Comment les "stages clients" tentent de faire tomber les clichés autour de la prostitution : "Si l'acte était désiré, vous n'auriez pas à payer"
Pour lutter contre la prostitution, la justice propose aux clients verbalisés des journées de sensibilisation. Franceinfo a pu suivre exceptionnellement un de ces "stages clients" à Pontoise dans le Val-d'Oise.
Les associations estiment à environ 10 000 le nombre de mineurs victimes de proxénétisme en France. Adrien Taquet, le secrétaire d'État chargé de l'enfance, doit présenté lundi 15 novembre un plan national de lutte contre la prostitution des mineurs.
Pour tenter d'endiguer ces pratiques, la lutte contre la prostitution passe aussi par la sensibilisation. Depuis cinq ans, les clients verbalisés peuvent se voir proposer des stages par la justice. Une journée leur coûte 180 euros, donc moins que l'amende que cela peut leur éviter et qui peut, elle, aller jusqu'à 1 500 euros.
Direction Pontoise, en région parisienne, pour assister à un de ces "stages clients" organisés par l'association ARS95. Nous avons pu interviewer certains clients, une fois avant la formation, et une autre fois après. Au petit matin, Julien et Nicolas [les prénoms ont été modifiés] nous expliquent comment ils appréhendent ce stage. "Je me sens un peu honteux d'aller ici, déclare Julien. Je l'appréhende comme une punition. Tout ce qu'on va me dire je le sais déjà. Excusez-moi du terme mais ça me fait chier. Je sors quand même de l'argent que j'aurais pu mettre ailleurs. Ces stages n'arrêteront jamais ça."
"Je pars du principe que je suis jeune. Cela m'arrive en vacances, en boîte de nuit quand on n'arrive pas à avoir une petite copine pour la nuit et qu'on a une petite envie. Je cherche la facilité."
Julienà franceinfo
"Peut-être qu'il y a une honte derrière, la peur du regard extérieur", explique à son tour Nicolas. Mais selon lui, poursuit-il, une prostituée "c'est quelqu'un qui est volontaire, c'est quelqu'un qui fait son métier. Parce que c'est un métier."
Un déclic sur la prostitution des mineures
Le but du stage est de mettre les participants face à la réalité de la prostitution. Cela commence avec l'intervention d'une gendarme. Cindy Roguet leur rappelle la loi, mais ce n'est pas juste théorique. L'adjudant-chef travaille sur le terrain et rencontre des prostituées. Visiblement pour elle, le plan d'Adrien Taquet vise juste. "On les met en garde aussi sur un phénomène exponentiel qui est la prostitution des mineures ou des jeunes majeures qui ont commencé la prostitution quand elles étaient mineures, et souvent ça les touche."
"Le fait qu'elles soient mineures est quelque chose qui est extrêmement grave pour eux. Il y en a même qui associent ça à de la pédophilie. Quand on a ces mots qui sortent dans les stages, on se dit qu'on a quand même un déclic et une prise de conscience."
Cindy Roguet, gendarmeà franceinfo
Autre déclic : comprendre que la prostitution n'est pas le plus vieux métier du monde, et d'ailleurs pas un métier du tout. Mélissa Guyomar, de l'association ARS95, pousse la logique jusqu'au bout. "Est-ce que vous imaginez la formation ? lance-t-elle aux stagiaires. Pour tout corps de métier il y a une formation et des études. Imaginez demain vous êtes père de famille, on propose à votre fille de s'entraîner à faire des fellations dans le cadre d'un cursus scolaire, parce que c'est ça la logique du métier. Dans la prostitution on ne joue pas aux cartes. Un CAP finition manuelle ou un BEP fellation... Vous voyez l'absurdité de la chose ?"
La clé du consentement
En fait, la notion-clé pour déconstruire leur vision de la prostitution, c'est celle du consentement. "La violence réside déjà par l'acte en lui-même, c'est-à-dire que l'acte n'est pas désiré par la personne prostituée, s'il l'était vous n'auriez pas à payer. Est-ce que vous êtes d'accord sur ce principe ?", demande Mélissa Guyomar. "Il y en a qui travaillent pour leur compte, qui veulent cet argent et qui sont consentantes", répond l'un de stagiaires.
Argent = consentement, une certitude qui bascule à la toute fin de cette longue journée avec le témoignage de Rosen, qui raconte qu'elle-même se disait consentante quand elle se prostituait. Un jour, elle a compris que ça n'avait jamais été le cas mais qu'elle n'avait pas les armes pour le comprendre. Rosen a été violée dès l'enfance par son oncle, puis par un ami de son père, puis par son futur proxénète : "Il m'amène des hommes, des femmes, des couples et il me dit que l'amour c'est ça. L'entreprise où je travaille ferme, donc je perds mon emploi, et je me retrouve dans la prostitution. De mes 9 ans à mes 32 ans, comment identifier la souffrance quand on a vécu que de souffrances ?" Deux tiers des prostitués ont subi des violences sexuelles avant de tomber dans la prostitution.
"C'est archi-violent"
À la fin de la journée, on retrouve Julien, qui parlait le matin de "punition" pour qualifier le stage. "Il y avait des choses que je n'avais pas vues parce que c'est archi-violent. Donc je ne crois pas que je vais retourner devant ça, en tout cas pas avant un moment. Elle nous disait de réfléchir et d'imaginer si c'est notre sœur, notre mère ou notre fille." Et quand on lui demande si ce stage, qu'il abordait avec scepticisme le matin, a fait bouger les lignes, il répond que "oui, vraiment beaucoup".
"Si je refais ça, je penserai plutôt que c'est moi qui détruis et pas elle qui me soulage."
Julienà franceinfo
Son revirement est assez impressionnant, mais personne ne sait si ces stagiaires arrêteront vraiment d'avoir recours à la prostitution : il n'y a pas de suivi. Et seule une poignée de clients de prostituées suivent cette formation en France. Une quinzaine de parquets la proposent actuellement, et à Pontoise par exemple, il y a une centaine de stagiaires par an.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.