Perquisitions à La France insoumise : on a passé au crible les arguments de défense de Jean-Luc Mélenchon
Visé par une perquisition dans le cadre de deux enquêtes préliminaires, le leader des Insoumis se défend. Des comptes de campagne "validés", une enquête déclenchée par une "plaisanterie"... Que valent ses arguments ?
Indignation dans les rangs de La France insoumise (LFI). Des perquisitions ont été menées, mardi 16 octobre, au siège du parti "insoumis", chez son leader, Jean-Luc Mélenchon, et dans son entourage. Ces opérations de police, ponctuées de heurts entre les députés LFI et les forces de l'ordre, qui font désormais l'objet d'une enquête, ont été menées dans le cadre de deux enquêtes préliminaires. L'une concerne des emplois présumés fictifs de parlementaires européens et l'autre, d'éventuelles irrégularités dans les comptes de campagne de l'ex-candidat. Jean-Luc Mélenchon et ses proches dénoncent une "énorme opération de police politique" et organisent une défense médiatique. Franceinfo a passé au crible les arguments avancés par le leader de La France insoumise.
"La procédure légale n'a pas été respectée"
Ce que Jean-Luc Mélenchon affirme. Pour le leader de La France insoumise, les perquisitions de mardi ont été entachées d'irrégularités. "Nous ne sommes pas dans une procédure normale ! a-t-il protesté, mercredi sur BFMTV. La procédure légale n'a pas été respectée." Il dénonce pêle-mêle l'interdiction faite à lui et ses proches d'assister à la perquisition au siège du parti, le non-respect de leur immunité parlementaire ou encore le fait qu'un procès-verbal ne leur ait pas été présenté.
Ce qu'il en est. Les policiers avaient bien le droit de perquisitionner le domicile de Jean-Luc Mélenchon et les locaux de La France insoumise, et ce malgré l'immunité parlementaire dont bénéficie l'élu. En revanche, le responsable légal du parti, Manuel Bompard, aurait dû pouvoir y assister. Contacté par franceinfo, il indique au contraire avoir été "bloqué dans une salle de réunion gardée par deux policiers". Il assure par ailleurs que les policiers ne lui ont pas fait signer de procès-verbal, comme ce devrait pourtant être le cas à l'issue d'une perquisition. Contacté sur ces deux derniers points par franceinfo, le ministère de l'Intérieur n'a pas répondu à nos sollicitations.
>> Perquisitions et heurts au siège de La France insoumise : la loi a-t-elle été respectée ?
"Il y a une volonté politique derrière"
Ce que La France insoumise affirme. Plusieurs responsables du parti estiment que LFI fait l'objet d'un traitement particulier de la justice, y voyant même une preuve de l'existence d'une "police politique". D'abord parce que les moyens déployés seraient extraordinaires. "Vous ne mobilisez pas plus de cent policiers le même jour à la même heure s'il n'y a pas une volonté politique derrière", a estimé le député La France insoumise Ugo Bernalicis, sur franceinfo.
Les cadres dénoncent aussi "deux poids, deux mesures", en fonction des partis et des personnes. "Il n'y a eu aucune perquisition à ce jour à La République en marche ni au domicile de Christophe Castaner, alors que eux aussi ont des comptes à rendre sur les comptes de campagne", s'est ému mercredi sur France Inter Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis. Il dénonce aussi une "différence de traitement" avec l'ex-chargé de mission de l'Elysée, Alexandre Benalla, sous le coup d'une enquête menée par des juges d'instruction pour des violences en marge d'une manifestation du 1er-Mai à Paris.
Ce qu'il en est. Le nombre de perquisitions réalisées mardi dans les locaux ou chez des membres de La France insoumise – une dizaine – est effectivement plus significatif que dans d'autres cas récents impliquant des partis politiques. Mais La France insoumise est loin d'être le seul parti à avoir fait l'objet de procédures similaires : les locaux du Front national (désormais Rassemblement national) ont été perquisitionnés en février 2017, et plusieurs membres du parti, dont Marine Le Pen, ont été mis en examen dans l'affaire des emplois présumés fictifs du Parlement européen. Le MoDem, parti allié à celui d'Emmanuel Macron, a lui aussi été perquisitionné en octobre 2017 dans cette affaire. Deux ministres du gouvernement Philippe, François Bayrou et Marielle de Sarnez, ont même dû démissionner.
En ce qui concerne le traitement réservé à Alexandre Benalla, plusieurs perquisitions ont eu lieu dans cette affaire – à l'Elysée ou dans l'appartement de l'ancien chargé de mission. En revanche, le parquet de Paris n'a pas souhaité élargir le champ des investigations après la disparition d'un coffre-fort contenant des armes, au domicile d'Alexandre Benalla, rappelle Le Parisien.
Enfin, l'enquête ouverte en juin sur le rôle de la ville et de la métropole lyonnaise dans l'organisation et le financement de la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron n'a effectivement pas entraîné de perquisitions pour l'instant, selon les informations dont nous disposons à ce jour.
Sur "les comptes de campagne (…) nous avons été parfaitement clairs"
Ce que La France insoumise affirme. "La commission nationale des comptes de campagne a validé, le 13 février 2018, les comptes de Jean-Luc Mélenchon sans aucune irrégularité, souligne La France insoumise, dans un communiqué publié mardi. Ce n'est pas le cas pour ceux d'Emmanuel Macron, pour lesquels des irrégularités ont été notées. Afin de prouver publiquement son honnêteté, Jean-Luc Mélenchon a demandé le 8 juin 2018 le réexamen de tous les comptes de campagne". "Les comptes de campagne, y en a ras le bol, nous avons été parfaitement clairs", disait déjà Jean-Luc Mélenchon, mardi matin.
Ce qu'il en est. Les "Insoumis" ont raison sur le premier point : la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), qui examine tous les comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle, a bien validé ceux de Jean-Luc Mélenchon, le 21 décembre 2017. Mais elle a quand même retoqué plus de 430 000 euros de factures présentées par l'équipe du candidat, estimant que certaines prestations étaient surfacturées. En novembre 2017, le rapporteur de la Commission chargée d'examiner les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon a même claqué la porte, estimant que l'institution avait été trop clémente.
Par ailleurs, deux signalements à la justice ont été effectués concernant les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon, après validation des comptes par la CNCCFP. Ce sont ces signalements qui ont conduit le parquet de Paris à ouvrir une enquête préliminaire, en mai. Un premier vient de la cellule française de renseignement financier Tracfin. Un second signalement a été effectué par... la CNCCFP. Une apparente incohérence relevée par Jean-Luc Mélenchon sur son blog : "Je ne comprends pas comment la Commission nationale des comptes de campagne a pu à la fois valider mes comptes et faire un signalement". De son côté, la CNCCFP a justifié ce signalement par des "interrogations" portant sur les dépenses facturées par deux associations liées au parti : L'Ere du peuple et Mediascop.
En revanche, contrairement à ce qu'assure LFI, la Commission a bien validé les comptes de campagne d'Emmanuel Macron. Les ristournes accordées par des prestataires de la campagne au candidat à l'élection présidentielle, et révélées par franceinfo, ont été considérées comme "normales et régulières".
"La plainte initiale (...), c'était une plaisanterie pour complaire à Mme Le Pen"
Ce que La France insoumise affirme. Dans un communiqué publié mardi, LFI écrit que l'enquête sur les emplois fictifs du Parlement européen a été ouverte à la suite "d'une dénonciation d'une élue d'extrême droite, Sophie Montel, qui avouait elle-même qu'elle n'était pas sérieuse. Elle parlait en effet d'un 'pied de nez'". Lors des questions au gouvernement, mardi, Jean-Luc Mélenchon parlait ainsi d'une "plaisanterie" de l'élue "pour complaire à Mme Le Pen".
Ce qu'il en est. Le leader de La France insoumise joue sur les mots. Rembobinons : depuis 2015, le Front national est suspecté d'emplois fictifs au Parlement européen. En mars 2017, une enquête pour "abus de confiance" est ouverte à la suite d'une lettre de Sophie Montel, alors eurodéputée frontiste. Elle assure que d'autres eurodéputés sont concernés par cette pratique, y compris hors du FN. En juin, elle dépose un signalement visant spécifiquement Jean-Luc Mélenchon et quatre de ses ex-assistants parlementaires, entraînant un élargissement de l'enquête.
Interrogée en juillet 2017 sur RMC, l'élue d'extrême droite assure en effet que sa démarche est "un pied de nez" . Mais impossible d'y voir une "plaisanterie", comme le fait Jean-Luc Mélenchon. Voici ce qu'elle dit de sa démarche : "C'est la rupture du deux poids, deux mesures, c'est le même traitement pour tout le monde. (...) Quand c'est le Front national, on nous tombe dessus en disant 'ah c'est pas bien parce que vous violez la loi' et quand c'est les autres – parce que les autres font la même chose –, on nous explique que c'est tout à fait normal". Elle enfonce encore le clou mardi sur Twitter, en répondant à Jean-Luc Mélenchon : "La seule 'plaisanterie' est que le Parlement européen ne s'intéresse qu'à certains députés".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.