Conférence de presse d'Emmanuel Macron : comment le débat sur la natalité s'est imposé dans les discours politiques
Emmanuel Macron a dégainé, mardi 16 janvier lors de sa grande conférence de presse, des mesures visant à relancer la natalité. Un nouveau "congé de naissance", "mieux rémunéré et qui permettra aux deux parents d'être auprès de leur enfant pendant six mois" va ainsi être créé, en remplacement du congé parental. Le président de la République a par ailleurs annoncé le lancement d'un "grand plan" contre l'infertilité, qui était attendu et prévu par la loi de bioéthique de 2021.
L'annonce présidentielle intervient le même jour que la publication d'un rapport de l'Insee sur la démographie montrant une baisse marquée de la natalité. En 2023, 678 000 bébés ont vu le jour en France, soit 6,6% de moins que l'année précédente, ce qui correspond au plus faible nombre de naissances sur un an depuis 1946. Mais au-delà des chiffres, avec ce thème mis à l'agenda de son deuxième quinquennat, Emmanuel Macron reprend une idée qui s'est largement diffusée dans le débat public ces derniers mois. Franceinfo remonte le fil.
Une inquiétude statistique
La publication du dernier rapport sur la démographie de l'Insee vient confirmer une tendance observée depuis plusieurs années. Selon l'organisme chargé d'établir des statistiques, le recul de la natalité s'explique à la fois par la diminution du nombre de femmes en âge de procréer, mais aussi par un taux de fécondité (nombre d'enfants par femme) en baisse. Il était de 1,79 enfant par femme en 2022. Ce taux a légèrement diminué chaque année entre 2015 et 2020, après avoir oscillé autour de deux enfants par femme entre 2006 et 2014. "Il est possible qu'il y ait un changement dans la fécondité assez important", estimait en mars sur franceinfo Hervé Le Bras, chercheur à l'Institut national d'études démographiques (Ined).
Le démographe avance plusieurs explications, comme "l'éco-anxiété", mais surtout "la double journée" subie par les femmes qui assurent la majorité du travail domestique, y compris lorsqu'elles ont un emploi. Si la natalité continue de baisser, la France pourrait se retrouver bientôt avec moins de naissances que de décès, ce qui serait "une première depuis la fin des années 1890", selon Hervé Le Bras. Peut-on dès lors parler de crise de la démographie française ? "Il est un peu tôt pour dire si la baisse du taux de natalité en France observée ces derniers temps inaugure vraiment une nouvelle ère où les femmes auraient nettement moins d'enfants que celles des générations précédentes", estimait en mars le démographe Gilles Pison.
Un besoin pour le financement des retraites
La question de la natalité française est revenue en force au moment des débats sur la réforme des retraites. La raison est simple : il y a actuellement environ 1,7 actif pour un retraité, et sans doute 1,2 seulement en 2070, selon le Conseil d'orientation des retraites. Pour la droite, cette évolution est à mettre directement en rapport avec la baisse de la natalité. "L'évolution démographique constitue, à terme, la première source de déséquilibre du régime des retraites", affirme le président des Républicains, Eric Ciotti. Jordan Bardella assure également que la pérennité du système de retraites passe par "deux leviers : la natalité, avec une grande politique nataliste, et la productivité".
Pour la droite et l'extrême droite, la France connaît un affaiblissement de la politique familiale depuis le quinquennat de François Hollande. Le gouvernement socialiste avait choisi de faire des économies en modulant les allocations familiales, en diminuant la prestation d'accueil du jeune enfant et en modifiant le quotient familial. Ces mesures "ont mis à mal la natalité dans notre pays", assure la députée LR Annie Genevard. Elle a ainsi proposé lors des débats sur le dernier budget de rehausser le quotient familial et de restaurer "l'universalité" des allocations familiales et ce "dès le premier enfant". Les démographes estiment qu'il existe un lien entre mesures natalistes et fécondité, mais qu'il reste difficilement mesurable.
Et cette vision de la natalité pour sauver le système des retraites ne fait pas l'unanimité. La députée Renaissance Prisca Thevenot, actuelle porte-parole du gouvernement, s'était agacée au moment des débats de voir les femmes réduites à "un utérus", destinées à "régler le problème de la société par la natalité". Elle avait été rejointe dans l'hémicycle par l'écologiste Sandrine Rousseau.
"Lâchez nos utérus ! (...) Nos ventres ne sont pas la variable d'ajustement de la réforme des retraites."
Sandrine Rousseau, députée écologisteà l'Assemblée nationale, le 16 février 2023
Pourtant, le gouvernement ne se montrait pas indifférent aux arguments de l'opposition de droite. Gabriel Attal, alors ministre des Comptes publics, expliquait déjà, en janvier 2023 sur Europe 1, que "soutenir la natalité" n'était "pas du tout" tabou pour l'exécutif. Dans le cadre du débat sur les retraites, l'actuel Premier ministre estimait que la démographie était "un des éléments essentiels", qui "implique qu'on agisse". "Le déclin de la natalité" en France risque de rendre "notre contrat social insoutenable", estimait encore plus récemment le président du MoDem François Bayrou, ajoutant que "ce n'est pas dans l'immigration que la solution se trouve".
Une tension liée au débat sur l'immigration
Avec l'examen de la loi immigration à l'automne, les inquiétudes au sujet de la natalité se sont à nouveau exprimées dans la classe politique. La politique nataliste est un thème cher à l'extrême droite depuis de nombreuses années. En 2007, le candidat Front national à l'élection présidentielle, Jean-Marie Le Pen, s'inquiétait déjà de la baisse de natalité. "Chacun doit être conscient en effet qu'il n'y a pas de redressement national sans redressement démographique", assénait-il lors d'un meeting. Depuis, l'extrême droite décline la thématique.
"Je préfère qu'on fabrique des travailleurs français plutôt qu'on les importe", affirmait en février 2023 le RN Sébastien Chenu, vice-président de l'Assemblée nationale, sur France Inter. En septembre, le RN a ainsi déposé une proposition de résolution à l'Assemblée pour "déclarer la natalité française 'Grande cause nationale 2024'" face à une "immigration de peuplement", à l'image des politiques de "natalité ambitieuses" menées en Hongrie ou en Pologne. Eric Zemmour n'est pas en reste. Dans la campagne pour la présidentielle, le candidat d'extrême droite proposait notamment d'offrir "10 000 euros à tout enfant de naissance française dans les zones rurales".
La droite républicaine tient un discours plus modéré, même si en 2019 les propos de Jean-Paul Delevoye, alors haut-commissaire aux retraites, avait marqué les esprits. En s'appuyant sur des données contestables, il avait chiffré à "50 millions" le nombre de travailleurs immigrés nécessaires "pour équilibrer la population active en Europe en 2050".
Une inconnue concernant le climat
Toute politique nataliste risque de se confronter, à terme, aux limites climatiques. "La nature, la planète Terre, n'acceptera pas d'avoir 10 milliards d'habitants sur terre ad vitam æternam vivant comme aujourd'hui", estimait en 2022 sur franceinfo le chercheur Jean-Marc Jancovici. Selon lui, la question démographique et celle de sa régulation doit être posée, "en France" et "partout" dans le monde, si l'on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre et l'impact du dérèglement climatique sur nos sociétés.
D'autres chercheurs se montrent plus optimistes. Pour Emmanuel Pont, auteur d'un livre sur la question démographique, faire moins d'enfants ne serait pas la solution face aux enjeux climatiques. Selon cet ingénieur, l'augmentation de la population sur Terre n'est pas une mauvaise chose, et encore moins la cause de la crise climatique. "D'une part, à l'échelle individuelle, un enfant a un poids écologique réduit", développe l'auteur sur franceinfo. Et à l'échelle de l'humanité, la population mondiale est finalement un facteur extrêmement faible et négligeable par rapport à toutes les questions plus importantes de système politique, d'inégalités, d'économie, de consumérisme. Et c'est là que se trouvent les bonnes questions."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.