Composition du futur gouvernement : pourquoi l'ouverture à gauche semble-t-elle être une mission impossible pour Michel Barnier ?

Le nouveau Premier ministre cherche à débaucher des personnalités de gauche. Mais la tâche s'avère ardue et le coût politique trop important pour celles et ceux qui pourraient être tentés.
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Le Premier ministre Michel Barnier lors d'un déplacement à Entrelacs (Savoie), le 12 septembre 2024. (BERTRAND RIOTORD / LE DAUPHINE / MAXPPP)

La perle rare n'a pas encore été trouvée. L'ancien ministre Stéphane Le Foll, le député socialiste Philippe Brun, la maire d'Avignon Cécile Helle… Ces personnalités politiques ont en commun d'être de gauche et d'avoir refusé ces dernières semaines d'entrer au gouvernement de Michel Barnier. Le nouveau Premier ministre s'était pourtant dit ouvert, le 6 septembre sur TF1, à accueillir dans son équipe des personnes "de bonne volonté" et possiblement des "gens de gauche". Treize jours plus tard, sur fond de tensions entre Les Républicains et le camp macroniste, Matignon n'a toujours pas présenté son équipe gouvernementale et la recherche de personnalités de gauche s'avère complexe.

Depuis près de deux semaines, la liste de ceux qui ont dit "non" ne cesse de s'allonger. C'est le cas notamment du maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Karim Bouamrane, mais aussi de celui de Romainville, François Dechy, selon les informations de franceinfo. Jeudi, le nom de l'ancien député socialiste Didier Migaud était cité par des sources parlementaires à France Télévisions pour un poste à la Justice. L'intéressé n'a pas réagi, mais le nombre de refus montre la difficulté pour Michel Barnier, issu des Républicains, à s'ouvrir à gauche.

Une entrée au "coût politique" trop "fort"

"Le macronisme a épuisé depuis sept ans tous les opportunistes, à gauche comme à droite", tacle le député écologiste Benjamin Lucas, alors qu'Emmanuel Macron avait séduit de nombreux socialistes en 2017, comme l'ancien Premier ministre Gabriel Attal ou l'ex-ministre de la Santé Olivier Véran.

Ces refus sont d'abord une affaire de calcul politique pour les potentiels ministrables. Le futur gouvernement Barnier, largement minoritaire à l'Assemblée nationale, pourrait avoir une durée de vie très courte si une motion de censure était votée par le Nouveau Front populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN). "En matière d'avenir politique, quel intérêt pour quelqu'un d'aller dans un gouvernement qui ne tient qu'un seul mois ?, s'interroge le député socialiste Arthur Delaporte. Le coût politique est fort pour ceux qui partiraient. Un maire risquerait par exemple de perdre sa commune lors des prochaines élections." "Qui ira dans le navire en train de couler de la macronie ?", se questionnait encore une élue écologiste auprès de franceinfo le 11 septembre, tandis qu'un proche du patron du PS Olivier Faure prédisait que "Michel Barnier ne [pourrait] recruter que des ringards, des gens de seconde zone à gauche".

Une feuille de route encore inconnue

Au-delà des carrières individuelles, c'est aussi la question de la ligne politique défendue par Michel Barnier qui se pose. "En étant de gauche, je ne vois pas comment on peut être dirigé par quelqu'un qui incarne la droite et qui propose l'immigration zéro ou qui n'a pas appelé au barrage républicain" face à l'extrême droite au second tour des législatives, souffle Benjamin Lucas. L'ancien ministre et commissaire européen est connu pour ses positions conservatrices, qu'il a notamment défendues pendant la primaire de la droite en 2021. Une vision difficilement compatible avec celle du Nouveau Front populaire.

"Comment peut-on soutenir quelqu'un qui est implicitement soutenu par Marine Le Pen ?", s'étonne encore Arthur Delaporte, alors que le RN a promis de ne pas censurer le prochain gouvernement immédiatement, à l'inverse du NFP. Participer à un gouvernement Barnier serait même de "la compromission", selon Karim Bouamrane

Une attitude qui ne surprend pas dans les rangs de la macronie. "Cette personne de gauche, elle sait ce qu'elle aura à faire dans ce gouvernement ? J'ai été appelée deux fois pour rejoindre des gouvernements et je savais quelle était la feuille de route", juge la porte-parole du gouvernement démissionnaire, Prisca Thevenot.

"Pour quelqu'un qui est appelé, il est légitime de se demander : 'Mais pour quelle politique ?' Et les électeurs en circonscriptions vont se demander la même chose."

Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement démissionnaire

à franceinfo

Face à une pénurie de profils à gauche, la promesse "d'ouverture" du nouveau Premier ministre pourrait bien rester lettre morte. L'absence de poids lourd de gauche dans le futur gouvernement viendrait en tout cas "clarifier l'ouverture vers la droite d'Emmanuel Macron depuis sa réélection", selon Bruno Cautrès, politologue et chercheur au Cevipof. En août, le président de la République avait en effet refusé de nommer à Matignon Lucie Castets, la candidate du NFP.

L'union de la gauche renforcée ?

Malgré les tensions internes au NFP, notamment sur la question de voter ou non en faveur de la destitution d'Emmanuel Macron, l'alliance a bénéficié du refus de ses forces, en particulier des socialistes, de participer à un gouvernement avec les LR et les macronistes. "Le président avait fait le pari de l'éclatement de la gauche, avant et après les législatives, mais nous avons montré que l'on tenait bon", souligne Arthur Delaporte. 

Au-delà du sort du futur gouvernement, la gauche a déjà en tête les prochaines échéances électorales. En cas de législatives anticipées, et sans changement de mode de scrutin, les partis du NFP auront tout intérêt à maintenir leur union pour préserver leur nombre de députés. "Il y a eu le bon score de Raphaël Glucksmann [aux européennes], une victoire en sièges aux législatives, on ne voit pas quel serait l'intérêt stratégique de la gauche de venir aider ce qu'il reste du macronisme", résume Bruno Cautrès.

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