Elections européennes 2024 : comment la désinformation s'est invitée dans la campagne chez nos voisins européens

Article rédigé par Léa Deseille
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le nombre de fausses informations liées à l'Union européenne a largement augmenté lors de cette campagne. (GETTY IMAGES / THE NOUN PROJECT / PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
De très nombreuses fake news ont été propagées au cours des derniers mois au sujet de l'Union européenne. Alors que la campagne électorale touche à sa fin, franceinfo revient sur les principaux angles d'attaque choisis par les diffuseurs de désinformation.

Les fake news visant l'Union européenne n'ont jamais été aussi nombreuses que pendant ces deux derniers mois de campagne électorale. Tel est le constat dressé par l'Observatoire européen des médias numérique (EDMO), une plateforme indépendante, qui fédère des dizaines de médias spécialisés dans la lutte contre la désinformation, ainsi que des universités étudiant le phénomène. En mai, les fausses informations liées à l'UE ont atteint leur plus haut niveau depuis le début des mesures réalisées par l'EDMO il y a un an. Elles ont représenté 15% de la désinformation totale à laquelle se sont attaquées les rédactions partenaires de l'organisme. Le record établi en avril a été dépassé.

Cette épidémie de fake news possède ses caractéristiques propres, selon Vincent Couronne, directeur des Surligneurs, un média spécialisé dans le fact-checking juridique. "Les auteurs de désinformation ont compris que les élections européennes n'intéressaient pas réellement les citoyens, estime-t-il. Alors, ils se basent sur des événements nationaux et les relient à l'Union." De quoi nourrir l'idée que les problèmes des Etats sont liés à l'Union européenne.

Les créateurs et les propagateurs des thèses trompeuses ont aussi leurs thèmes de prédilection. Ils "s'appuient sur des fractures européennes pour alimenter leur discours", développe Vincent Couronne. Ces angles d'attaque apparaissent à la lecture des comptes-rendus produits par l'EDMO et l'European Fact-Checking Standard Network (EFCSN), un réseau européen de rédactions engagées dans la lutte contre la désinformation. Franceinfo a identifié cinq thèmes récurrents, sans prétendre à l'exhaustivité.

1 Des attaques généralisées contre le Pacte vert

Les fausses informations portant sur le climat, l'environnement et les politiques écologiques européennes ont représenté à elles seules 6% de l'ensemble des infox propagées en mai, selon le rapport d'EDMO publié jeudi 6 juin. Le "Green Deal", Pacte vert européen, est dans leur viseur. En Lettonie circule l'idée que ce pacte serait inutile, voire dangereux. Le député letton Edmunds Zivtins, classé à droite, est allé jusqu'à assurer que la diminution du CO2 dans l'air mènerait à la disparition des arbres sur Terre. "La voie verte que le Parlement européen prône en ce moment est complètement fausse", a-t-il argué. 

Cette déclaration fait partie d'une longue liste d'affirmations trompeuses sur le Pacte vert européen. Dans plusieurs pays, comme en Espagne, certains ont tenté de démontrer que les alternatives écologiques aux énergies fossiles étaient dangereuses. Contredites par le média polonais Demagog, ces allégations avaient déjà été partagées pendant les manifestations des agriculteurs de mars dernier. Lors de ce mouvement qui a été suivi dans nombreux pays membres, plusieurs fake news ont circulé. En Italie, le média de vérification Facta a "débunké" des contenus laissant penser que les agriculteurs étaient payés par l'Etat pour abandonner leurs terres.

Selon un rapport de l'EFCSN publié en mai, 81,6% des fausses informations sur cette thématique ont été postées par des politiciens d'extrême droite, lors des manifestations d'agriculteurs. Selon l'EDMO, ces mouvements ont renforcé l'idée que l'Union européenne met à mal les politiques agricoles nationales au profit du respect de l'environnement. 

2 L'UE accusée de multiplier des normes qui font flamber les prix

Les critiques sur les normes imposées par l'Union européenne sont elles aussi récurrentes. Elles sont revenues en force lors de cette campagne électorale. En Pologne, le député Jaroslaw Sellin, du parti d'opposition de droite Droit et Justice, a faussement affirmé que l'UE produisait "une directive une fois par semaine et un règlement deux fois par jour, samedi et dimanche compris", comme l'a rapporté le média Demagog

Des centaines de normes produites, qui seraient parfois absurdes. D'autres rumeurs laissent ainsi penser que Bruxelles souhaite interdire l'air dans l'emballage des chips ou exiger le même degré de courbure des bananes. En Estonie, le média EestiPaevaleht s'est attaqué à l'idée que l'UE voudrait introduire l'euro numérique dans le but de surveiller la population. "L'idée est de discréditer l'Union européenne et ses institutions", note Vincent Couronne. 

En plus d'imposer des normes, l'Union est accusée de faire gonfler les factures des Européens. Par exemple, en Pologne, le député de droite Janusz Kowalski, du parti Pologne souveraine, a assuré que "40 à 50% de la facture d'électricité sont constitués d'écotaxes européennes". Un calcul faux, selon le média polonais Demagog. 

En Bulgarie, la députée de centre droit Pavela Mitova a accusé l'Union européenne d'être responsable du déclin économique de son pays. "Ce type de politique [de réduction des émissions dans le cadre du Green Deal] conduira la Bulgarie à passer du statut d'exportateur net à celui d'importateur net, et nous le constatons déjà", a-t-elle déploré. Selon le travail de vérification du site bulgare Factcheck, l'élue se trompe et impute à l'Union la responsabilité d'une réalité bien plus complexe.

3 Le Pacte migratoire, autre cible privilégiée

Voté en avril, le Pacte migratoire est source de tensions et objet d'infox dans nombre de pays européens. En Lettonie, le média Rebaltica a vérifié les déclarations de plusieurs politiciens qui avaient assuré que tous les pays européens seraient contraints d'accueillir 100 000 migrants, sans quoi, ils se verraient imposer une amende de 2 millions d'euros. Une fake news similaire a été diffusée en Slovaquie, comme l'a rapporté Euractiv.

La Pologne apparaît comme "l'un des pays les plus sensibles à la question de l'immigration", selon l'EDMO. Les infox s'y sont multipliées. Plusieurs internautes ont assuré que le Premier ministre, Donald Tusk, à la tête d'une coalition de gauche démocrate, avait voté pour le Pacte migratoire. Le but étant de ternir l'image du chef du gouvernement auprès de son électorat, alors qu'il a affiché à l'inverse une ligne de fermeté en matière d'immigration. 

D'innombrables fausses informations circulent à propos de l'immigration. Ces infox présentent les migrants comme violents ou criminels, comme en Espagne, où des vidéos détournées ont circulé, rapporte le média espagnol Maldita. Ou diffusent la rumeur d'une Union européenne prête à autoriser une immigration incontrôlée. En Espagne, Jorge Buxadé Villalba, la tête de Liste du parti d'extrême droite Vox, a parlé d'une "politique d'immigration qui a ouvert grand ses portes et nous oblige à vivre retranchés dans nos maisons". Santiago Abascal, président du parti, a assuré que Bruxelles avait forcé l'Espagne "à ouvrir toutes les frontières". Des propos erronés, mais très relayés. "Les politiques sont parmi les premiers à diffuser de la désinformation", souligne Vincent Couronne. 

4 Des fake news sur le vote pour "démobiliser les électeurs"

C'est la grande fake news de la campagne électorale en Allemagne. Depuis des mois, de nombreuses rumeurs ont circulé sur le processus électoral outre-Rhin : de multiples publications incitent les électeurs à inscrire leur nom sur le bulletin pour éviter la fraude électorale, assurent que le vote par correspondance n'est pas sûr, qu'il est possible de voter plusieurs fois, ou encore que l'élection est faussée car l'urne non scellée, énumère le média Correctiv. Toutes fausses, ces allégations ont été largement partagées dans le pays.

Si bien que la théorie a voyagé jusqu'en Espagne. Depuis quelques jours, le même type d'informations y circule. Certains Espagnols assurent qu'il suffit d'inscrire un pourcentage sur son bulletin de vote pour que le vote soit comptabilisé deux fois. "Ces théories sont assez classiques et reviennent à chaque élection, note Vincent Couronne. L'idée est de démobiliser les électeurs, en laissant penser que l'Union n'est pas démocratique et que voter n'est donc pas utile." 

D'autres allégations vont dans ce sens. En Italie, Carlo Calenda, sénateur libéral, a assuré que les Italiens n'avaient pas d'influence à Bruxelles. "Au Parlement européen, l'Italie est aujourd'hui 25e sur 27 pays en termes d'influence, et pourtant, nous sommes le troisième pays le plus grand et le plus puissant en termes économiques." Un chiffre véridique, mais, selon le média Pagella Politica, cette faible influence est liée à un manque d'investissement des eurodéputés italiens. 

5Les acteurs politiques de l'UE pris pour cibles

Eurodéputés, Etats, institutions... A en croire les fake news qui circulent, tous seraient corrompus. Cette idée a été popularisée au sein des Vingt-Sept. En Slovénie, Ales Hojs, ancien ministre de l'Intérieur, a affirmé à tort que seuls quatre pays de l'Union disposaient d'une commission anticorruption. Au Portugal, une image d'Ursula von der Leyen en état d'arrestation a été largement diffusée. Ce cliché a été généré grâce à l'intelligence artificielle dans le but de nuire à l'image de la présidente de la Commission. 

Ce type d'attaques s'est multiplié dans l'Union. En Allemagne, en pleine campagne électorale pour les européennes, plusieurs publications ont affirmé que le gouvernement avait décriminalisé la pédopornographie. A l'origine de cette fausse nouvelle, une proposition de modification législative pour "éviter que des personnes recueillant des preuves – parfois pour dénoncer des pédocriminels – soient inculpées automatiquement", ce qui est le cas actuellement, décrypte l'AFP. Ici, le but est d'assimiler le gouvernement allemand à des pédocriminels. 

Fin mai, le Parti social-démocrate allemand (SPD) a été victime d'un détournement. L'une de ses affiches de campagne pour les européennes a été retouchée. Une manipulation censée faire croire que la formation politique faisait siens les codes du nazisme, a rapporté le média Correctiv. A chaque fois ou presque, le même schéma : "Cette désinformation est créée et diffusée par des acteurs locaux, mais elle est ensuite reprise par des acteurs malveillants, qui peuvent être étrangers, pour la rendre virale et nuire aux victimes", énonce Vincent Couronne.

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