Politique, médias, services publics... Comment le Hezbollah est devenu un "Etat dans l'Etat" au Liban

Article rédigé par franceinfo
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Le portrait d'Hassan Nasrallah, ancien chef du Hezbollah, au milieu des ruines de bâtiments bombardés par une frappe israélienne à Beyrouth, au Liban, le 2 octobre 2024. (FADEL ITANI / AFP)
Depuis sa création en 1982, la milice chiite pro-iranienne a progressivement étendu son emprise sur la politique et l'économie libanaise. Sa puissance est toutefois remise en question depuis qu'Israël a lancé une offensive contre ses forces fin septembre.

"Libérez votre pays du Hezbollah pour que cette guerre puisse se terminer." Dans une vidéo publiée mardi 8 octobre, Benyamin Nétanyahou s'est adressé aux Libanais et les a appelés à se soulever contre le mouvement chiite. "Vous avez une occasion de sauver le Liban avant qu'il ne sombre de l'abîme d'une longue guerre qui provoquera des destructions et des souffrances comme celles que nous voyons à Gaza" , a menacé le Premier ministre israélien.

Au lendemain des attaques du 7-Octobre menées par le Hamas en Israël, le Hezbollah a ouvert un autre front, en soutien à la milice palestinienne. Pendant un an, les affrontements transfrontaliers ont été quasiment quotidiens entre l'armée israélienne et le mouvement libanais, jusqu'à l'offensive terrestre déclenchée par l'Etat hébreu dans le sud du Liban, le 1er octobre.

Avec 100 000 combattants revendiqués et 150 000 roquettes et missiles, le Hezbollah est considéré comme étant l'une des plus importantes formations militaires au monde pour un groupe non étatique. Le "Parti de Dieu" a été fondé en 1982 par les Gardiens de la Révolution iraniens, à la suite de l'invasion israélienne du Liban. Depuis, l'organisation chiite, classée comme terroriste par les Etats-Unis et l'Union européenne, n'a cessé d'accroître son influence dans la société libanaise. De milice armée, elle est également devenue l'une des principales formations politiques du pays, au point d'être souvent considérée comme un "Etat dans l'Etat".

Un réseau d'hôpitaux et d'écoles

Le Hezbollah voit le jour dans le Sud-Liban en 1982. A cette époque, et aujourd'hui encore, cette région agricole dominée par des collines et des montagnes est habitée par une "population assez pauvre, composée en majorité de musulmans chiites", explique Clara Hage, journaliste au quotidien libanais L'Orient-Le Jour. Ces derniers sont délaissés par le gouvernement libanais, dirigé par des chrétiens maronites et des sunnites, développe l'émission "Le Dessous des cartes" sur Arte. Dans ce contexte, le Hezbollah se construit autour d'un discours basé sur l'injustice sociale. Son manifeste publié en 1985 est d'ailleurs un "appel aux déshérités", notent les chercheurs Myriam Catusse et Joseph Alagha dans un article (en PDF) issu de l'ouvrage collectif Le Hezbollah (éd. Actes Sud). Dans le Sud-Liban, la milice "se développe à travers des organisations caritatives pour aider les familles les plus démunies. Cela lui permet aussi d'étendre son influence et de recruter des membres", reprend Clara Hage.

"Il n'y a pas un village dans le Sud-Liban où le Hezbollah n'est pas fortement présent."

Clara Hage, journaliste à "L'Orient-Le Jour"

à franceinfo

Au fil des années, le Hezbollah étend son influence dans d'autres territoires du Liban à majorité chiite, comme la banlieue sud de Beyrouth et la plaine de la Bekaa, frontalière avec la Syrie, comme l'a cartographié Le Monde. Grâce à l'appui financier de l'Iran, le Hezbollah "va construire un monde de bienfaisance, avec des écoles, des dispensaires, une université... C'est pour ça qu'il a une assise populaire très solide au sein de la communauté chiite", constate Jihane Sfeir, spécialiste du monde arabe contemporain et enseignante à l'Université libre de Bruxelles.

La principale structure sociale du Hezbollah est la Fondation du martyr, qui permet notamment de prendre en charge, via ses établissements médicaux, les familles de ses combattants morts au combat. Le Hezbollah crée également la Fondation pour le bon prêt, qui délivre depuis 1982 des crédits sans intérêts dans les régions chiites du Liban afin de "pallier les conséquences de l'invasion israélienne", selon l'article de Myriam Catusse et Joseph Alagha. Aujourd'hui encore, face à la crise économique que traverse le Liban, la formation apporte un soutien financier important à la population. En 2024, elle a notamment déployé une carte magnétique qui permet à ses détenteurs d'avoir accès aux magasins du parti et de bénéficier de réductions importantes sur les produits de première nécessité, rapporte L'Orient-Le Jour.

Un parti devenu incontournable

Le Hezbollah se présente pour la première fois aux élections législatives libanaises en 1992, deux ans après la fin de la guerre civile. Les accords de Taëf signés à la fin du conflit en 1989 ont renforcé la représentativité des chiites dans le système politique confessionnel libanais. Hassan Nasrallah, tout juste arrivé à la tête du mouvement, prend la décision de faire entrer sa formation dans les institutions libanaises afin de faire valoir ses intérêts et ceux de la communauté chiite, développe la spécialiste Jihane Sfeir. Le "Parti de Dieu" fait alors sa première entrée au Parlement avec huit députés, rappelle L'Orient-Le Jour.

En 2004, quatre ans après le retrait d'Israël du Sud-Liban au terme de près de vingt ans d'occupation, l'ONU adopte la résolution 1559, exigeant le retrait des forces étrangères, le désarmement des milices et la tenue d'une élection présidentielle sans ingérence étrangère. Craignant de perdre son poids militaire et politique, le Hezbollah décide alors de participer au gouvernement libanais. En 2005, après l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafiq Hariri, imputé au Hezbollah et à la Syrie, le groupe chiite intègre pour la première fois l'exécutif libanais. Deux de ses membres, Mohammad Fneich et Trad Hamadé deviennent respectivement ministre de l'Energie et de l'Eau et ministre du Travail.

"Le projet du Hezbollah est d'utiliser le système politique libanais pour lutter contre Israël et défendre ses affaires. Progressivement, il va gagner en puissance."

Jihane Sfeir, spécialiste du monde arabe contemporain

à franceinfo

Ce pouvoir s'accroît en 2006 lorsque le mouvement chiite parvient à sceller une alliance avec le Courant patriotique libre (CPL) du président chrétien Michel Aoun. Les deux parties s'accordent par écrit sur un dialogue diplomatique avec la Syrie – alliée du Hezbollah – ou encore sur la possession d'armes par la milice chiite, étaye L'Orient-Le Jour. Cette alliance déterminera par la suite la formation des gouvernements successifs, explique RFI. En 2016, c'est donc Michel Aoun qui accède à la présidence. "Le Hezbollah a fini par phagocyter l'Etat libanais et dominé la scène politique libanaise", observe Rym Montaz, spécialiste du Liban, dans le podcast "Le Collimateur". Aujourd'hui, le Hezbollah participe au gouvernement et ses députés forment (avec ses alliés) le groupe le plus important au Parlement. Mais aucun bloc n'y dispose de la majorité absolue, empêchant depuis près de deux ans l'élection d'un président de la République.

Bien que le Hezbollah continue de bénéficier d'un fort soutien au sein de la communauté chiite, une partie de la classe politique libanaise lui reproche d'avoir plongé le pays dans un conflit avec Israël depuis le 7-Octobre. Pour une partie de la population, l'image de "parti pur" et "incorruptible" a également été ternie en 2020 avec les explosions du port de Beyrouth imputées à la milice, remarque Jihane Sfeir. En juillet, seuls 30 % des Libanais déclaraient avoir une confiance assez grande ou très grande dans le Hezbollah, rapporte la revue spécialisée Foreign Affairs. Pour certains, "l'Etat est en faillite et le Hezbollah est aussi en train d'agoniser", observe Jihane Sfeir, après les attaques aux bipeurs subies par ses membres en septembre et la mort d'une grande partie de ses commandants dont son chef historique Hassan Nasrallah.

Une machine de propagande

Dès sa création, le Hezbollah a mis en place un réseau de médias destinés à diffuser sa propagande. Selon la politiste Olfa Lamloum, membre de l'Institut français du Proche-Orient à Beyrouth, le groupe a orienté sa stratégie de communication autour de deux constantes : garantir sa visibilité et défendre son projet auprès des médias nationaux et internationaux, et établir un réseau médiatique autonome capable de refléter ses positions, écrit-elle dans un article (en PDF) de 2008. En 1984, le Hezbollah lance ainsi son premier hebdomadaire Al-Ahd, chargé de diffuser son projet politique.

Dans les années 1990, le Hezbollah crée aussi la chaîne de télévision Al-Manar, accusée au début des années 2000 d'avoir diffusé des feuilletons antisémites et conspirationnistes, puis la radio Al-Nour. Toutes ces activités médiatiques sont supervisées de manière centralisée, ce qui permet au Hezbollah d'être "de tous les partis islamistes, celui qui a le plus investi le champ médiatique, à la fois au Liban et dans le reste du monde arabe", constate la chercheuse.

La chaîne (interdite depuis 2004 en Europe et aux Etats-Unis) a notamment acquis une grande popularité dans les territoires palestiniens, où elle a diffusé son imaginaire. "Désormais, le Hamas imite le folklore du Hezbollah jusque dans ses moindres détails : défilés de futurs kamikazes tout de noir vêtus et bardés de pains d'explosif, parades paramilitaires mâtinées de kung-fu, etc.", expliquait ainsi le journaliste spécialiste du Moyen-Orient Christophe Ayad en 2004 dans Libération.

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