Présidentielle américaine 2024 : quel bilan pour Joe Biden, après un mandat au goût d'inachevé ?

Article rédigé par Marie-Violette Bernard, Zoé Aucaigne
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
"Je pense que mon bilan en tant que président, mon leadership sur la scène internationale, ma vision pour le futur de l'Amérique, méritaient un second mandat", a déclaré le président des Etats-Unis, Joe Biden, dans un discours à la nation, le 25 juillet 2024. (SEAN GALLUP / HEATH KORVOLA / KEVIN TRIMMER / ANDREW HARNIK / THANASIS / GETTY IMAGES / CHRISTIAN TORRES / ANADOLU / AFP / JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
Le démocrate s'est retiré de la course à la Maison Blanche le 21 juillet. S'il a été salué par son camp pour avoir relancé l'économie du pays, ses résultats mitigés sur l'immigration viennent ternir son bilan.

Il veut "passer le flambeau à une nouvelle génération". Un mois après avoir renoncé à la présidentielle, Joe Biden a officiellement transmis à Kamala Harris la charge de représenter les démocrates, lundi 19 août. Il a franchi cette dernière étape lors de la convention nationale du parti, qui se tient à Chicago, dans l'Illinois, jusqu'au jeudi 22 août. Après l'avoir poussé vers la sortie en raison de son âge, les membres de son camp n'ont cessé de saluer l'un "des présidents les plus importants" des Etats-Unis. A commencer par sa vice-présidente et successeure, qui l'avait félicité en juillet pour son bilan "sans équivalent dans l'histoire moderne".

Le président lui-même a vanté son parcours fin juillet dans un discours à la nation. "Je pense que mon bilan en tant que président, mon leadership sur la scène internationale, ma vision pour le futur de l'Amérique, méritaient un second mandat", a-t-il déclaré. C'est d'abord sa politique environnementale, considérée comme "la plus solide" de l'histoire par l'un des conseillers climat de Barack Obama, qui est portée aux nues. Dès le premier jour de son mandat, le démocrate a détricoté les politiques climaticides menées par Donald Trump : il a acté le retour des Etats-Unis dans l'accord de Paris et a suspendu le projet d'oléoduc Keystone XL, destiné à acheminer le pétrole des sables bitumineux entre le Mexique et le Canada.

Les opposants aux oléoducs Keystone XL et Dakota Access rassemblés contre les deux projets, à Washington (Etats-Unis), le 24 janvier 2017. (SAUL LOEB / AFP)

Joe Biden a redonné sa force de frappe à l'Agence de protection de l'environnement (EPA), "mise sous cloche par Donald Trump, qui avait nommé à sa tête un ancien du lobby pétrolier", rappelle Ludivine Gilli, directrice de l'Observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. "L'EPA avait perdu une partie de ses salariés et sa capacité d'action, du fait des directives de la présidence. L'administration Biden lui a redonné des moyens de contrôle des émissions polluantes", souligne la spécialiste. 

Davantage d'énergies fossiles et renouvelables

Mais côté hydrocarbures, le bilan est moins vert. Sous Joe Biden, les Etats-Unis ont conforté leur position de plus gros producteur de pétrole mondial, battant même des records en 2023, selon l'Agence américaine de l'énergie. Alors qu'il avait promis d'interdire les nouveaux forages sur les terres fédérales, le président a donné son feu vert à plusieurs projets, dont le très controversé Willow en Alaska.

A défaut de réduire la production d'énergies fossiles, Joe Biden a développé les renouvelables, en allouant des milliards de dollars au secteur. Des usines de panneaux solaires et des éoliennes ont fleuri au Texas et, en 2023, les énergies propres ont couvert près d'un quart de la demande d'électricité du pays, selon le cabinet BloombergNEF. Des crédits d'impôt pour l'achat d'une voiture électrique produite aux Etats-Unis ont aussi vu le jour, tout comme les usines de batteries et chargeurs, secteur arrosé de subventions. 

Des milliards de dollars pour relancer l'économie

Ces investissements font partie d'un plan plus large : l'Inflation Reduction Act (IRA), adopté en 2022. Présenté comme un moyen de lutter contre l'inflation (qui s'est envolée à 8% en 2022, selon le FMI), il est doté d'un budget de 400 milliards d'euros sur dix ans. Outre l'enveloppe dédiée à la transition énergétique, le plan de l'administration Biden contient un volet santé. Objectif : réduire le prix des médicaments en autorisant Medicare (l'assurance-santé publique) à les négocier avec les laboratoires pharmaceutiques. Depuis janvier 2023, "l'IRA a plafonné le coût de l'insuline pour les bénéficiaires de Medicare à 35 dollars par mois", illustre le Comité sénatorial sur le vieillissement.

Ces réformes sont venues compléter un vaste plan pour les infrastructures du pays, adopté en 2021. "Ça a ouvert de nombreuses possibilités d'investissements dans la réparation des routes et des ponts, les ports, l'internet à haut débit dans les zones rurales et réserves natives, les systèmes d'approvisionnement en eau...", liste Ludivine Gilli. Le Trésor américain s'est félicité en novembre de voir ces fonds bénéficier surtout "aux Etats qui en avaient le plus besoin", ceux "dont les infrastructures étaient les moins bien notées"

"Ces investissements permettent d'améliorer le quotidien des gens. Mais cela prend du temps de mener ces travaux."

Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unis

à franceinfo

A six mois de la fin de son mandat, les indicateurs économiques sont au vert. Avec une croissance de 1,9% en 2022 et de 2,5% en 2023 d'après le FMI, Joe Biden est parvenu à garder l'économie du pays à flots. Le taux de chômage avait bondi à 14,7% en avril 2020, à cause de la pandémie. Il avoisine les 3 à 4% depuis un an, selon l'institut de données économiques Trading Economics. Il est néanmoins légèrement remonté à 4,3% en juillet, le plus haut taux de sans-emploi depuis octobre 2021. De quoi faire souffler un vent de panique sur les places boursières, le 5 août, qui ont finalement retrouvé une marche presque normale le lendemain.

Une crise migratoire à la frontière Sud

Les Américains ne semblent pas percevoir ces améliorations. Quelque 42% d'entre eux déclaraient mi-juillet que leur situation financière avait empiré sous Joe Biden, selon un sondage Ipsos pour ABC News. "Si on prend les prix de l'essence et de l'immobilier, ou l'inflation, le pays n'est pas encore revenu aux niveaux du début de son mandat", constate Ludivine Gilli. Il est aussi trop tôt pour faire le bilan de certaines politiques. "Ses deux grands plans d'investissement auront vraisemblablement un impact très important, mais à moyen ou long terme."

Avant l'annonce du retrait de Joe Biden, seuls 35% des Américains lui faisaient confiance pour améliorer la situation économique, contre 45% pour Donald Trump, selon ABC News. Ils étaient aussi plus nombreux à miser sur le républicain pour gérer la crise migratoire à la frontière avec le Mexique. Et pour cause : depuis 2021, les entrées irrégulières sur le territoire américain ont atteint des niveaux record, rapporte l'agence AP. Le pic a été atteint en décembre 2023, lorsque près de 250 000 migrants ont franchi illégalement la frontière.

"Lorsque Joe Biden est arrivé au pouvoir, il y avait encore des restrictions de déplacement liées au Covid-19, note Ludivine Gilli. Mais elles ont progressivement été levées, notamment dans les pays d'Amérique centrale, et les migrants ont recommencé à se masser à la frontière." Début juin, Joe Biden a fini par prendre des dispositions pour limiter le nombre d'entrées quotidiennes aux Etats-Unis. Mais il est difficile de savoir si ces mesures sont les seules responsables de la baisse des traversées, qui s'était amorcée avant leur mise en œuvre.

Confrontation commerciale et guerres majeures

L'économie n'a pas été le seul défi du mandat de Joe Biden. Outre la pandémie, sa première année à la Maison Blanche a été marquée par le retrait de l'armée américaine d'Afghanistan. Si ce départ avait été décidé sous Donald Trump, les images de soldats évacuant précipitamment Kaboul et la mort de 13 militaires ont fait plonger la cote de popularité du président.

Le corps d'un militaire américain transféré à Dover, dans le Delaware (Etats-Unis), le 29 août 2021. Il avait été victime d'un attentat-suicide à l'extérieur de l'aéroport de Kaboul (Afghanistan) trois jours plus tôt. (GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Comme le rappelle le New York Times, le démocrate a aussi hérité d'une "confrontation" commerciale avec la Chine. S'y sont ajoutées deux guerres majeures, à Gaza et en Ukraine. Joe Biden a débloqué 100 milliards de dollars d'aide militaire pour soutenir Kiev, alors qu'il n'y était tenu par aucun accord de sécurité. Il a également obtenu de la Russie, avec d'autres pays occidentaux, l'échange de 26 prisonniers début août, une "prouesse diplomatique", selon ses mots. "J'ai du mal à imaginer comment l'Otan aurait fait face à l'invasion de l'Ukraine sous Trump", s'interroge Jeff Hawkins, chercheur associé au CERI et ancien diplomate américain. En février, le républicain a laissé entendre qu'il pourrait refuser de défendre ses alliés en cas d'attaque de Moscou.

Joe Biden, lui, se félicitait au dernier sommet de l'Otan d'avoir renforcé l'alliance – et même d'avoir contribué à son élargissement. "La Suède et la Finlande ont intégré l'Otan, alors qu'historiquement ces deux nations suivaient une doctrine de neutralité", poursuit Jeff Hawkins.

Une succession mal préparée ?

Sur le plan social, Joe Biden a souffert d'un contexte sur lequel il avait parfois peu d'emprise. "Les démocrates soutiennent les initiatives permettant de protéger les droits, mais beaucoup de ces compétences dépendent des Etats", pointe Ludivine Gilli. Ou de la Cour suprême. En 2022, la plus haute juridiction du pays a renversé un arrêt garantissant le droit à l'avortement, menant à une restriction ou une interdiction de l'IVG dans 21 Etats, selon le décompte du New York Times. "Il est compliqué pour Joe Biden d'avoir un impact décisif sur ce sujet, insiste l'historienne. C'est pourquoi il appelle à élire des démocrates [au Congrès cet automne], pour revenir sur ces reculs."

Le scrutin du 5 novembre sera déterminant pour la capacité des démocrates à légiférer sur les droits civiques, mais aussi pour la marque que laissera Joe Biden à la Maison Blanche. "Il est toujours difficile de dresser le bilan d'un mandat si tôt. L'issue de la présidentielle y contribuera", juge Ludivine Gilli. Car, en se retirant si près de l'échéance, le chef d'Etat "impose Kamala Harris" à son parti.

"Si elle l'emporte en novembre, on saluera le fait que Joe Biden ait pris la décision à temps, en permettant à sa vice-présidente de réunir autour d'elle."

Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unis

à franceinfo

En cas d'échec, en revanche, certains reprocheront à l'octogénaire de ne pas avoir mieux préparé sa succession. S'il avait renoncé plus tôt à briguer un second mandat, "le parti aurait pu choisir un candidat faisant consensus (...) pour battre Donald Trump", avance Ludivine Gilli. Même s'il ne représentera finalement pas les démocrates à la présidentielle, "Joe Biden joue son héritage" sur ce scrutin.

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