Crise climatique : "En 2023, on a compté plus de 26 millions de déplacements provoqués par des catastrophes", alerte François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Temps de lecture : 6min
Vue aérienne d'Arroio do Meio dans l'État du Rio Grande do Sul, au Brésil, le 15 mai 2024. (NELSON ALMEIDA / AFP)

Depuis le début du mois de mai, des pluies diluviennes d'une violence extrême ont plongé dans le cauchemar l'État de Rio Grande do Sul, tout au sud du Brésil. Le "pire désastre climatique" jamais vu, a dit Eduardo Leite, le gouverneur de cet État frontalier avec l'Uruguay et l'Argentine. Des coulées de boue gigantesques, des maisons et voitures noyées à perte de vue, le bilan provisoire déplore 147 morts et 124 disparus. Les secours continuent aujourd'hui ; les opérations de sauvetages, de nettoyages ou de distribution d'eau et de nourriture concernent plus de deux millions de personnes et d'innombrables infrastructures sont détruites.

François Gemenne : Ce sont les inondations les plus graves dans l’histoire de cet État, qui ont déjà entraîné le déplacement de plus de 620 000 personnes depuis le début du mois de mai. Les catastrophes climatiques dans la région avaient déjà entraîné le déplacement de plus de 150 000 personnes l’an dernier. 

"À Porto Alegre au Brésil, le risque d’inondations est tel qu’on se demande s’il ne faudrait pas simplement délocaliser la ville !"

François Gemenne

à franceinfo

Ce projet assez fou est évidemment un processus très lourd, qui soulève aussi la question du droit, pour les gens, à ne pas être déplacés. Le cas le plus impressionnant concerne la capitale de l’Indonésie, Djakarta : il y a trois ans, le gouvernement indonésien a décidé de construire une nouvelle capitale, Nusantara, sur l’île de Bornéo. Les risques d’inondation étaient devenus trop importants à Djakarta, notamment à cause du risque de submersion lié à la hausse du niveau de la mer. Ils se sont donnés 15 ans pour mener le projet à son terme. Et Djakarta, c’est quand même plus de 10 millions d’habitants.

franceinfo : Des millions d’habitants pourraient être un jour contraints de quitter leur domicile à cause du changement climatique ?

 C’est déjà le cas, dans des proportions qu’on ne réalise pas bien. L’Observatoire des Situations de Déplacements Internes – en anglais, l’IDMC, qui est une ONG basée à Genève. Chaque année, cet observatoire compile le nombre de déplacements internes, donc à l’intérieur d’un même pays, qui sont provoqués par des catastrophes et par des conflits.

"Chaque année, le nombre de déplacements de populations liés aux catastrophes est plus important que le nombre de déplacements provoqués par des conflits."

François Gemenne

à franceinfo

Les chiffres pour l’année 2023 ont été publiés cette semaine, et c’est encore le cas : plus de 26 millions de déplacements provoqués par des catastrophes, contre 20 millions de déplacements liés à des conflits – alors même que 2023 a été une année particulièrement meurtrière, on n’a hélas pas besoin de le rappeler.

Quelles sont les zones du monde qui sont touchées ?

Ces chiffres énormes touchent en particulier certaines zones du monde. C’est assez variable selon les années, mais c’est clairement l’Asie du Sud et du Sud-Est qui enregistre généralement les niveaux de déplacements les plus importants. Le cyclone Mocha, par exemple, a provoqué plus de deux millions de déplacements : 1,3 million au Bangladesh, et 900 000 en Birmanie. Et pour compliquer les choses, le cyclone a notamment touché des camps de réfugiés rohingyas, qui avaient déjà été déplacés par les violences et les persécutions dans leur pays d’origine. Dans pas mal de cas, conflit et catastrophe se superposent, ce qui augmentent le risque pour les personnes d’être déplacées plusieurs fois ou de manière prolongée. En 2023, sur les 45 pays ayant enregistré des déplacements liés aux conflits, tous, sauf trois, ont aussi enregistré des déplacements liés aux catastrophes. C’est le cas notamment au Soudan, en Syrie, en Afghanistan, en Somalie ou encore au Nigéria.

Notez qu'on parle de déplacements plutôt que de déplacés, parce que les statistiques enregistrent le nombre de déplacements sur une année civile, et qu’il est possible qu’une même personne soit déplacée plusieurs fois. Donc le nombre de déplacements n’est pas tout à fait équivalent au nombre de personnes déplacées. 

"Le rapport de l’IDMC nous indique qu’au 31 décembre 2023, il y avait 7,7 millions de personnes qui restaient déplacées en raison de catastrophes dans 83 pays."

François Gemenne

à franceinfo

Souvent on mélange le nombre de personnes qui sont déplacées au cours d’une période, avec le nombre de personnes qui restent déplacées à une date précise. C’est très important, parce qu’il y a des cas où les personnes déplacées par des catastrophes peuvent rentrer chez elles relativement rapidement, et d’autres où elles restent déplacées très longtemps.

Faut-il inclure ces enjeux de migrations dans nos politiques d'adaptation ?

Évidemment ces catastrophes vont augmenter avec le changement climatique. Un des principaux effets du changement climatique est d’augmenter la fréquence et l’intensité des phénomènes extrêmes. Le tremblement de terre en Turquie, en février 2023, a déplacé 4 millions de personnes. Mais l’essentiel des déplacements ont été causés par des catastrophes climatiques : des sécheresses, des inondations, des cyclones, des incendies. Il faut donc que nous incluions ces enjeux de migration dans nos politiques d’adaptation.

Même en France, nous sommes concernés par ces déplacements de population. En 2022, les feux de forêts ont déplacé 45 000 personnes, par exemple. Un sondage effectué fin 2023 par Ipsos, et commandé par EDF, montre que 26% des Français pensent qu’ils devront quitter leur domicile dans les 10 prochaines années, à cause des impacts du changement climatique. Un quart des Français envisagent donc se trouver un jour dans cette situation : ce n’est plus un risque futur et lointain, c’est désormais une réalité qui peut tous nous concerner.

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