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Elections régionales 2021 : ce que l'on sait des ratés dans la distribution des professions de foi avant le premier tour

L'entreprise privée Adrexo était chargée d'envoyer la propagande électorale aux côtés de La Poste. Mais des dizaines de milliers d'électeurs ont été privés des documents leur permettant de faire un choix éclairé. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Un électeur dans un bureau de vote dans le 11e arrondissment de Paris, lors du premier tour des élections départementales et régionales, dimanche 20 juin 2021.  (DELPHINE LEFEBVRE / HANS LUCAS / AFP)

Il y a des analyses qui font l'unanimité. Au lendemain du premier tour des élections régionales et départementales, les politiques et commentateurs de tous bords s'accordent à pointer des "dysfonctionnements" dans l'organisation du scrutin. Les regards inquisiteurs se tournent vers la société Adrexo, dont les représentants ont été convoqués au ministère de l'Intérieur, lundi 21 juin, à 10 heures.

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Chargé conjointement avec La Poste d'assurer l'envoi dans les boîtes aux lettres de la propagande électorale, l'opérateur privé est accusé d'avoir failli à sa mission, privant ainsi des dizaines de milliers de Français des traditionnelles professions de foi leur permettant de faire un choix éclairé. Alors que ce premier tour a été marqué par un taux d'abstention record de 66,1%, franceinfo revient sur ces couacs logistiques aux possibles conséquences démocratiques.

Combien de personnes n'ont pas reçu leur propagande électorale ?

Les deux prestataires chargés de la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales, La Poste et Adrexo, vont devoir s'expliquer place Beauvau, a annoncé la ministre déléguée Marlène Schiappa, dimanche soir, sur France 2 : "Il y a 50 millions de plis qui ont été confiés à La Poste. La Poste nous déclare avoir livré 100% de ces plis, 42 millions de plis ont été confiés à Adrexo. (...) Ils nous disent que 1% de ces plis n'ont pas été livrés", a-t-elle détaillé. "Il y a donc environ 21 000 électeurs qui n'ont pas reçu la propagande. C'est 21 000 électeurs de trop", a poursuivi Marlène Schiappa, ajoutant que l'exécutif était "scandalisé".

Dans la semaine précédant le scrutin, plusieurs candidats et partis se sont plaints de problèmes dans l'acheminement des professions de foi. Dans son département, le Nord, le député Adrien Quatennens (La France insoumise) avait notamment évoqué des plis électoraux mis à la poubelle ou regroupés dans une seule boîte aux lettres, photos à l'appui. Jean-François Pyl, candidat LFI pour les départementales dans le canton de Lille 4, racontait à France 3 Hauts-de-France être tombé sur "au moins une centaine de plis non distribués".

Dans le Loiret, près d'Orléans, des promeneurs ont découvert près de 200 enveloppes de professions de foi de candidats jetées dans une forêt, rapportait France Bleu. Fin mai déjà, quelque 350 enveloppes contenant des professions de foi étaient découvertes en partie incendiées ou cachées sous les ronces dans la forêt d'Hérimoncourt (Doubs), révélait L'Est républicain. Enfin, nombreux sont les responsables politiques à avoir partagé des photos d'enveloppes laissées en vrac dans les halls d'immeuble.

Ainsi, les chiffres avancés par Marlène Schiappa sur le plateau de France 2 – "déclaratifs", a-t-elle concédé – ont semblé sous-évalués aux yeux des autres personnalités politiques présentes autour de la table, à commencer par Alexis Corbière (La France insoumise) ou Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts). "Si on pouvait arrêter de privatiser la démocratie, ça irait un peu mieux", a commenté ce dernier.

Que sait-on du prestataire privé Adrexo ?

Autrefois, La Poste assurait seule la distribution des professions de foi. Depuis le 1er janvier 2021, et pour une durée de quatre ans, une partie de la distribution de ces plis a été confiée à Adrexo. Sélectionné à la suite d'un appel d'offre, l'opérateur privé est chargé de la distribution en Auvergne-Rhône-Alpes, en Bourgogne Franche-Comté, en Centre-Val de Loire, dans le Grand Est, dans les Hauts-de-France, en Normandie et dans les Pays de la Loire.

Sur son site internet, cette société, dont le siège social se trouve à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), se présente comme le "leader privé de la communication locale et spécialiste du média courrier depuis 1979". Elle emploie "20 000 collaborateurs en France dont 17 000 distributeurs en CDI à temps partiel", lesquels assurent "la distribution d'imprimés publicitaires en boîte à lettres", autrement dit des prospectus. Mais au moment de décrocher ce contrat, l'entreprise va mal. Elle se trouvait "au bord du dépôt de bilan il y a encore quelques mois", écrivait L'Humanité début juin. "Ce contrat a permis de sauver l'entreprise", estimait alors une déléguée syndicale FO d'Adrexo, cité par le quotidien.

Interrogé sur ce choix par un sénateur en avril, dans le cadre d'une question écrite, le ministère de l'Intérieur se défendait d'un risque quelconque, mettant en avant "le suivi des prestations à travers des rapports quotidiens lors des semaines précédant les élections" permettant "de s'assurer de la qualité de la réalisation des prestations demandées". "Il semblerait totalement anachronique d'empêcher l'Etat d'externaliser la distribution de la propagande jusqu'aux boîtes aux lettres des électeurs, secteur qui est aujourd'hui ouvert à la concurrence, alors même que l'Etat s'efforce d'optimiser ses ressources dans le cadre d'une politique générale de meilleure gestion des deniers publics", ajoutait la place Beauvau.

Comment expliquer de tels couacs ?

Dès mercredi, le ministre de l'Intérieur avait prévenu qu'il demanderait que l'appel d'offres remporté par Adrexo soit remis en question, avant de les accuser devant le Sénat d'avoir "particulièrement mal distribué une partie de la propagande électorale". Gérald Darmanin avait même présenté les "excuses" du gouvernement qui lui a délégué cette distribution.

Interpellée dès mercredi sur Twitter par une élue écologiste à la mairie du Mans (Sarthe), l'entreprise s'était défendue, expliquant que leurs "équipes sur le terrain [étaient] en train de procéder à l'ensemble des livraisons dans les délais qui sont prévus pour cela".

Or, en janvier, quand le prestataire avait été désigné, la CGT de La Poste avait émis des doutes sur la capacité de l'opérateur privé à assurer cette mission. "La période électorale est toujours un temps fort à La Poste et mobilise les 70 000 facteurs, vrais professionnels de la distribution 6 jours sur 7 et sur l'ensemble du territoire", avait-elle prévenu, s'interrogeant sur la capacité d'Adrexo à relever le défi avec "seulement 17 300 distributeurs dont le métier n'est pas forcément la distribution adressée". Selon un élu syndical cité par BFM TV, des milliers d'intérimaires ont ainsi été recrutés en urgence pour renforcer les équipes d'Adrexo, composées de salariés à temps partiel.

L'un d'eux, âgé de 21 ans et interrogé après la découverte des bulletins abandonnés dans le Doubs, a déclaré aux enquêteurs s'être débarrassé des enveloppes après avoir réalisé qu'il n'arriverait pas à finir sa tournée à temps, a révélé L'Est républicain. "On ne peut pas obtenir des résultats corrects avec des gens qui ne sont pas formés", a réagi le sénateur LR Cédric Perrin, dont certaines de ses professions de foi ont fini sous les ronces. "Quand j'étais étudiant, j'ai travaillé à La Poste : quand vous ne connaissez pas un secteur, c'est compliqué de le découvrir en une demi-journée", a-t-il déclaré sur Public Sénat.

Lundi, Adrexo a reconnu que "la gestion opérationnelle de cette mission a connu des perturbations en mai", affirmant avoir été "victime" d'une "cyberattaque". Selon une source syndicale citée par BFM TV, cette cyberattaque a engendré des retards de paie de ces intérimaires, provoquant des départs en pagaille. "Avec la résolution de cet incident, Adrexo s'est organisée pour permettre à ses équipes de distribuer dans les meilleures conditions malgré les fortes contraintes informatiques et opérationnelles", a ajouté l'entreprise lundi, assurant avoir "stabilisé ses systèmes d'informations" en vue du second tour.

Ces dysfonctionnements seront-ils réglés pour le second tour ?

"Nous verrons ce qu'il se passe pour le second tour et (...) s'il y a des sanctions" à l'encontre du prestataire, a poursuivi Marlène Schiappa sur France 2. Dans un communiqué publié lundi matin, le ministre de l'Intérieur fait savoir "que tous les enseignements des erreurs commises seront tirés au lendemain du second tour". En attendant, Gérald Darmanin "a demandé expressément" aux deux prestataires "de garantir que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent pas pour le second tour" et les a "enjoint de prendre toutes les mesures afin de rétablir un service normal" et de proposer "des mesures fortes pour améliorer très concrètement l'information des électeurs".

Dans ce but, le secrétaire général du ministère de l'Intérieur, Benoît Albertini, a écrit dimanche matin aux préfets afin de leur demander d'assurer "une supervision effective et systématique de la mise sous pli". Il leur demande de "détacher un agent de la préfecture sur les lieux où sont organisées ces opérations pour en vérifier la qualité". Les préfets devront par ailleurs "mettre en place une cellule opérationnelle de suivi de la distribution de la propagande électorale sur tout le ressort départemental (le cas échéant au niveau des sous-préfectures pour un suivi fin)". Il leur est aussi demandé de "donner suite directement et dans les délais les plus brefs aux signalements (...) pour que les correctifs nécessaires soient définis et mis en œuvre au maximum sous 24 heures et en tout état de cause à la plus prochaine tournée de distribution".

Enfin, les préfets devront "mettre à disposition des élus un numéro de téléphone et une boîte fonctionnelle dédiée qui sera relevée en permanence pour traiter ces signalements" et un "point national sera réalisé deux fois par jour par le ministère de l'Intérieur pour traiter dans les plus brefs délais les incidents signalés".

Pour sa part, Adrexo a annoncé lundi matin la mise en place d'"un suivi de campagne spécifique au niveau local" via la création d'une "cellule d'accompagnement dédiée, à destination des préfectures, sous-préfectures et mairies et des procédures de suivi des distributions localement renforcées".

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