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Reportage
"De l'héroïne, on arrive toujours à s'en procurer" : le combat des régions rurales face au fléau de la drogue

Dans certaines campagnes françaises, comme dans la Somme, la consommation d'héroïne est un fléau. Les autorités tentent, non sans difficulté, d'arrêter ces trafics qui détruisent de nombreuses vies.
Article rédigé par franceinfo, Boris Loumagne
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Bastien, à gauche, intervient dans des ateliers de parole auprès de toxicomanes. Le docteur Patrick Pommelet suit les patients du centre d'addictologie de Péronne, dans la Somme. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE)

C'est une crise sanitaire qui se déroule à bas bruit dans certaines campagnes françaises. Depuis plus de 15 ans, les autorités peinent à endiguer le phénomène de la consommation d'héroïne dans plusieurs départements situés à proximité de la Belgique, comme la Meuse ou la Somme.

Dans l'est de la Somme, il y a des choses qui semblent immuables dans ce petit coin de campagne. Les fleurs jaunes des champs de colza, les briques rouges des petites maisons. Et depuis peu, les mines blafardes de ces silhouettes chétives : des jeunes hommes surtout, à la recherche de leur dose d'héroïne. Une drogue que l'on trouve très facilement à Roisel, une commune de 1500 habitants.

"De l'héroïne, on arrive toujours à s'en procurer", affirme Benjamin, 33 ans, qui a commencé l'héroïne à 17 ans. Il confie : "Tous les jours, si vous en voulez, vous venez, il y en a". En un coup de téléphone, on peut obtenir ici de l'héroïne à un prix dérisoire : 15 € le gramme, c'est quatre fois moins qu'à Paris. Et elle est encore moins chère en Belgique à 2 heures de voiture d'ici, en empruntant l'A2, surnommée "l'autoroute de la drogue". "J'y suis déjà allé quand j'avais le permis pour emmener quelqu'un, témoigne Benjamin. En contrepartie, j'avais ce que je voulais."

A cette drogue dure, peu chère et facilement accessible, s'ajoute la misère sociale : dans la région, un jeune sur deux est sans emploi. Cette crise sanitaire dure maintenant depuis des années et détruit des vies. "Je me suis séparé de ma conjointe, ça a tout foutu l'air, même avec ma famille, ça reste tendu", observe Benjamin, qui "espère que des gamins de 14-15 ans ne vont pas faire la même connerie". Rien que dans ce village de Roisel, le trentenaire connaît au moins une cinquantaine de consommateurs d'héroïne comme lui.

Peu de solutions pour sortir de l'addiction

Face à cette situation, les consommateurs qui souhaitent arrêter l'héroïne dans ces milieux ruraux ont peu d'options. À Roisel, pour suivre un traitement au long cours, comme une cure de sevrage, les toxicomanes doivent se rendre à Amiens ou à Saint-Quentin. Mais il y a peu de transports en commun et beaucoup d'entre eux n'ont pas le permis. Alors il y a bien quelques centres d'addictologie implantés en zone rurale, mais ils ferment les uns après les autres.

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C'est le docteur Patrick Pommelet, du centre d'addictologie Csapa (Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie) de la ville de Péronne, qui récupère une partie des patients : "On se trouve assez démunis et assez seul ici à Péronne. La fréquentation s'amplifie de semaine en semaine. Il y a des centres où les médecins sont partis à la retraite et n'ont pas été remplacés. Il y a aussi le problème de mes confrères médecins traitants qui ont tendance à éviter ce genre de patientèle". Cette offre de soins limitée est un frein au sevrage, mais ce n'est pas le seul. Dans ces petites villes et villages, tous les consommateurs se connaissent, se croisent dans la rue et se tentent les uns les autres.

Pour arrêter, il faut se couper du monde. Bastien a 47 ans, il est clean depuis bientôt 20 mois, il se "préserve" d'autant plus qu'il "vient de perdre [son] papa, il y a six mois". "J'ai très envie de consommer pour oublier, pour gérer mes émotions et mon mal-être et donc du coup, j'évite les sorties sur Péronne" détaille-t-il. Ses seules sorties se résument désormais à "aller faire deux ou trois courses, aller au cimetière et faire du bénévolat à la Croix-Rouge". Bastien intervient aussi dans des ateliers de parole auprès des toxicomanes de la région pour leur montrer, dit-il, qu'on peut décrocher un jour.

"Les applications et réseaux sociaux qu'utilisent les dealers sont cryptés, donc on ne peut pas accéder à ces communications, etc... Donc c'est très dur pour remonter leur réseau."

Emilie Pistre, commandante de la gendarmerie départementale d'Abbeville

à franceinfo

Les autorités, elles aussi, ont des difficultés à juguler les trafics dans les campagnes. Souvent, les gendarmes ont affaire à des micros réseaux, des consommateurs-vendeurs qui revendent l'héroïne à une toute petite échelle. "Notre objectif, c'est déjà d'identifier où peut s'organiser le trafic de stupéfiants" analyse Emilie Pistre, la commandante de la gendarmerie départementale d'Abbeville, dans l'ouest du département de la Somme. "Forcément, notre zone rurale est moins concentrée qu'une zone urbaine, c'est donc dur d'appréhender le trafic, de savoir où peut se trouver le dealer, d'autant plus que les consommateurs sont plus dispersés", précise-t-elle. Pour Emilie Piste, "la difficulté des enquêtes, c'est que souvent maintenant, les plus jeunes passent par le biais des réseaux sociaux ou par des applications de type Snapchat par exemple". Les consommateurs passent en effet commande via les réseaux sociaux et se font livrer à domicile, même en zone rurale, c'est une nouveauté dans le département. Les saisies d'héroïne, elles, se multiplient, notamment à cause de cela. En un an, dans la zone d'Abbeville, ces saisies ont même doublé. 

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