Crise migratoire à Lampedusa : qu'a fait Giorgia Meloni face à l'immigration depuis son arrivée au pouvoir en Italie ?
De nouvelles mesures pour continuer d'afficher une ligne dure face à l'arrivée de migrants sur son territoire. Le gouvernement italien a annoncé, lundi 18 septembre, la création de nouveaux centres de rétention, ainsi que l'allongement de la durée de cette rétention – de 135 jours à 18 mois – pour les migrants en situation irrégulière et déboutés de leur demande d'asile. Ces annonces font suite au débarquement en quelques jours de quelque 8 500 exilés à Lampedusa, soit davantage que la population entière de l'île transalpine.
Depuis sa victoire aux élections législatives en 2022, la présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, assume un discours d'extrême droite ouvertement hostile à une immigration qu'elle qualifie volontiers de "massive". La cheffe du gouvernement, cheffe du parti nationaliste Fratelli d'Italia, a d'abord défendu l'idée d'un blocus naval pour éviter les arrivées d'exilés sur les côtes italiennes. "La seule façon d'arrêter l'immigration clandestine est le blocus maritime, c'est-à-dire une mission européenne en accord avec les autorités nord-africaines. Il n'y a que comme ça qu'on pourra mettre un terme aux départs illégaux vers l'Italie et à la tragédie des morts en mer", avait-elle déclaré en août 2022, rappelle le site d'information InfoMigrants.
Une promesse de blocus sans lendemain
"On ne sait pas vraiment ce qu'elle entendait mettre en place. Ce sont des effets d'annonce : proposer des choses qui restent vagues et qui sont irréalisables", analyse Camille Le Coz, chercheuse au centre de réflexion Migration Policy Institute. "C'est une manière de détourner l'attention des véritables enjeux, de la gestion des arrivées", poursuit Helena Hahn, chercheuse spécialiste des migrations au European Policy Centre.
"Ces mesures sont présentées comme un moyen de résoudre le problème, mais elles ne fonctionnent pas, pour des raisons pratiques ou juridiques."
Helena Hahn, chercheuse au European Policy Centreà franceinfo
La dirigeante d'extrême droite a depuis tempéré ses discours sur ce blocus maritime, tout en prônant une deuxième mesure controversée et, elle aussi, difficilement applicable : la création de "hotspots" en dehors de l'Union européenne, où des exilés resteraient le temps d'examiner leur demande d'asile. "Il s'agit d'une vieille idée, purement illusoire", tranche Camille Le Coz, pointant "un décalage entre les promesses de campagne vagues et populistes et la réalité du pouvoir". Une telle mesure a déjà été évoquée par le Danemark ou le Royaume-Uni, sans aboutir à ce stade.
Au fil des mois, les discours anti-immigration de Giorgia Meloni se sont aussi heurtés à la réalité des chiffres. Celle qui espérait limiter les flux migratoires a vu les arrivées d'exilés en situation irrégulière sensiblement augmenter en un an, rappelle Le Monde : environ 113 000 arrivées ont été recensées entre janvier et août, plus du double par rapport à la même période un an plus tôt. Instabilité politique, persécutions, crises économiques... "Des facteurs structurels font que les gens vont continuer à migrer", souligne Camille Le Coz. La spécialiste rappelle aussi que la situation, pour les personnes migrantes noires en Tunisie, "est devenue intenable", les poussant encore davantage sur les routes de l'exil.
"Giorgia Meloni peut avoir un discours radical, mais les personnes qui migrent ne l'écoutent pas."
Camille Le Coz, chercheuse au Migration Policy Instituteà franceinfo
Face à ces arrivées en hausse, l'Italie de Giorgia Meloni va plus loin dans l'externalisation, le fait de compter sur des pays tiers pour la gestion (et la limitation) des migrations. Fin juillet, la cheffe du gouvernement italien a organisé à Rome une conférence avec des dirigeants du pourtour méditerranéen, autour du lancement – encore à ses prémices – du "processus de Rome". Ses priorités sont la "lutte contre l'immigration illégale, la gestion des flux légaux d'immigration, le soutien aux réfugiés, et surtout, la chose la plus importante : une large coopération pour soutenir le développement de l'Afrique, et particulièrement des pays de provenance" des migrants. Le projet s'inscrit dans la lignée du partenariat signé entre l'UE et la Tunisie, visant notamment à lutter contre l'immigration irrégulière.
Une doctrine contre-productive
Pour Camille Le Coz, le gouvernement italien coopère avec la Tunisie "en disant : 'Vous arrêtez les migrants', en étant prêt à une approche très sécuritaire et à soutenir un gouvernement de plus en plus problématique". "Le gouvernement veut montrer qu'il peut contrôler, et il est prêt à aller le plus loin possible", mais "l'Italie ne peut pas agir seule". La spécialiste des questions liées aux migrations eu Europe relève ainsi que Giorgia Meloni a, finalement, eu "une approche plus européenne que son discours initial ne le laissait penser".
Cette ligne de coopération avec des pays tiers, comme la Tunisie, est contestée. Au début du mois d'août, plus d'un millier de migrants ont ainsi été contraints d'errer dans le désert, sans eau ni nourriture. Et en Libye voisine, de graves violations des droits de l'homme ont été documentées. Cette doctrine peut aussi avoir l'effet inverse de celui escompté, défend Helena Hahn. "Quand ces politiques sont annoncées, elles peuvent conduire à des réactions, des tentatives de la dernière chance", estime la spécialiste.
"Ces accords impliqueront plus de contrôle [au départ], ce qui peut susciter un sentiment de panique. Des personnes migrantes, parfois sous la pression de passeurs, tenteront une dernière chance de traverser la Méditerranée." Entraînant une hausse des exils vers l'Europe... et des risques de naufrages en Méditerranée, déjà responsables de la mort de plus de 25 000 migrants depuis 2014, selon les données du "Missing Migrants Project" mené par une agence de l'ONU.
Des sauvetages en mer sous contrainte
En début d'année, une mesure du gouvernement Meloni est venue cibler le travail des ONG opérant en Méditerranée. Un décret a instauré une règle de débarquement obligatoire après un seul sauvetage, "empêchant de facto plusieurs sauvetages", relève Jérôme Tubiana, conseiller aux opérations de Médecins sans frontières (MSF) sur les questions de migrations et de réfugiés. Les autorités ont, en parallèle, "assigné aux ONG des ports de débarquement de plus en plus lointains, au nord de l'Italie, jusqu'à quatre jours de mer". Le Conseil de l'Europe s'est empressé d'écrire au ministre de l'Intérieur italien pour exprimer ses inquiétudes.
Jérôme Tubiana rappelle que les ONG ont contesté ces mesures, "mais pour cela, elles ont été régulièrement sanctionnées par les autorités italiennes". S'il avait respecté à la lettre le décret, le bateau de secours de MSF, le Geo Barents, serait passé de 4,5 sauvetages en moyenne par rotation à un seul, d'après Jérôme Tubiana. "En 2022, nous avons effectué 59 sauvetages de 3 848 migrants. Si nous n'avions pu faire qu'un seul sauvetage par rotation, nous n'aurions effectué que 14 sauvetages de 1 033 migrants."
"Même si elles n'ont pas été totalement appliquées, les mesures de Giorgia Meloni ont suffisamment gêné les secours en mer pour qu'on puisse penser qu'elles ont provoqué une augmentation des morts en Méditerranée centrale."
Jérôme Tubiana, conseiller de Médecins sans frontièresà franceinfo
Les nouvelles mesures ciblant les ONG de secours en mer poursuivent la politique menée par l'ancien ministre de l'Intérieur italien, Matteo Salvini, entre 2018 et 2019. Cette figure de l'extrême droite, aujourd'hui ministre des Infrastructures et des Transports, avait été en conflit avec des associations opérant en Méditerranée. Autre continuité, selon Helena Hahn : celle de la politique des "laissez-passer", qui permet à des exilés de transiter par l'Italie pour rejoindre d'autres pays européens.
Pragmatisme et changement de discours
La politique italienne des corridors humanitaires se poursuit également sous la gouvernance de Giorgia Meloni, précise Camille Le Coz. Elle permet actuellement l'entrée en Italie de plus d'un millier de réfugiés syriens en provenance du Liban et d'exilés d'Afrique subsaharienne venant du Maroc. "Il y a cette logique de dire : 'On a des voies légales pour les 'vrais' réfugiés, mais on souhaite mettre fin à l'immigration irrégulière'", souligne-t-elle.
Le gouvernement Meloni reconnaît également son besoin d'une immigration économique importante, face à une population vieillissante et des secteurs en demande de main d'œuvre. Les autorités ont ainsi prévu l'arrivée de 452 000 travailleurs étrangers d'ici 2025, selon les données officielles. "C'est un comportement très pragmatique, commente auprès de Politico Matteo Villa, spécialiste des migrations. Il y a eu un changement de discours." D'après le Financial Times, l'Italie délivrait jusqu'ici moins de 31 000 permis de travail par an aux travailleurs étrangers extérieurs à l'Union européenne.
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