Présidentielle américaine 2024 : pourquoi Barack Obama et Bill Clinton s'impliquent autant dans la campagne de Kamala Harris

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Envoyée spéciale aux Etats-Unis
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Deux anciens présidents démocrates, Bill Clinton et Barack Obama, participent de manière active à la campagne de Kamala Harris pour l'élection présidentielle américaine de 2024. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Les deux anciens présidents démocrates, encore populaires auprès de certains électeurs, sont présents sur tous les fronts pour soutenir la vice-présidente sortante dans la dernière ligne droite avant le scrutin.

"J'ai l'honneur de vous présenter un homme qui n'a plus besoin d'être présenté", lance Ruben Gallego, élu démocrate de l'Arizona à la Chambre des représentants, devant un public chauffé à blanc, vendredi 18 octobre à Tucson. Le 44e président des Etats-Unis monte sur l'estrade, devant quelque 7 000 personnes et un gigantesque message : "Votez". "Bonjour l'Arizona, bonjour Tucson !", lance Barack Obama, tout sourire et les manches retroussées, déclenchant un tonnerre d'applaudissements. 

L'ancien chef de l'Etat, qui a passé huit ans à la Maison Blanche, glisse quelques notes d'humour sur des équipes sportives, avant de passer à l'essentiel. "Je ne suis pas là pour simplement parler de football, mais pour vous demander de voter", appuie-t-il. Vendredi à Tucson, le lendemain à Las Vegas, le mardi suivant dans le Wisconsin, puis jeudi en Géorgie avec la vice-présidente démocrate... L'ancien président multiplie les apparitions dans les meetings dans les Etats-clés, à l'instar d'un autre visage historique du parti démocrate : Bill Clinton, 78 ans. Avec un objectif : mobiliser les électeurs pour Kamala Harris, à l'approche d'un duel Trump-Harris à l'issue incertaine.

Deux atouts de taille dans une course "extrêmement serrée"

A Tucson, les pancartes "Votez" et "Liberté" se lèvent derrière Barack Obama au fil de ses déclarations. L'ex-président insiste sur l'importance du vote anticipé, avant de livrer un discours offensif sur son adversaire principal, celui qui lui a succédé à la Maison Blanche, qui a été battu quatre ans plus tard par Joe Biden et qui a juré de prendre sa revanche : Donald Trump. "Il n'y a aucune preuve que cet homme pense à quelqu'un d'autre qu'à lui-même (...) Pour lui, le pouvoir n'est rien d'autre qu'un moyen de parvenir à ses fins", tacle le démocrate face à une foule galvanisée. Non sans dérision : "Vous l'avez vu récemment ? On n'a aucune idée de ce dont il parle. Vous seriez inquiets si votre grand-père agissait comme ça !" Chacun de ses mots est accompagné de huées dans la salle. "Ne huez pas, votez !", répond-il avec vigueur. 

Vient ensuite son soutien sans faille à Kamala Harris, qu'il connaît bien depuis vingt ans, pointe le New York Times. "Kamala Harris est prête à faire ce travail. Elle est une dirigeante qui a passé sa vie à se battre pour des personnes qui ont besoin d'une voix, qui ont besoin d'un défenseur, lance-t-il. Elle a grandi au sein de la classe moyenne et croit en les valeurs qui ont bâti ce pays." 

"Donald Trump dit qu’il a un concept de plan. (...) La bonne nouvelle, c’est que Kamala Harris n’a pas de concept de plan. Elle a un vrai plan pour améliorer votre vie."

Barack Obama

lors d'un meeting en Arizona

Voir un ancien président s'investir ainsi dans une campagne présidentielle autre que la sienne n'est pas nouveau aux Etats-Unis. Le démocrate Harry Truman, qui a dirigé le pays au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a pris part à des campagnes, et le républicain Ronald Reagan a soutenu George Bush dans sa tentative de réélection, en 1992, relève CBS. Vingt ans plus tard, un autre ancien président, Bill Clinton, a plaidé pour la reconduction de Barack Obama à la Maison Blanche, lors de la Convention nationale démocrate en Caroline du Nord. "Et en 2016, juste avant l'élection, Barack Obama faisait campagne avec Hillary Clinton à Philadelphie", se remémore Barbara Perry, professeure d'études présidentielles à l'université de Virginie. 

L'ancien président américain Barack Obama, lors d'un rassemblement en soutien à la vice-présidente et candidate démocrate Kamala Harris, le 18 octobre 2024 à Tucson, dans l'Arizona (Etats-Unis). (REBECCA NOBLE / AFP)

Mais cette campagne est un peu particulière. "Il est assez inhabituel que deux anciens présidents fassent campagne pour un candidat à l'élection présidentielle", pointe la spécialiste américaine. Bill Clinton et Barack Obama "ont tous les deux l'état de santé pour le faire, ils ont gagné à deux reprises, ils sont très bons face aux caméras et face aux gens", analyse Barbara Perry. Et surtout, "la course est extrêmement serrée". 

Dans ce contexte, la popularité des deux dirigeants est un atout sur lequel mise la campagne de Kamala Harris, souligne l'enseignante. Barack Obama est l'une des personnalités politiques les plus populaires des Etats-Unis, avec 59% d'opinions favorables, d'après YouGov. Bill Clinton l'est moins, à 45%, mais il est perçu comme "un démocrate modéré, qui pourrait attirer des indépendants ou des centristes", estime Barbara Perry. 

Certains électeurs particulièrement visés

Dans la vaste salle accueillant Barack Obama, vendredi à Tucson, Vanessa Shuart a tenu à s'installer au premier rang, des heures avant le discours de l'ancien président. "Nous aimons l'écouter. Je pense que c'est important qu'il contribue, il a de nombreux partisans et beaucoup de gens le respectent", s'enthousiasme l'Américaine, venue du nord de Tucson, les lunettes de soleil dans les cheveux et la voix rieuse. "Il cible un public différent, la génération X, alors que Kamala Harris s'adresse à des générations plus jeunes, ajoute l'une de ses amies, Stacey Harris. Plus l'audience qu'il apporte à Kamala est large, plus des gens iront voter." 

D'une rangée à l'autre, chacun salue l'implication du démocrate dans la campagne. Barack Obama, premier président afro-américain, rappelle aussi au public "combien il est important de soutenir la direction que le pays doit prendre avec Kamala Harris", juge Lloyd, électeur noir américain, venu de Mesa, à deux heures de Tucson.

Après un peu moins d'une heure de discours, Amita Graham salue une prise de parole "inspirante", derrière ses grandes lunettes vertes. "Cela m'a donné de l'énergie pour parler de cette cause", de l'importance du vote et du soutien à Kamala Harris. L'électrice démocrate aidera sa mère à voter par correspondance et rappellera à sa fille de voter le plus tôt possible, assure-t-elle. Le passage de Barack Obama à Pittsburgh, en Pennsylvanie, a d'ailleurs entraîné près de 1 000 inscriptions de bénévoles pour la campagne, pointe Axios

"La présence de Barack Obama est électrisante. Elle montre aussi que nous sommes unis, au sein du parti démocrate. C’est absolument essentiel."

Alex Katz, bénévole de la campagne de Kamala Harris dans l'Arizona

à franceinfo

Mobiliser et galvaniser la base, mais aussi cibler certaines populations en particulier. Dans sa campagne pour Kamala Harris, Barack Obama tente de convaincre des électeurs racisés, encore indécis. "Il s'agit d'inciter des jeunes, des Hispaniques et des Noirs américains, en particulier les hommes, à voter pour elle. C'est un électorat avec lequel Obama a été très efficace", confirme Bert Rockman, professeur émérite de sciences politiques à l'université Purdue.

L'enjeu du vote afro-américain

Alors que Kamala Harris et Donald Trump sont au coude-à-coude dans les intentions de vote, atteindre ces électeurs est crucial pour les démocrates, "et cela explique en partie pourquoi Obama est si actif". D'autant plus que le vote des hommes noirs, cette année, semble moins acquis : 70% se disent prêts à voter pour Kamala Harris, contre 87% pour Joe Biden en 2020, rapporte USA Today. Un sujet d'inquiétude évoqué par Barack Obama lors de son passage à Pittsburgh. 

Dans le camp d'en face, Janiyah Thomas, de l'équipe de campagne de Donald Trump, fustige "une tentative de dernière minute de Kamala Harris de convaincre les hommes noirs, après des années d'échec". "Nous travaillons sans relâche pour rencontrer les hommes noirs là où ils se trouvent, afin de nous assurer qu'ils se sentent entendus et valorisés", prévient-elle dans un communiqué. 

L'ancien président Bill Clinton à Fort Valley, en Géorgie (Etats-Unis), le 13 octobre 2024. (LOGAN CYRUS / AFP)

Tandis que Barack Obama sillonne des Etats-clés en quête de ces voix supplémentaires, Bill Clinton, lui, cherche à cibler des électeurs ruraux et noirs du sud des Etats-Unis. Mi-octobre, l'ancien président s'est rendu à un service religieux dans le sud de la Géorgie, avant de rejoindre des électeurs pour un "Fish Fry" à Fort Valley, à deux heures d'Atlanta, décrit le New York Times. Etant donné son enfance et sa carrière dans l'Arkansas, "Bill Clinton est toujours associé au Sud", décrypte Bert Rockman. "Il a une capacité à avoir un lien avec les gens noirs et ruraux du Sud". 

Cette stratégie portera-t-elle ses fruits ? Le spécialiste estime que les effets seront "très limités" sur la campagne et l'élection. La présence d'anciens présidents sert surtout, à son sens, "à faire en sorte que les partisans du parti votent bien" pour l'élection. A ses yeux, un ancien président devient aussi moins pertinent, si le temps écoulé entre son mandat et la campagne est important. Or, Bill Clinton a quitté le pouvoir il y a près de vingt-cinq ans.

Barbara Perry, de l'université de Virginie, note néanmoins l'impact qu'a pu avoir le discours de Bill Clinton à la Convention démocrate en 2012, pour la réélection de Barack Obama. Et, selon elle, vu le faible écart entre Kamala Harris et Donald Trump dans les intentions de vote à moins de deux semaines de la fin du scrutin, "si vous pouvez convaincre seulement quelques personnes, cela peut faire la différence"

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