La menace de destitution d'Emmanuel Macron est-elle vraiment "crédible", comme le déclare le député LFI Manuel Bompard ?

Les dirigeants de La France insoumise ont brandi la menace d'une procédure de destitution contre le chef de l'Etat s'il ne nomme pas Lucie Castets, candidate de la gauche, à Matignon. La légitimité juridique d'une telle démarche pose question, mais l'absence de soutien de la part des partenaires de LFI semble enterrer cette possibilité.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le député LFI des Bouches-du-Rhône Manuel Bompard, au siège du parti à Paris, le 8 juillet 2024. (ALAIN JOCARD / AFP)

Un ultimatum suivi d'effet ? La menace de destitution d'Emmanuel Macron "est une possibilité crédible" a affirmé, lundi 19 août sur RTL, Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise (LFI). En cas de refus de nommer Lucie Castets, la candidate du Nouveau Front populaire (NFP) à Matignon, "nous utiliserons les moyens constitutionnels à notre disposition pour vous renverser", a aussi lancé le coordinateur de LFI, qui doit rencontrer Emmanuel Macron le 23 août, avec les autres responsables du NFP.

"C'est un avertissement" car "nous préférons [qu'Emmanuel Macron] nomme Lucie Castets à la tête du gouvernement", a également précisé le député des Bouches-du-Rhône. Un "avertissement solennel" même, face à la "dérive autocratique du chef de l'Etat", a renchéri sa collègue Aurélie Trouvé sur TF1 lundi matin, quand une autre insoumise, Alma Dufour, a défendu sur LCI une "menace pesée" pour "mettre un coup de pied dans la fourmilière".

Samedi soir, les dirigeants insoumis avaient allumé la mèche dans un texte publié dans La Tribune Dimanche. Ils demandaient au chef de l'Etat de "prendre acte" du résultat des législatives qu'il avait lui-même convoquées, en nommant comme Première ministre la candidate du bloc de gauche, arrivé en tête – sans avoir pour autant de majorité absolue. Faute de quoi ils engageraient une procédure de destitution à son encontre.

Une procédure longue et complexe

Pourtant, celle-ci est loin d'être gagnée d'avance pour la gauche. "Le président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat", prévoit l'article 68 de la Constitution. "Le 'manquement' en cause peut concerner le comportement politique, mais aussi privé, du président, à condition que ses actes aient porté atteinte à la dignité de sa fonction", précise le site Vie publique.

Est-ce le cas ici ? "Il est évident que le refus de prendre acte d'une élection législative et la décision de passer outre constituent un manquement condamnable aux exigences élémentaires du mandat présidentiel", estiment les dirigeants de LFI dans leur texte commun. "Le chef de l'Etat est dans son rôle constitutionnel. En l'absence de majorité, il consulte les groupes politiques afin de nommer un Premier ministre", répond l'Elysée auprès du Monde, dénonçant "une agitation bien peu conforme à l’esprit de la République et à la lettre de la Constitution".

Pour aboutir, la procédure de destitution doit être demandée par un dixième des députés ou des sénateurs. Les signataires doivent ensuite convaincre l'Assemblée nationale et le Sénat de se constituer en Haute Cour, par un vote à la majorité des deux tiers dans chacune des deux chambres. En cas de résultat positif, la Haute Cour ainsi constituée vote sur la destitution en tant que telle, là aussi à la majorité des deux tiers.

Les autres partis de gauche se dissocient

Avec 72 membres au Palais-Bourbon, "nous avons un dixième des députés" et même plus, a relevé Manuel Bompard lundi, tandis que ceux "qui soutiennent le président de la République représentent moins d'un tiers des députés à l'Assemblée nationale". Pour autant, au regard des équilibres politiques dans les deux chambres, et de la réaction des partenaires de LFI à gauche, la proposition n'a en réalité aucune chance d'aboutir.

"Il n'y a pas grand monde en dehors de LFI qui est venu apporter son soutien à cette démarche", a ainsi observé la patronne des Ecologistes, Marine Tondelier, lundi sur franceinfo. Les Ecologistes ne "partagent pas" la position de La France insoumise sur l'opportunité de la destitution, a-t-elle souligné. Si Marine Tondelier dénonce "l'entêtement" du chef de l'Etat, elle perçoit néanmoins un "geste favorable" de la part d'Emmanuel Macron, qui accepte de recevoir la candidate du NFP avec les chefs de partis de la coalition de gauche vendredi. "Il nous reçoit en premier dans l'ordre protocolaire. C'est que, quelque part, il reconnaît notre ordre d'arrivée aux élections législatives. Il était temps !", a-t-elle salué.

La proposition d'initier une destitution d'Emmanuel Macron "n'engage que" LFI et non l'ensemble de la gauche unie au sein du Nouveau Front populaire, a également réagi le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, sur X dès dimanche. "La réponse à une nomination d'un Premier ministre qui ne serait pas conforme à la tradition républicaine, est la [motion de] censure", a-t-il ajouté.

Même prise de distance du côté du Parti communiste, où l'on observe auprès de l'AFP que "LFI choisit de se lancer dans la présidentielle dès maintenant. C'est leur choix". "Pour nous, ce n'est pas la priorité. Avant d'envisager une nouvelle présidentielle, faisons respecter le résultat des législatives", plaide le PCF.

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