Guerre en Ukraine : on vous résume la semaine où Kiev a repris l'initiative militaire face aux troupes russes
Avec sa contre-offensive éclair, Kiev a presque libéré la région de Kharkiv et lorgne déjà vers les territoires occupés de l'Est. Reste que les troupes russes occupent toujours de larges pans de l'Ukraine. La réaction de Moscou est scrutée de près.
Il y a quelques jours encore, un tel scénario semblait improbable. Après plusieurs mois de statu quo dans la guerre qui oppose l'Ukraine à la Russie, la dynamique militaire semble désormais du côté des troupes de Kiev. Koupiansk, Balakliïa, Vovtchansk... La liste des villes reprises à la Russie par l'armée ukrainienne s'allonge de jour en jour, depuis le 6 septembre. La prise d'Izioum, notamment, vient concrétiser la contre-offensive éclair qui a repoussé les forces russes de l'essentiel de la région de Kharkiv. Le drapeau bleu et jaune flotte de nouveau sur le bâtiment du gouvernement local, alors que cette ville constituait, jusqu'ici, une importante plate-forme logistique pour les forces de Moscou.
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Au total, "depuis le début du mois de septembre, nos soldats ont déjà libéré 6 000 kilomètres carrés de territoire ukrainien dans l'Est et le Sud, et nous continuons d'avancer", a déclaré Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, lundi 12 septembre dans la soirée. Deux fois plus, donc, que ce qui avait été annoncé seulement la veille. Selon les premiers éléments disponibles, l'armée locale tente désormais de prendre pied à l'est de la rivière Oksil, qui fait office de frontière naturelle. Avant d'espérer mieux, cette fois dans la région de Louhansk.
Les combats font rage aux environs de Lyman, verrou de l'axe qui conduit vers le Donbass. Ce qui n'empêche pas le gouverneur de l'oblast occupé de Louhansk, Sergueï Gaïdai, d'afficher son optimisme : "Les forces armées ukrainiennes commenceront bientôt les opérations pour libérer la région". La situation évolue jour après jour, et il est encore trop tôt pour savoir où sera fixée la future ligne de front entre les deux pays belligérants.
NEW: #Ukrainian forces are continuing to make impactful gains in #Kherson Oblast and are steadily degrading the morale and combat capabilities of #Russian forces in this area.
— ISW (@TheStudyofWar) September 13, 2022
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Selon la Conflict Intelligence Team, une organisation d'experts russes, Moscou a perdu 7,7% du territoire qu'elle occupait en Ukraine depuis le 2 juin. La plus grande partie de ces pertes (6,9%) a eu lieu lors de la dernière semaine d'offensive. Le Kremlin a d'abord tenté d'invoquer un "regroupement stratégique des forces". Mais cette déclaration n'a guère fait illusion, tant le départ des forces russes semble précipité. D'innombrables documents prouvent que les forces russes ont bien abandonné des munitions et des véhicules en toute hâte, sans même avoir pris le temps de les saboter.
Les livraisons d'armes portent leurs fruits
Edouard Jolly, chercheur à l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire, évoque sur franceinfo "une quarantaine de chars, dont une vingtaine qui nécessiteraient des réparations, une vingtaine de chars très récents T-80 (...), des véhicules de combat d'infanterie, du matériel de transmission et de reconnaissance et aussi des unités d'artillerie". Une manne inespérée, qui a fait naître une plaisanterie très en vogue sur les réseaux sociaux côté ukrainien : "Si la Russie nous envoie autant d'armes, alors l'Allemagne peut aussi le faire..."
Cette contre-offensive dans l'Est est surprenante, car Kiev s'était d'abord contentée d'annoncer une opération d'ampleur dans le Sud, finalement lancée la semaine du 5 septembre, afin de reprendre la ville de Kherson, occupée depuis les premiers jours du conflit. Fait remarquable, cela montre la capacité de l'armée ukrainienne à progresser simultanément sur deux fronts. Au total, Kiev affirme avoir repris 500 kilomètres carrés de territoires aux forces russes en deux semaines, depuis son bastion de Mykolaïv.
"Pourquoi cela arrive maintenant ? Parce que le gros du matériel militaire occidental qui a été promis, notamment américain, est arrivé", estime sur franceinfo Pierre Servent, colonel de réserve opérationnelle et spécialiste des questions de défense. Une référence aux Himars, ces lance-roquettes américains à très longue portée.
La coopération avec les Etats-Unis est également intense en matière de renseignement militaire : au mois d'août, Washington a signalé à Kiev que "les Russes avaient déplacé une partie de leurs meilleures unités vers le Sud", explique au New York Times (en anglais) Colin Kahl, numéro trois du Pentagone. Enfin, depuis le début de la guerre, les Etats-Unis ont déjà formé 1 475 soldats ukrainiens au maniement de systèmes d'artillerie et de drones, selon les chiffres obtenus par le magazine Foreign Policy.
De nouveaux objectifs pour le Kremlin
Pour autant, la riposte de l'Est n'a pas entraîné de "débandade" russe, avertit sur franceinfo Etienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine. "Il n'y a pas de [capture de] prisonniers russes de façon massive par les troupes ukrainiennes." A court terme, les forces de Vladimir Poutine seront tout de même contraintes de définir de nouveaux objectifs. "Les Russes devront choisir entre se replier sur le Donbass ou garder la bande Sud avec la mer d'Azov et la Crimée", analyse pour Le Monde Joseph Henrotin, chargé de recherche à l'Institut de stratégie comparée (ISC).
Les récentes victoires ukrainiennes ont suscité de nombreuses réactions chez les commentateurs militaires russes. Certains veulent continuer de croire à un prétendu piège tendu à l'ennemi, afin de mieux l'étouffer. Mais cette explication peine à convaincre.
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Alexander Kots, correspondant de guerre russe, évoque, quant à lui (en russe), la présence de "fringants cowboys" et "d'Afro-Américains" venus combattre en Ukraine au sein d'unités étrangères. Et accuse donc l'Otan d'intervenir directement sur le terrain, sur la foi d'une vidéo publiée par Malcolm Nance, vétéran américain parti rejoindre la légion internationale en mars dernier.
Une fronde chez des commentateurs russes
Par ailleurs, le Kremlin et l'état-major russe essuient des critiques inédites de la part du camp ultra-nationaliste. Igor Girkine, dit "Strelkov" ("le tireur" en russe), multipliait déjà les banderilles depuis le début du conflit. Cet expert militaire russe, qui bénéficie d'une aura pour avoir mené les rebelles de Donetsk en 2014, qualifie désormais les généraux de "crétins" (en russe) et pointe les erreurs tactiques du commandement. "L'ennemi ne donnera pas à nos troupes le temps de se regrouper et de renforcer les positions vulnérables."
Les chaînes Telegram les plus en vue (Grey Zone, Informateur militaire, Lettres de Yaroslavl...) ont également multiplié les commentaires critiques sur le commandement militaire. "Nous savons que nous sommes tous sur vos listes noires car nous sommes les plus gênants pour vous", écrit ainsi la chaîne Rybar (780 000 abonnés) à l'attention du ministère de la Défense russe. Le dirigeant tchétchène, Ramzan Kadyrov, a déclaré à son tour qu'il irait lui-même discuter "de la situation sur le terrain avec les dirigeants du ministère de la Défense et du pays", si la stratégie n'était pas modifiée.
De son côté, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, préfère temporiser : "Vladimir Poutine est en relation 24h/24 avec le ministre de la Défense et les commandants militaires". Une manière, donc, de rappeler que le président est toujours aux commandes de ce qu'il appelle "l'opération spéciale". La veille, Vladimir Poutine était apparu à l'inauguration d'une grande roue pour les 875 ans de Moscou, suscitant des interrogations sur sa gestion de la situation, alors même qu'Izioum repassait sous contrôle ukrainien.
L'hypothèse d'une mobilisation générale ?
Le président russe a ensuite reporté une réunion prévue avec des hauts gradés et des représentants de l'industrie militaire. En guise de représailles, l'aviation russe a également bombardé la deuxième plus grande centrale thermique d'Ukraine, près de Kharkiv, entraînant une panne de courant géante. Puis les frappes ont repris, lundi, dans deux quartiers de la capitale régionale (faisant au moins un mort et six blessés), sans que l'état-major ne daigne préciser l'objectif stratégique recherché. Mardi, le ministère de la Défense a annoncé des frappes massives dans "toutes les directions opérationnelles".
En parallèle, l'opportunité d'une mobilisation générale fait de nouveau débat. Gennady Zyuganov, leader du Parti communiste russe, y est favorable, estimant que le pays est désormais "en guerre". L'option semble aventureuse, politiquement et militairement. Et Alexander Khodakovsky, un commandant du bataillon Vostok, a déjà pris ses distances avec l'idée d'une mobilisation générale. Les revers russes, insiste-t-il (en russe), ne sont pas liés au nombre de soldats mais à leur "utilisation bâclée", ainsi qu'au manque d'organisation et d'équipements. A court terme, écrit-il, la Russie est condamnée à "broyer ses ressources dans le hachoir à viande de la guerre".
"Pour le moment, non, il n'y a pas de discussion" sur une éventuelle mobilisation générale, a répondu mardi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, devant la presse. Il assure que l'offensive "va se poursuivre jusqu'à ce que les objectifs initialement fixés soient atteints". Reste à savoir lesquels, tant ceux-ci semblent avoir varié depuis le début de la guerre. Kiev, de son côté, dispose encore de quelques semaines pour enfoncer le clou, avant l'arrivée des premiers gels de l'hiver.
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