Présidentielle américaine : après un départ en trombe, Kamala Harris face au défi de prolonger la dynamique
Un premier rendez-vous attendu par toute l'Amérique, au cœur d'une campagne présidentielle indécise. Kamala Harris et Donald Trump, en lice pour la fonction suprême, se rencontreront et s'affronteront pour la première fois lors d'un débat télévisé, mardi 10 septembre, sur la chaîne ABC News. Un face-à-face inédit et déterminant pour la candidate démocrate, après l'engouement des premières semaines.
L'annonce de sa candidature, après le retrait de Joe Biden de la course, a suscité un élan et un regain d'espoir dans les rangs démocrates durant l'été. La convention du parti, organisée à Chicago du 19 au 22 août, en a été l'apothéose. Kamala Harris reste néanmoins très attendue sur ce débat mardi, après un début de campagne sans rendez-vous médiatique. Seule exception : sa première grande interview en tant que candidate, le 29 août sur CNN.
La vice-présidente "arrive à un moment très délicat", estime Ludivine Gilli, directrice de l'observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. "Toute la difficulté, c'est de réussir à franchir le cap, passer de l'élan de la nouveauté et du soulagement, et convertir cela en mouvement d'adhésion."
Détailler et défendre son programme, de la gauche aux républicains
Après l'interview donnée à CNN, le débat face à Donald Trump devrait permettre aux Américains de mieux connaître la feuille de route de Kamala Harris. La candidate a dévoilé plusieurs idées, notamment à l'intention de la classe moyenne et d'Américains plus défavorisés, mais ses idées n'imprègnent pas encore une partie de l'opinion.
Mi-août, plus d'un tiers des électeurs sondés ne savaient pas vraiment ce que la candidate défendait, d'après une étude d'opinion de CBS News et YouGov. Seuls 14% des Américains interrogés disaient la même chose de Donald Trump. "Elle va devoir, de manière plus précise, donner une idée des politiques et du programme concret qu'elle entend mener", confirme Ludivine Gilli.
"Ce qu’elle va mettre en avant comme mesures et la manière dont ces mesures vont être perçues... Tout cela va être déterminant en termes de tendance."
Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unisà franceinfo
Détailler son programme doit permettre à la campagne Harris de mobiliser la base démocrate, y compris son aile gauche. Elle doit aussi capter le soutien d'indécis et d'indépendants, voire d'électeurs républicains plus modérés que leur candidat – un équilibre complexe.
Ces dernières semaines, Kamala Harris a insisté sur cette volonté d'ouverture. "Il y a des gens avec une diversité d'opinions qui nous regardent ce soir. Je veux que vous le sachiez : je promets d'être une présidente pour tous les Américains", a-t-elle clamé lors de la convention démocrate. Une posture réaffirmée une semaine plus tard, sur CNN. "Je pense que ce serait une bonne chose pour le public américain qu'un membre de mon gouvernement soit républicain", a-t-elle même proposé.
Donald Trump dénonce "la plus grande retourneuse de veste de l'histoire"
Sur le plan des idées, la vice-présidente multiplie les appels du pied à destination des républicains. "Nous avons des lois qui doivent être respectées et appliquées" en matière d'immigration, et il doit y avoir des "conséquences" pour les exilés entrant de manière irrégulière sur le territoire, a-t-elle ainsi martelé. Elle "n'interdira pas" non plus la fracturation hydraulique, une méthode d'extraction d'hydrocarbures pourtant fustigée par les écologistes pour son impact environnemental.
"Nous pouvons faire croître et développer une économie florissante basée sur les énergies propres, sans interdire la fracturation [hydraulique]."
Kamala Harrisà CNN
Au risque de se contredire ? En 2019, Kamala Harris était contre ce procédé interdit en France, qui fissure la roche en injectant un liquide sous très haute pression. Elle soutenait aussi une dépénalisation des passages irréguliers à la frontière.
Donald Trump ne manque pas d'appuyer sur ces revirements. Il a accusé Kamala Harris d'avoir "copié" sa proposition de suppression des taxes sur les pourboires, et définit sa concurrente comme "la plus grande retourneuse de veste de l'histoire". "Mes valeurs n'ont pas changé", réplique la vice-présidente, ajoutant "qu'il est important de bâtir du consensus". La candidate et ses équipes en sont convaincues, selon le New Yorker : dans cette campagne, mieux vaut être accusée de volte-face qu'être perçue comme trop radicale.
Ces virages pourraient-ils lui coûter des voix à gauche, parmi les démocrates les plus progressistes ? "Elle a probablement plus de voix à gagner à droite que de votes à perdre à gauche", estime Ludivine Gilli. La base démocrate est à ce stade "mobilisée", mais des sujets comme la guerre dans la bande de Gaza restent très clivants. Kamala Harris appelle à un cessez-le-feu et convient que "beaucoup trop de Palestiniens innocents ont été tués", mais soutient "la défense d'Israël et sa capacité à se défendre". A gauche, des électeurs heurtés par cette posture et celle de Joe Biden "pourraient décider de rester chez eux" le 5 novembre, prévient la chercheuse. La candidate pourrait être aussi attendue par son camp sur les violences policières et les inégalités raciales.
Incarner le bilan de Joe Biden, atout ou fardeau ?
Sur Gaza comme sur d'autres sujets de campagne, Kamala Harris porte de facto le bilan de l'administration de Joe Biden. "Son argument (...) est le suivant : ‘Nous ferons mieux quand je serai au pouvoir'. Elle y est depuis trois ans et demi et tout a empiré", a récemment taclé le colistier de Donald Trump, J.D. Vance.
La vice-présidente veut "tracer une nouvelle voie", mais elle est aussi associée au président démocrate sortant. "Je pense que c'est un fardeau", commente Clifford Young, directeur des enquêtes d'opinion pour Ipsos aux Etats-Unis. Au début du mois, 55% d'Américains interrogés avaient une opinion défavorable de Joe Biden, contre 40% en début de mandat, d'après le site spécialisé FiveThirtyEight. L'impopularité de Donald Trump est un peu moindre, à 52,5%.
"Il y a ce faible taux d'approbation, et le fait que [Joe Biden] est vu comme responsable de l'inflation", poursuit le spécialiste des sondages politiques. Et sur ce sujet, Donald Trump bénéficie d'une longueur d'avance. La hausse des prix reste le premier problème du pays pour 50% d'Américains, selon Ipsos. Les électeurs interrogés font davantage confiance au républicain pour gérer cette question : 44% d'entre eux le pensent capable de bien répondre au problème, contre 36% pour Kamala Harris, relève une récente étude de la société de sondages.
"Il y a une énergie, un enthousiasme [autour de la candidature de Kamala Harris] qui l’a placée devant dans les sondages. Mais [Donald] Trump domine encore les fondamentaux, c’est-à-dire qu’il est vu comme plus fort sur le sujet principal : l’inflation."
Clifford Young, directeur des sondages à Ipsos aux Etats-Unisà franceinfo
La candidate est loin d'esquiver le sujet. A Chicago, elle a promis de "réduire le coût des besoins quotidiens, comme les soins de santé, le logement et les courses". Sur CNN, Kamala Harris a défendu le bilan de la présidence Biden, rappelant le début du mandat en pleine pandémie et crise économique. "Aujourd'hui, l'inflation est inférieure à 3%. Beaucoup de nos politiques ont permis à l'Amérique de se relever plus rapidement que tout autre pays riche", a-t-elle martelé.
Pour Ludivine Gilli, "le bilan de Joe Biden sur le plan économique est plutôt bon", et la démocrate peut le défendre dans cette campagne. "Le problème, c'est l'inflation et les difficultés réelles d'une partie de la population. Kamala Harris a les moyens de mettre en avant ce bilan si elle l'accompagne d'un message : 'Il reste beaucoup à faire et voici ce que je propose'".
Autre atout pour le camp Harris : sa campagne est vue d'un meilleur œil que celle de Donald Trump. Une récente étude Ipsos met en lumière cette donnée : 56% des sondés qualifient la campagne de la démocrate "d'excellente ou de bonne", contre 41% pour celle de l'ancien président. "La campagne de Kamala Harris est plus efficace, plus axée sur les messages", observe Clifford Young. "Donald Trump ne parle pas tant que ça d'inflation, il utilise des attaques. En général, les sujets fondamentaux sont très décisifs [dans une élection], mais parfois, les campagnes sont plus importantes."
Un scrutin très serré en perspective
Portée par une dynamique positive, Kamala Harris devance Donald Trump de 3,2 points de pourcentage à l'échelle nationale, selon FiveThirtyEight. En tant que femme noire de 59 ans, la candidate espère capter de nouveaux votes à gauche, notamment parmi les jeunes, les femmes et les électeurs noirs.
Difficile pour elle néanmoins de se satisfaire de cette avance. A la même période, en 2016, Hillary Clinton comptait davantage d'intentions de vote, rappelle le New York Times. Le souvenir douloureux de sa défaite face à Donald Trump reste vivace dans les esprits de l'équipe de campagne. La démocrate avait recueilli deux millions de voix supplémentaires, mais Donald Trump a emporté la victoire grâce à 290 grands électeurs, contre 232 pour Hillary Clinton. "C'est la difficulté pour les démocrates : ils ont besoin de davantage de voix que les républicains pour l'emporter", pointe Ludivine Gilli.
"Cela va être une course extrêmement serrée."
Jen O'Malley Dillon, présidente de la campagne de Kamala Harrisà CNN
A huit semaines de l'échéance, les regards sont tournés vers les Etats clés, qui détermineront l'issue de l'élection. Selon des sondages pour CNN début septembre, Kamala Harris est légèrement en tête dans le Wisconsin et le Michigan, mais au coude-à-coude en Géorgie, dans le Nevada ou en Pennsylvanie. Son rival la devance dans l'Arizona. "La tendance des dernières semaines est favorable à Harris, mais que va-t-il se passer maintenant ?, s'interroge Ludivine Gilli. Le débat nous en dira un peu plus." Un avis partagé par Clifford Young : "S'essouflera-t-elle [dans les sondages] ? Le débat sera déterminant."
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