Procès du Carlton : comment parler d'ébats lors des débats ?
"Abattage ", "boucherie ", "carnage ", "hard, vraiment hard ", "partouze "... Inventaire non exhaustif du langage relevé pendant trois jours au procès du Carlton de Lille, lors des auditions de DSK qui pourraient le conduire à la relaxe. Autant de mots qui ne sont pas prononcés tous les jours dans un tribunal. Le président avait pourtant prévenu dès le début du procès : il voulait éviter le "graveleux ".
Et pourtant le sexe a été au cœur des débats. Mais les mots ne viennent pas facilement. Comme s'il y avait "ce sentiment de honte globale ", dont parle en fin de matinée jeudi, le délégué régional du mouvement du Nid, à la barre à propos de la prostitution :
Il parle de la honte des parties civiles, la honte des prévenus et de "ceux qui disent qu'ils ne savaient pas, ne voulaient pas savoir"
— clara beaudoux (@clarabdx) February 12, 2015
Le langage le plus cru c'est celui de Jade, ancienne prostituée partie civile dans ce procès, loin du langage plus aseptisé des prévenus. Elle n'a pas peur des mots. "Vous avez parlé à monsieur Strauss-Kahn ? ", lui demande le président. "Pas vraiment je l'avais en bouche " répond Jade du tac au tac. Ses descriptions fleuries aussi : "Ils sont tous sur un matelas dans tous les sens moi je me mélange pas à ça ", "Moi je suis agoraphobe, donc me retrouver dans un lit rond avec tous ces tas de corps, non ". Jade a son langage cru mais aussi ses quelques envolées presque lyriques. "L'enveloppe a été abîmée étant plus jeune et après on habite une enveloppe ", dit-elle par exemple sur son passé douloureux.
"Abattage", "boucherie"
Il y a ces mots revenus à de nombreuses reprises. "Abattage ", "boucherie ", utilisés par Jade, DSK a voulu plusieurs fois revenir dessus. En disant : "La pratique sexuelle pratiquée ce soir-là peut ne pas plaire à Jade, mais ça n'implique en rien qu'il y a avait des prostituées ". Ou encore : "Ce qui me surprend c'est ce terme d'abattage il revient plusieurs fois dans la procédure, je suis de l'avis de madame la procureure, quand un même terme revient deux, trois, quatre fois ça ne peut pas être un hasard, ça me paraît bizarre qu'il soit dans la bouche de tout le monde ".
"Empalement de l'intérieur" ou "sodomie"
Et puis il y a des mots qu'on ne dit pas. Les débats n'ont parlé que de cela pendant des heures sans jamais le prononcer. Chacun y allant de sa périphrase. "Je ne voulais pas cette pratique " dit Mounia, autre ancienne prostituée partie civile. "C'est difficile de dire certains mots ", concède-t-elle en pleurant. Jade prévient aussi : "Je vais essayer de prendre des propos généraux parce que je n'ai pas envie que mes proches sachent tout de ce genre de chose s". Elle décrit alors "un moment plus que désagréable quand j'ai tourné le dos à Mr Strauss-Kahn ". Elle parle ensuite de "cet empalement de l'intérieur qui me déchire dedans ", "on m'a rien demandé, on m'a empalé ".
Et puis mercredi, pour la première fois, l'avocate de DSK, interrogeant Jade à la barre, sort le mot pour savoir s'il y a "des pratiques sexuelles réservées aux prostituées " :
L'avocate de DSK a prononcé le mot "sodomie", jamais prononcé jusqu'ici, Jade pleure et ne veut plus répondre
— clara beaudoux (@clarabdx) February 11, 2015
Jade n'accepte pas que le mot soit dit, elle pleure et ne veut plus répondre, s'inquiétant de ce que ses collègues penseront la semaine prochaine. Comme si personne n'avait compris de quoi on parlait jusqu'ici. Le président lui fait d'ailleurs remarquer : "Vous en avez parlé, dans d'autres mots ", dit-il.
"Beau massage" ou "fellation"
On sent la gêne du fébrile David Roquet à ce moment-là à la barre. Il s'agit de savoir si Jean-Christophe Lagarde, le policier, savait que les filles étaient payées pour les soirées, qu'elles étaient donc des prostituées. David Roquet indique que oui, il lui a dit qu'il avait eu un "beau massage " de la part d'une fille. "Un beau massage ? On peut se méprendre, mais d'ailleurs est-ce qu'on peut se méprendre quand on dit ça entre vous, entre copains ? " demande la procureure, qui elle ne pèse globalement pas ses mots.
"C'est une fellation ? " demande-t-elle. "Ah j'emploie jamais ce mot-là ", répond David Roquet. Et répète "beaux massages ", à chaque fois accompagné d'un geste de ses mains, semblant englober quelque chose. Un "massage complet " dit-il. C'est lui qui parle aussi plusieurs fois de relations sexuelles, "mais pas des relations complètes ".
Puisqu'ils ne mettent pas les mots sur les choses, même entre eux, le président s'interroge : "Je veux savoir si c'est forcément évident pour Lagarde quand vous lui dîtes 'beau massage' qu'il comprenne 'une relation sexuelle' ? " Roquet ajoute : "Et je lui disais que j'étais content ".
"Dossiers", "copines", "matériel"
Au-delà des pratiques sexuelles, il y a bien sur la manière dont on parle des femmes dans cette affaire, dont les hommes parlent des femmes. On entend tour à tour "des dossiers ", "des copines ", "du matériel ", "un phénomène ", "des candidates " , voire un "-ça- t'intéresse ? "…
Ce langage que DSK et Paszkowski ont reconnu inconvenant au cours de l'audience. "Un langage peu châtié que je regrette " dit Paszkowski. Un "langage pas très adapté mais le tribunal sait que les SMS ne sont pas censés être lus en dehors du contexte, ils sont compactés, on se lâche facilement ", dit DSK. Dodo parle aussi de "cheptel " pour parler des filles. Enfin une prostituée a la sentiment d'être un "réceptacle ".
"Libertines rémunérées" ou "prostituées"
Enfin, il y a bien sur la prostitution, au cœur du débat. Là encore on tourne autour du pot. "Ça s'appelle comment des libertines rémunérées ? " demande le président à Paszkowski, "oui des prostituées " reconnaît-il difficilement. "Quand vous parlez d'escorts vous parlez de prostituées ? " demande-t-il à Mounia aussi, "oui " dit-elle.
Mais s'il y en a un qui précise, sciemment, les choses, c'est DSK. Sans nul doute le plus préparé pour ce procès, le plus briefé, cela faisait partie de sa défense que d'assumer ses pratiques sexuelles, non réprimées par la loi. Alors il précise ses propos, régulièrement : "Une soirée ludique, disons le mot, sexuelle ", ou encore "utiliser l'appartement à des fins personnelles, soyons clairs, recevoir des filles ". Il appelle un chat, un chat.
"Ecureuils", "poissons", "fouines"
En parlant d'animaux justement, ce sont parmi les notes récréatives de ces audiences. Ces quelques mots qu'on ne pensait pas pouvoir prononcer dans cette affaire : "écureuils " par exemple, à propos du tourisme que Jade a fait lors de son séjour à Washington. En terme animalier, on a eu aussi les poissons par DSK : "C'est comme les poissons volants, ça existe mais c'est pas le plus fréquent ", dit-il au sujet des hommes qui viendraient à des soirées libertines avec des femmes rémunérées. Il y a enfin les "fouines ", doux nom donné aux médias, l'avocate de DSK et Jade s'accordent sur ce point. Enfin il y a ces quelques mots qui sonnent rafraîchissants aux oreilles dans pareille audience :
Interrogée sur cette "femme maghrébine" lors de la soirée, sur les genoux de DSK, "ils avaient l'air d'être amoureux" dit Mounia
— clara beaudoux (@clarabdx) February 10, 2015
Elle a alors vu David faire "un smack" - "un sourire ?" demande le président - "non un bisous"
— clara beaudoux (@clarabdx) February 11, 2015
Revivez aussi ces journées d'audience minute par minute en tweets :
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