Accusations de viols visant Damien Abad : on vous résume l'affaire en neuf actes
Depuis sa nomination, fin mai, le nouveau ministre des Solidarités est accusé de viol ou de tentative de viol par trois femmes. L'intéressé dément fermement et dénonce la motivation "politique" de Mediapart, qui a révélé l'affaire.
Des accusations qui empoisonnent les premières semaines du second quinquennat d'Emmanuel Macron. Depuis sa nomination, le 20 mai, au sein du gouvernement de la Première ministre Elisabeth Borne, le nouveau ministre des Solidarités Damien Abad, principale prise de la macronie à droite après la présidentielle, est accusé de viol ou de tentative de viol par trois femmes dont les témoignages ont été révélés par Mediapart. Franceinfo fait le point sur cette affaire, embarrassante pour l'exécutif dans le contexte des élections législatives.
1Juste après sa nomination comme ministre, deux premières femmes accusent Damien Abad de viol
Au lendemain de la nomination de Damien Abad comme ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées, dans un article publié par Mediapart le 21 mai, deux femmes accusent le nouveau ministre de les avoir violées en 2010 et 2011.
La première femme, une militante des Jeunes démocrates prénommée Margaux, assure avoir vécu en janvier 2011 une relation sexuelle empreinte "d'irrespect, d'injonction et d'insistance", qu'elle a tenté d'arrêter, après y avoir consenti. Elle affirme également avoir subi une pénétration anale imposée, malgré un refus prononcé de manière "affirmée" et "à plusieurs reprises". Cette dernière a déposé plainte à deux reprises, mais ses deux plaintes ont été classées sans suite en 2012, puis en 2017, d'abord pour "carence de la plaignante" puis "faute d'infraction suffisamment caractérisée".
La seconde femme qui témoigne soupçonne Damien Abad de l'avoir "droguée" à l'automne 2010, alors qu'elle le retrouvait dans un bar. Elle affirme auprès de Mediapart s'être réveillée le lendemain matin "dans une chambre d'hôtel proche du bar" avec l'homme politique, "en sous-vêtements", "en état de choc et de dégoût profond". "Je me sentais cotonneuse, mon corps était groggy, courbaturé et douloureux, je savais qu'il s'était passé quelque chose de pas normal", se souvient-elle.
L'Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, auprès de qui elle a effectué un signalement le 13 mai, a transmis son récit à la justice, mais aussi aux directions de LREM et LR, qui affirment n'avoir pas eu connaissance du courrier avant la nomination du ministre.
2L'opposition et des associations féministes demandent la démission du ministre
Après la révélation de ces accusations par Mediapart, le gouvernement est sommé d'agir par l'opposition. "Il y a des signaux clairs à donner, on ne peut pas revivre ce qu'on a vécu sur l'affaire Hulot, réagit le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, en demandant la démission de Damien Abad. Idem pour Sandrine Rousseau, finaliste de la primaire écologiste pour la présidentielle, qui réclame que le ministre soit "démis de ses fonctions par principe de précaution". "Le simple fait d'avoir de manière récurrente un comportement inapproprié avec les femmes devrait vous écarter d'un poste de ministre", estime aussi Marine Le Pen.
"Damien Abad devrait être viré du gouvernement, affirme sur franceinfo la militante féministe Caroline De Haas. Quand un ministre est mis en cause pour des faits de viol, on peut tout à fait prendre la décision de ne pas avoir des personnes mises en cause dans son gouvernement. C'est une décision politique."
L'Observatoire des violences sexistes et sexuelles, association composée d'élues de gauche qui a contribué à révéler l'affaire, réclame aussi sa démission et organise une manifestation contre ce qu'il qualifie de "gouvernement de la honte", le 24 mai.
3Elisabeth Borne affirme qu'elle n'était pas au courant
Lors d'un déplacement à Thury-Harcourt, dans le Calvados, au lendemain des révélations, la Première ministre Elisabeth Borne réagit aux accusations. Elle assure : "J'ai découvert l'article de Mediapart hier." "Je n'ai pas plus d'éléments que le fait que l'affaire a été classée sans suite", poursuit-elle face à des journalistes.
Lors de son déplacement, la Première ministre fait néanmoins preuve de fermeté, laissant entendre qu'elle serait prête à réclamer la démission du ministre en cas de judiciarisation de l'affaire. "Je peux vous assurer que s'il y a de nouveaux éléments, si la justice est à nouveau saisie, on tirera toutes les conséquences de cette décision", assure-t-elle. "Je vais être très claire : sur tous ces sujets de harcèlement, d'agressions sexuelles, il ne peut y avoir aucune impunité", a prévenu la Première ministre.
Cette version des faits est sujette à caution. Car Matignon a bien pris connaissance des demandes de réaction de Mediapart plusieurs heures avant les révélations du site d'investigation, comme l'a révélé franceinfo.
4Damien Abad réfute les accusations
Interrogé par le site d'investigation, le nouveau ministre conteste formellement les faits et tient "à affirmer avec force que les relations sexuelles qu'[il a] pu avoir ont toujours reposé sur le principe du consentement mutuel". Le député de l'Ain affirme également qu'il lui est "impossible physiquement de commettre les actes décrits" en raison de la maladie neuromusculaire congénitale rare dont il souffre, l'arthrogrypose.
"Je n'ai jamais violé une seule femme de ma vie", s'est aussi défendu Damien Abad, lors d'une courte déclaration depuis sa circonscription, deux jours après les révélations, assurant qu'il n'envisageait pas de démissionner. "Un homme innocent doit-il démissionner ? Je ne crois pas", a-t-il ajouté.
Dans une interview au Figaro (article abonnés) publiée le même jour, il confirme qu'il reste candidat aux élections législatives dans la 5e circonscription de l'Ain et considère qu'elles seront "les juges de paix".
5Plusieurs cadres de LR révèlent avoir été au courant de "rumeurs"
Deux jours après les révélations de Mediapart, Christian Jacob, président des Républicains, déclare au Point (article abonnés) n'avoir "jamais été saisi, ni par l'Observatoire des violences sexuelles et sexistes ni par les services de l'Assemblée nationale" du cas Abad. Il assure néanmoins que face aux "rumeurs d'une plainte déposée (...) en 2017", il avait interrogé Damien Abad, qui "avait répondu que tout cela était faux et qu'il n'avait d'ailleurs jamais été convoqué par la justice". "Evidemment" que le gouvernement était "informé", affirme-t-il aussi sur RTL quelques jours plus tard.
Eric Woerth, transfuge LR vers LREM, confesse fin mai sur franceinfo avoir entendu "les rumeurs" en 2017 concernant Damien Abad, alors qu'ils étaient tous les deux membres de LR.
6Le parquet de Paris choisit de ne pas ouvrir d'enquête "en l'état"
Le récit de la première femme qui accuse Damien Abad de viol et qui n'a jamais déposé plainte est transmis à la justice par l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles. Mais le parquet de Paris fait savoir, le 25 mai, qu'il n'ouvre pas d'enquête préliminaire "en l'état" sur ces accusations, faute "d'élément permettant d'identifier la victime des faits dénoncés".
Alors qu'une enquête est systématiquement ouverte dès qu'une victime est mineure au moment des faits évoqués, même en l'absence de plainte, dans le cas d'une victime majeure le parquet n'ouvre d'enquête que si la ou les victimes le saisissent d'une plainte.
7Emmanuel Macron est interpellé par une lycéenne sur les cas Abad (et Darmanin)
Emmanuel Macron est vivement interpellé, lors d'un déplacement à Gaillac (Tarn), jeudi 9 juin, par Laura, une lycéenne. "Vous mettez à la tête de l'Etat des hommes qui sont accusés de viol et de violences pour les femmes, pourquoi ?", a lancé celle-ci, lors d'un bain de foule du président, faisant référence à Gérald Darmanin et Damien Abad. La libération de la parole, "je l'ai accompagnée et je continuerai de l'accompagner, de la protéger. En même temps, pour fonctionner en société vous devez avoir de la présomption d'innocence", lui répond le chef de l'Etat.
Le lendemain, les gendarmes vont voir la jeune femme alors qu'elle est au lycée. Elle explique au Parisien avoir été interrompue en plein cours pour un "entretien" avec des gendarmes dans une salle de son lycée, une gendarme lui reprochant son comportement de la veille, disant que ce "n'était pas à faire", selon son témoignage. La scène initiale, et la réaction de la gendarmerie du Tarn, sont largement commentées sur les réseaux sociaux, poussant les forces de l'ordre à s'excuser.
8Une troisième femme accuse Damien Abad de tentative de viol
Mardi 14 juin, le ministre des Solidarités est visé par de nouvelles accusations publiées par Mediapart. "Laëtitia" (prénom d'emprunt), "élue centriste", accuse Damien Abad d'avoir tenté de la violer lors d'une fête organisée chez lui, à Paris, au premier semestre 2010.
"Laëtitia" raconte que, le soir des faits, Damien Abad lui a "offert un verre" au fond duquel elle a vu "quelque chose". Méfiante, elle est allée recracher sa gorgée aux toilettes. Toujours selon le récit de cette femme, l'eurodéputé l'attendait derrière la porte à sa sortie des toilettes et l'aurait "poussée dans une pièce en face" puis aurait tenté de la contraindre à une fellation. "Laëtitia" dit avoir finalement pu "se défaire" de son agresseur présumé et sortir de la pièce grâce à l'irruption d'un convive. Le récit de cette femme est "étayé par les témoignages de huit personnes, à qui elle s'est confiée ou qui ont pu être témoins de certains éléments de son récit", et que Mediapart a contactées.
9Damien Abad dénonce un "calendrier soigneusement choisi"
Quelques heures après le deuxième récit publié par Mediapart, le ministre dénonce auprès de l'AFP la "partialité" de l'enquête du média, qui a selon lui une motivation "politique". Il fustige le "calendrier soigneusement choisi de ces publications", pendant l'entre-deux-tours des législatives. L'ex-chef des députés LR, candidat à sa réélection dans l'Ain, est arrivé en tête au premier tour, malgré une campagne perturbée par ces accusations. "Quant aux allégations rapportées, elles me révoltent et je les réfute catégoriquement", ajoute-t-il auprès de l'AFP.
De son côté, Matignon réagit après la publication de l'article en assurant que "la Première ministre ne peut pas se prononcer sur les témoignages anonymes" mais "invite ces femmes à porter plainte pour que la justice puisse faire son travail." Une position maintenue par la cheffe du gouvernement, mercredi, en déplacement de campagne dans le Calvados où elle est candidate.
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