"Loyauté", "incompétence" et "ligne Maga" : derrière les nominations de la future administration de Donald Trump, un même profil politique

Article rédigé par Zoé Aucaigne
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Elon Musk, Kristi Noem, Robert Kennedy Jr et Linda McMahon ont été choisis par le président américain élu, Donald Trump, pour faire partie de son administration. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO / AFP)
Toutes les personnes nommées jusqu'ici à la tête des différents ministères américains ont prêté allégeance au républicain et s'inscrivent dans la ligne ultraconservatrice du mouvement trumpiste "Make America Great Again".

Le casting est digne de "Danse avec les stars", raille le New York Magazine. Depuis son élection, le 5 novembre, le prochain président des Etats-Unis, Donald Trump, dévoile les noms des membres de son futur gouvernement. On y retrouve, pêle-mêle, l'homme le plus riche du monde, Elon Musk, qui copilotera le nouveau département de l'Efficacité gouvernementale avec l'homme d'affaires Vivek Ramaswamy, ou encore l'ancienne patronne du catch américain, Linda McMahon, nommée à l'Education. Au fil de ces nominations détonantes, un profil similaire se dessine.

"Le critère numéro un, c'est la loyauté", pose d'emblée Ludivine Gilli, directrice de l'Observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. C'était d'ailleurs la condition martelée par l'entourage du président élu à l'attention des prétendants. "Chers demandeurs d'emploi chez Trump, avant de solliciter mon aide, je vais vous demander de me fournir des preuves concrètes de votre loyauté envers Trump", a écrit sur X Mike Davis, avocat proche du républicain, dès le 7 novembre.

Des avocats personnels de Donald Trump à la Justice

Parmi les heureux élus, il y a ceux qui sont dans le paysage trumpiste depuis des années, comme Pete Hegseth, à qui doit revenir le ministère de la Défense. Cet ancien militaire soufflait déjà à l'oreille de Donald Trump pendant son premier mandat. Quant à Susie Wiles, sa cheffe de cabinet, elle était chargée de sa campagne en Floride dès 2016, rapporte CBS. La future secrétaire à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, est quant à elle l'un des fidèles soutiens du président élu, depuis 2018, année de son arrivée au poste de gouverneure du Dakota du Sud. Le milliardaire Scott Bessent, gestionnaire de fonds spéculatifs, mais aussi donateur et conseiller de Donald Trump, se voit confier le prestigieux et influent rôle de secrétaire au Trésor.

Le président américain élu, Donald Trump, et la future secrétaire à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, à la Maison blanche, à Washington (Etats-Unis), le 13 décembre 2018. (THE WASHINGTON POST / GETTY IMAGES)

Donald Trump a aussi choisi ceux qui ne l'ont jamais lâché quand, en 2020, après sa réélection manquée face à Joe Biden, il criait à la fraude électorale, sans jamais l'avoir prouvée. Parmi ses fervents défenseurs, on trouve le futur conseiller à la Sécurité nationale, Michael Waltz, ou encore la prochaine ambassadrice aux Nations unies, Elise Stefanik. Pam Bondi, désignée ministre de la Justice, faisait, elle, partie de l'équipe de défense de Donald Trump lors de son procès en destitution au Sénat. Elle sera secondée par trois des avocats personnels du milliardaire : Todd Blanche, Emil Bove et John Sauer.

Un carnet d'adresses plus étoffé qu'en 2016

Le milliardaire mise aussi sur ses anciens rivaux républicains devenus ses soutiens. Marco Rubio, candidat lors des primaires républicaines de 2016, hérite du prestigieux poste de chef de la diplomatie. Le sénateur de Floride avait qualifié à l'époque Donald Trump d'"escroc", avant d'affirmer en mars 2016 ne "pas être fier" de ces insultes, puis d'endosser le rôle de conseiller informel sur l'Amérique du Sud. Mike Huckabee, nommé ambassadeur en Israël, a lui aussi jeté l'éponge dans la campagne présidentielle en 2016 après avoir obtenu un mauvais score au premier caucus de l'Iowa. L'histoire s'est répétée en 2024 pour Vivek Ramaswamy, candidat aux primaires qui s'est rangé derrière Donald Trump dès le mois de janvier.

Ce besoin de loyauté n'est pas nouveau. Quand il est arrivé à la Maison Blanche en 2016, "Donald Trump voulait s'entourer de gens fidèles. Mais il n'avait pas un assez gros carnet d'adresses pour sortir tous les noms de son chapeau", explique Ludivine Gilli, rappelant que le président doit fournir 4 000 postes dans l'administration. A défaut d'affidés, il avait alors pioché dans son cercle familial : sa fille, Ivanka Trump, et son gendre, Jared Kushner, étaient ainsi devenus ses proches conseillers.

"Résultat : il y a eu un turn-over phénoménal, car les personnalités n'avaient pas été suffisamment testées."

Ludivine Gilli, spécialiste de la politique américaine

à franceinfo

Pas moins de quatre chefs de cabinet se sont succédé pendant le premier mandat de Trump, dont John Kelly, qui l'a qualifié de "fasciste" au cours de la dernière campagne présidentielle. Son prédécesseur à la Maison Blanche, Barack Obama, n'avait eu que cinq "chiefs of staff" différents en huit ans. Pour ce second mandat, "nous attribuerons aux gens un rôle en fonction de leurs capacités, de leur fidélité et de leur loyauté envers la politique [trumpiste], ainsi qu'envers l'homme", a insisté Howard Lutnick, coprésident de l'équipe de transition de Donald Trump, auprès du Financial Times.

Un antivax à la Santé

Les observateurs contactés par franceinfo s'accordent sur la fidélité des appelés, moins sur leurs capacités. "Ce qui me frappe le plus, c'est l'incompétence totale de certaines personnes nommées", avance Denis Lacorne, spécialiste des Etats-Unis au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris. Malgré son passage à l'armée, Pete Hegseth n'a pas l'expérience de commandement généralement requise pour gérer le portefeuille de la Défense. L'ancien cadre républicain Justin Higgins avait déjà jugé en 2016 qu'il était "insuffisamment qualifié" pour le poste, auquel il était pressenti dans la première administration Trump.

Robert Kennedy Jr hérite du ministère de la Santé, sans formation scientifique préalable. Surtout, cet adepte des théories du complot, notamment sur la pandémie de Covid-19, est un antivax notoire. "Il n'y a pas de vaccin sûr et efficace", l'a-t-on entendu dire en 2023. Le profil de celui qui gérera le programme public d'assurance-maladie a lui aussi fait hausser quelques sourcils : Mehmet Oz, ancien chirurgien star des plateaux télé, est accusé d'avoir promu des traitements ou des compléments alimentaires inefficaces, voire dangereux.

Mehmet Oz, qui sera chargé du programme public d'assurance-maladie, devant son étoile sur le "Walk of Fame" de Hollywood, à Los Angeles, en Californie (Etats-Unis), le 11 février 2022. (JC OLIVERA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Linda McMahon, elle, pilotera le département de l'Education, alors qu'elle est surtout connue pour sa carrière à la tête de la fédération de catch américaine WWE ou son passage au ministère des petites entreprises en 2016. Quant à l'ancien membre du Congrès Lee Zeldin, nommé à la tête de l'Agence de protection de l'environnement, il "n'a pas de compétence particulière sur cette thématique", soutient Ludivine Gilli : il a reçu le score médiocre de 14% de la League of Conservation Voters, une association qui note les élus selon leurs votes sur des politiques environnementales.

"Donald Trump choisit des gens qui n'ont pas eu de formation auparavant pour montrer son mépris de la bureaucratie washingtonienne, qui repose sur un certain mérite."

Denis Lacorne, spécialiste des Etats-Unis

à franceinfo

Les nommés partagent tous un autre point commun : "ils s'inscrivent parfaitement dans la ligne Maga", l'acronyme du slogan de campagne de Donald Trump, "Make America Great Again", qui a fini par désigner son camp politique, pointe Ludivine Gilli. La spécialiste cite en exemple le climatosceptique Chris Wright, futur secrétaire à l'Energie et PDG d'une entreprise spécialisée dans la fracturation hydraulique, méthode polluante d'extraction d'hydrocarbures. "Il n'entretient pas de doute sur le type de politique qu'il va mener", alors que Donald Trump a martelé le slogan "drill, baby, drill" ("forer, bébé, forer") pendant sa campagne, souligne l'experte.

Des républicains "radicaux" vus sur Fox News

Au-delà des compétences, "il faut que les membres du gouvernement soient capables de faire ce que Donald Trump a envie qu'ils fassent. Et quand on regarde leur pedigree, ce sont des extrémistes ou des radicaux", résume Ludivine Gilli. Comme Chris Wright, tous les nommés incarnent parfaitement la ligne trumpiste. Kristi Noem aime s'afficher avec des armes et a même créé l'émoi en révélant avoir tué par balle sa jeune chienne. Elle tient une ligne très dure sur l'immigration, tout comme Tom Homan, chargé du contrôle des frontières, ou encore Stephen Miller, chef adjoint du cabinet, adepte de l'idée raciste du grand remplacement, comme le rapporte Le Monde.

Comme d'autres ultraconservateurs, Pete Hegseth dénonce un "complot woke", qu'il dit vouloir combattre en interdisant les femmes sur les champs de bataille. Elon Musk parle lui aussi de "virus woke" et penche fortement vers la mouvance alt-right américaine, qui prône un suprémacisme blanc et lutte contre les droits des femmes, des immigrés, des homosexuels et des personnes transgenres. Le prochain secrétaire d'Etat, Marco Rubio, fait figure de faucon sur le dossier iranien. La future ambassadrice à l'ONU, de son côté, est partie en croisade contre les présidents d'universités américaines, les accusant de ne pas avoir assez dénoncé l'antisémitisme sur leurs campus. L'ambassadeur nommé en Israël, Mike Huckabee, est un pasteur chrétien évangélique, qui voit des raisons bibliques de défendre Israël.

"Donald Trump cherche des gens qui ont la capacité de relayer le message Maga de manière brutale et directe."

Ludivine Gilli, spécialiste de la politique américaine

à franceinfo

Fox News, la chaîne américaine dont raffolent les républicains, est le vivier dans lequel a pioché Donald Trump pour son trombinoscope. Pete Hegseth y anime une émission le week-end. Tom Homan est un collaborateur de la chaîne et Sean Duffy, à la tête des Transports, participe à Fox Business. "Cela montre que Fox News a beaucoup d'influence. La chaîne a fonctionné pendant son administration [2017-2021] comme une sorte de télévision d'Etat qui ne cessait de l'encenser et d'attaquer ses ennemis", assure auprès de l'AFP Matthew Gertz, auteur pour Media Matters for America, un observatoire américain des médias.

Pete Hegseth célèbre la fête nationale des Etats-Unis lors de l'émission "Fox&Friends Weekend", le 4 juillet 2021, à New York. (JAMES DEVANEY / GC IMAGES / GETTY IMAGES)

Ces noms ne sont pas encore gravés dans le marbre : ils doivent encore passer l'étape du Sénat, qui confirme les nominations. Même si la chambre haute du Congrès est dominée par les républicains, "il y a des doutes sur la validation de Pete Hegseth à la Défense", juge Ludivine Gilli. L'ancien militaire a été accusé d'agression sexuelle en 2017 et a versé de l'argent à la femme qui l'accusait, sans reconnaître les faits, a affirmé son avocat à CNN. Matt Gaetz, lui aussi accusé d'infractions sexuelles, a renoncé à devenir ministre de la Justice, le 21 novembre.

Ces soupçons n'ont pas empêché Donald Trump de retenir leurs noms. Mais le président élu n'a-t-il pas lui-même été déclaré responsable d'agression sexuelle et reconnu coupable de falsifications comptables pour cacher le paiement de 130 000 dollars à la star du X Stormy Daniels, afin d'éviter un scandale sexuel en pleine campagne présidentielle ? "Il choisit des gens à son image", glisse Denis Lacorne.

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