "À l'heure actuelle, les financements du bouclier tarifaire envoient un signal opposé à la lutte contre le changement climatique" , illustre la présidente du HCC. Le rapport identifie 80 milliards d'euros de dépenses publiques défavorables au climat sur la période 2021-2023, dont 43 milliards prévus cette année.
"Ce qu'on demande, c'est un calendrier de réduction de ces niches fiscales. Aujourd'hui, il faut les réévaluer, pour aligner tout ça avec les objectifs climatiques."
Benoît Leguet, membre du HCClors d'une conférence de presse
Par ailleurs, le HCC met en lumière les freins qui empêchent plusieurs secteurs de suivre la cadence. Dans les transports, "la consommation des véhicules thermiques croît du fait de l'augmentation du poids des voitures" et "l'électrification des véhicules utilitaires légers et des poids lourds se déploie trop lentement". Dans le bâtiment, la consommation d'énergie "diminue trop lentement". Et dans le secteur de l'énergie, "l'augmentation de la production des énergies renouvelables électriques est trois fois trop lente".
L'action politique progresse, mais pas suffisamment
"Une approche d'ensemble se construit, avec de nombreux documents stratégiques couvrant la plupart des secteurs", salue le HCC dans son rapport 2023. Il approuve notamment la mise en place du secrétariat général à la planification écologique, qui aide à faire remonter les arbitrages jusqu'à Matignon. "Il s'est passé beaucoup de choses en 2022. On peut dire qu'on a dépassé la politique des petits pas, mais on n'est pas encore au pas de course", modère Corinne Le Quéré.
Le rapport questionne la "cohérence" et "l'alignement" des politiques avec les objectifs climatiques. Pour le HCC, il manque également des dispositifs de suivi et d'évaluation des mesures. Le document insiste surtout sur l'absence "d'une politique économique d'ampleur pour répondre à la hauteur des enjeux", déplore Corinne Le Quéré. Selon le HCC, les moyens financiers sont insuffisants.
"Les dépenses publiques annuelles nécessaires à la transition doivent rapidement augmenter pour atteindre autour de 30 milliards supplémentaires en 2030."
Le Haut Conseil pour le climatdans son rapport 2023
Pour améliorer l'action du gouvernement, le HCC développe toute une série de recommandations. Il faut selon lui renforcer l'adaptation et prendre davantage en compte son coût, mieux contrôler l'efficacité des mesures, revoir la fiscalité des énergies fossiles ou encore intégrer les engagements de la France à l'international dans les textes de loi.
L'instance s'attarde également sur chaque secteur, préconisant par exemple de renforcer les aides pour changer de véhicule, d'accélérer le déploiement du ferroviaire, de mieux accompagner les agriculteurs ou les industriels dans leur transition, d'intensifier la rénovation des bâtiments ou de consolider les mesures de sobriété énergétiques prises en 2022. Le gouvernement a, pour ce faire, des "opportunités à ne pas manquer", selon le HCC, comme la future Stratégie française sur l'énergie et le climat. Sa traduction législative est attendue dans les prochaines semaines.
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