Colère des agriculteurs : le traité de libre-échange entre l'UE et le Mercosur remet le feu aux poudres malgré l'annonce d'aides
C'est "la ligne rouge à ne pas franchir". Alors que le monde agricole prépare "l'acte 2" de sa "révolution" mi-novembre, la perspective d'une conclusion du projet d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur (Paraguay, Uruguay, Brésil, Argentine et Bolivie) est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Les discussions sur cet accord, englué depuis 2019, ont repris ces derniers mois, sous l'impulsion, entre autres, de l'Allemagne et de l'Espagne. Et comme le note Le Monde, le sujet doit être mis sur la table lors de la réunion du G20, qui s'ouvre le 18 novembre à Rio de Janeiro, au Brésil.
"L'accord avec le Mercosur est le catalyseur de notre action. Il signe le retour de l'incohérence européenne", explique dans les colonnes du quotidien Arnaud Rousseau, président de la FNSEA. "Comment peut-on importer du bœuf, de la volaille et du maïs qui ne respectent pas nos normes ? On le prend comme une provocation", poursuit-il. "L'accord avec le Mercosur, c'est 99 000 tonnes de viande bovine importées en Europe, soit 8% des meilleurs morceaux consommés en Europe et provenant de pays d'élevage utilisant des antibiotiques, hormones de croissance ou insecticides interdits en France, avec une traçabilité quasi inexistante !", dénonce dans un tweet le puissant syndicat agricole.
"Ce traité est dangereux"
Déjà éprouvés par une année marquée par les intempéries, une loi d'orientation agricole suspendue et une épizootie de fièvre catarrhale ovine dévastatrice, les agriculteurs français, et plus particulièrement les éleveurs, craignent une concurrence déloyale avec des pays qui n'ont pas les mêmes règles environnementales et d'hygiène que la France. En Corrèze, où trois manifestations ont été organisées en l'espace de deux jours, la profession s'est réunie jeudi 7 novembre pour évoquer le Mercosur, comme le rapporte France 3 Nouvelle Aquitaine. "Ce traité est dangereux, autant pour l'agriculture que pour le consommateur. On va faire entrer des produits en France qui ne respectent pas les normes européennes. Pour nous, c'est la ligne rouge à ne pas franchir", expose Amélie Rebière, présidente de la Coordination rurale dans le département.
Les aides récemment accordées par le gouvernement n'ont pas suffi à rassurer. La ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, a présenté mardi à Fabrezan (Aude) deux outils de soutien à la trésorerie des agriculteurs les plus en difficulté, répondant ainsi à une demande forte de l'alliance syndicale FNSEA/Jeunes Agriculteurs. Début octobre, lors du Sommet de l'élevage dans le Puy-de-Dôme, le Premier ministre, Michel Barnier, avait annoncé des prêts garantis par l'Etat pour les exploitations touchées "par des difficultés graves et qui ont besoin d'oxygène", laissant à sa ministre de l'Agriculture le soin de détailler les modalités de ce dispositif.
Il n'empêche. Quelques mois après une large mobilisation du monde agricole, le mécontentement regagne la campagne. Alors que les appels à manifester sont légion pour la mi-novembre sur tout le territoire, Jérôme Bayle, éleveur bovin en Haute-Garonne, estime auprès de l'AFP que la signature de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur sera l'élément "qui fera exploser la colère".
"C'est vraiment un gros handicap pour la profession et même pour notre avenir, parce qu'on sait très bien qu'on ne luttera plus à armes égales."
Jérôme Bayle, éleveur bovin en Haute-Garonneà l'AFP
Selon l'agriculteur, cofondateur des "Ultras de l'A64", du nom de l'autoroute reliant Tarbes à Toulouse, bloquée pendant plusieurs semaines cet hiver, la mobilisation pourrait franchir un cap en cette fin d'année : "Quand on est dans la colère et dans la frustration, tout le monde peut dégoupiller très vite."
"Si le président dit que ce n'est pas acceptable, il faut qu'il le prouve"
Conscient du caractère inflammable de ce traité, le gouvernement se range officiellement du côté des agriculteurs. Le Mercosur est un "mauvais accord", a jugé Annie Genevard sur France 3, dimanche. "Cela va faire déferler sur notre pays une quantité de productions qui vont venir concurrencer directement nos producteurs (...) En plus, cela se fait au prix de la déforestation et de normes environnementales qu'on nous impose à nous et qui ne sont pas respectées chez eux." Vendredi, sur franceinfo, la ministre avait défendu sa stratégie : "Ce que nous devons faire avant l'adoption de cet accord international, c'est essayer de rallier à notre cause un maximum de pays" afin de mettre "un droit de veto" sur le traité.
Cette piste est travaillée à Bruxelles et à Strasbourg par les députés européens, "notamment ceux du PPE", le Parti populaire européen (centre droit). "Le Premier ministre lui-même, Michel Barnier, y travaille activement", a assuré Annie Genevard vendredi.
Les parlementaires français se mobilisent également, enchaînant les tribunes, comme dans Le Figaro, et les conférences de presse pour alerter sur le danger d'un accord avec le Mercosur. Mais le gouvernement a déclaré irrecevables deux propositions de résolution européenne du Rassemblement national et de La France insoumise sur le sujet. Les députés de la gauche et du RN ont toutefois adopté, lors de l'examen du budget vendredi, une taxe sur les importations de bovins. Un amendement voté contre l'avis du gouvernement. De quoi rendre sceptiques certains élus, comme le député (groupe Ecologiste et social) François Ruffin, sur les réelles volontés du chef de l'Etat, qui a déclaré mi-octobre que cet accord n'était "pas acceptable en l'état".
"Je crois que, dans la durée, Emmanuel Macron est un partisan du libre-échange. Je crois qu'il donne des gages parce qu'il y a une opinion publique qui est très défavorable (...) mais qu'en vérité, il ne mettra pas tout son pouvoir dans la balance pour aller contre ce qui est le fond de ce qu'il fait et pense depuis vingt ans."
François Ruffin, député de la Sommelors d'une conférence de presse, mardi
Les craintes sont identiques du côté de certains syndicats agricoles. Ils redoutent de voir l'accord UE-Mercosur simplement réécrit plutôt que jeté à la poubelle si la France réussit à convaincre d'autres pays de s'opposer au texte. Interrogée sur ce point, la ministre de l'Agriculture a répondu sur franceinfo : "Je n'en sais rien, mais il est clair que pour moi, la négociation ne peut pas exister sous la forme de compensations financières."
"Ça fait des années que c'est repoussé, mais tous les ans, [le traité] est remis sur la table. Soit c'est oui, soit c'est non", s'agaçait fin octobre auprès de France 3 Bourgogne Franche-Comté Emmanuel Aebischer, président de la FDSEA de Haute-Saône. "Si le président dit que ce n'est pas acceptable, il faut qu'il le prouve." Laurence Lyonnais, présidente de la Confédération paysanne du Doubs, prévenait de son côté : "La colère de l'année dernière n'a pas disparu et les problèmes de fond ne sont pas résolus. Il ne manque qu'une étincelle pour mettre le feu, et ce sera peut-être celle-là."
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