"Il n'y a pas de chasse à l'homme" : après la démission de François de Rugy, un journaliste de Mediapart explique son travail
Le ministre de la Transition écologique a démissionné après de nouvelles révélations du média en ligne, contre lequel il porte plainte pour diffamation. Michaël Hajdenberg, l'un des journalistes auteurs de l'enquête, en révèle les coulisses et assure avoir reçu "récemment" les dernières informations divulguées mardi après-midi.
C'est la deuxième démission d'un ministre provoquée par Mediapart. Après Jérôme Cahuzac en mars 2013, François de Rugy a démissionné, mardi 16 juillet. S'estimant victime d'un "lynchage médiatique", le ministre de la Transition écologique a annoncé avoir déposé une plainte en diffamation contre le site d'investigation. Dîners fastueux, travaux onéreux, appartement à loyer modéré… Plusieurs révélations ont conduit le ministre à prendre sa décision.
Selon la dernière enquête en date, publiée mardi, François de Rugy aurait utilisé son indemnité représentative de frais de mandat de député pour payer une partie de ses cotisations d'élu à son ancien parti EELV, tout en les déduisant de sa déclaration de revenus. Ces nouveaux éléments ont-ils précipité sa démission ? Comment les journalistes de Mediapart ont-ils décidé de publier leurs enquêtes ? Franceinfo a posé ces questions à Michaël Hajdenberg, l'un des auteurs des articles.
Franceinfo : Comment avez-vous appris la démission de François de Rugy ?
Michaël Hajdenberg : Par l'Agence France-Presse ! Lundi soir, on a adressé à François de Rugy nos questions. On lui a dit qu'on avait besoin de réponses pour publier notre papier mardi à 13 heures. A cette heure-là, on n'a pas eu de réponse, donc on a relancé. Il nous a dit qu'il n'était pas prêt. A 14 heures, on nous a dit que la réponse était imminente, mais qu'il n'était toujours pas prêt. Puis, à 14h30, on a appris sa démission par des journalistes qui relaient l'AFP, puisque nous ne sommes pas abonnés à cette agence.
Cette nouvelle enquête de Mediapart a-t-elle fait basculer l'affaire, selon vous ?
L'enquête sur l'utilisation de ses frais professionnels en tant que député est embarrassante pour François de Rugy. C'est une faute grave. Sa démission était une hypothèse envisagée, ça allait être compliqué pour lui. Mais on ne s'y attendait pas forcément, après les déclarations d'Emmanuel Macron depuis la Serbie. [Lundi, le président de la République a déclaré : "Je ne prends pas de décisions sur la base de révélations mais de faits. Il y a encore dans notre pays le respect de la personne individuelle, des droits de la défense, de la possibilité de réponse, sinon ça devient la République de la délation."] On s'est dit qu'il le soutenait et que sa démission n'était pas acquise.
Vos précédentes informations sur le train de vie dispendieux de François de Rugy ne semblaient pas avoir ébranlé le ministre. Est-ce le caractère illégal des dernières révélations qui a précipité sa démission ?
On n'est pas dans la tête d'Edouard Philippe ni d'Emmanuel Macron, donc c'est difficile à savoir. Les faits qu'on dénonce aujourd'hui sont graves, mais les révélations précédentes étaient d'intérêt public. On ne peut pas utiliser des fonds publics n'importe comment, même si cela n'entre pas dans le cadre de qualifications pénales. Mais le journalisme n'est pas la justice, il ne faut pas confondre les deux. Est-ce que le risque judiciaire doit précipiter une démission ? Je n'en sais rien.
Aviez-vous toutes les informations en main depuis le début et avez-vous décidé de "feuilletonner" la publication des articles ?
Sur les dîners fastueux et les travaux aux frais du contribuable, on avait les informations dès le début. Mais on n'a pas pu publier les deux enquêtes en même temps, car cela nous a pris du temps pour vérifier les informations. C'était pourtant l'idée initiale. Par un hasard total, on avait en parallèle des informations sur le logement social de sa directrice de cabinet, donc on les a sorties.
Parce qu'ils ont vu ces informations et qu'ils ont été choqués, des lanceurs d'alerte ont décidé qu'ils voulaient nous informer d'autres faits. On a reçu les éléments, puis on a fait notre travail de journalistes : on a vérifié et on a recoupé. On a eu connaissance très récemment des dernières informations révélées sur ses frais de mandat de député.
Que répondez-vous à François de Rugy, qui estime que le "fantasme de Mediapart, c'est le fantasme des coupeurs de têtes", mais aussi à ceux qui vous accusent de vous acharner sur un seul homme ?
Il n'y a pas de chasse à l'homme. On n'est pas des "coupeurs de têtes". On n'arrive pas le matin en conférence de rédaction en voulant abattre un homme. Des gens sont outrés par des comportements, puis par des réactions, celle du gouvernement et du président de la République par exemple. Ils nous interpellent et on a des pistes d'investigation. Puis on enquête : parfois c'est court, parfois c'est long. On ne sait jamais ce que va devenir une information dans l'espace public, mais plus on révèle des faits, plus on en obtient. Certains nous critiquent, mais d'autres estiment qu'on ne peut pas s'en prendre aux journalistes.
Ce qui est important, c'est la moralisation. On ne peut pas laisser les députés dans un entre-soi. S'il y avait un peu plus de contrôles, il n'y aurait plus d'affaires. On n'a pas décidé de "se faire" Jérôme Cahuzac, mais quand on a sorti l'affaire, tout le monde en a parlé. Puis cela a provoqué la création d’un parquet national financier et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Aujourd'hui, il y a moins de corruption et moins d'opacité, même si cela reste insuffisant. Le travail journalistique permet de faire avancer les choses. Il y a peu de contre-pouvoirs au gouvernement et à l'Assemblée nationale, il est donc normal que la presse joue ce rôle.
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