Elections européennes : sondages en berne, divisions internes et RN en embuscade... Pourquoi le doute s'empare de la majorité présidentielle
"Ça va être un carnage", souffle un député Renaissance en pensant aux élections européennes du 9 juin prochain. A moins de quatre mois de l'échéance, un vent de panique parcourt les troupes de la majorité. Lundi 19 février, la campagne des macronistes n'a pas vraiment débuté, aucune personnalité ne s'impose pour mener leur liste et l'"effet Gabriel Attal" espéré tarde à se faire sentir. Résultat, sondage après sondage, la majorité présidentielle ne parvient pas à combler son retard sur la liste du Rassemblement national, menée par Jordan Bardella.
Peu importe le nom de la tête de liste proposée aux sondés, le parti d'Emmanuel Macron accuse entre 9 et 13 points de retard, selon les trois derniers sondages réalisés en février par Elabe (fichier PDF), l'Ifop (fichier PDF) et YouGov. "Un petit gouffre qui reflète d'abord la dynamique nationale", constate, désabusé, un conseiller ministériel. "Il faudrait un sérieux alignement des planètes pour qu'on arrive à faire jeu égal en juin avec le RN, mais on peut se rapprocher", espère une députée du parti présidentiel. "Je ne vois pas la dynamique des sondages s'inverser", se gargarise au contraire un cadre du RN, qui vise la barre "symbolique" des 30%, avec dix points d'avance sur la majorité.
"Notre tête de liste, c'est Emmanuel Macron"
"Il y a urgence à prendre la campagne européenne au sérieux. (...) Si on ne le fait pas, notre résultat sera la moitié de celui du RN", a prévenu sur le plateau du "Grand Jury" (RTL/Paris Première/M6/Le Figaro) l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, soutien de la majorité, le 11 février. Après une séquence d'un mois marquée par un long remaniement en deux parties et par la colère des agriculteurs, qui a dicté le tempo de l'action gouvernementale, les troupes réclament un nouveau souffle. "On a beaucoup d'inquiétude par rapport au délai de démarrage" de la campagne, concède sous couvert d'anonymat un parlementaire Renaissance.
"Les autres sont déjà ancrés dans le paysage, pas nous."
Un député Renaissanceà franceinfo
Les principaux candidats des différentes forces politiques se sont effectivement mis en ordre de marche ces dernières semaines et occupent le terrain : Raphaël Glucksmann pour le PS, François-Xavier Bellamy pour LR, Marie Toussaint pour les écologistes, Manon Aubry pour LFI ou encore Marion Maréchal pour Reconquête. Jordan Bardella a même annoncé un grand meeting pour le lancement officiel de la campagne du RN, le 3 mars, à Marseille. En face, la majorité peine à se structurer et n'a toujours pas de tête de liste. Certes, en 2019, Nathalie Loiseau n'était sortie du bois qu'en mars, mais le contexte était très différent. A l'époque, le camp Macron était légèrement en avance dans les intentions de vote en février, avant de finir un point derrière le RN au soir du vote.
Cette année, la majorité avait prévu d'officialiser sa tête de liste plus tôt, avant de repousser l'échéance. Mais l'exécutif peine encore à trouver le profil idoine. L'eurodéputée Valérie Hayer ? L'ex-journaliste Bernard Guetta ? L'ancien porte-parole du gouvernement Olivier Véran ? L'ex-ministre de l'Agriculture Julien Denormandie ? Désigner une tête de liste bien identifiée pourrait mobiliser l'électorat macroniste. Mais "ils ont choisi de mettre en avant le Premier ministre, ils considèrent que c'est presque lui la tête de liste", relativise le politologue Benjamin Morel.
"Je ne crois pas à l'effet tête de liste. Quand ils testent différentes hypothèses, ça varie d'un petit point."
Un conseiller ministérielà franceinfo
"Ça ne changera rien, car Emmanuel Macron et Gabriel Attal vont gérer eux-mêmes la campagne", confirme un député de la majorité. "Au fond, notre tête de liste, c'est Emmanuel Macron, parce que c'est à la fois un président de la République qui fait avancer l'Europe et qui protège la France dans l'Europe", argumente le député Renaissance Antoine Armand. "Les européennes, c'est son dernier combat. Il faut le mettre au centre de l'arène, lui faire faire un [grand meeting à] Bercy", répète depuis des semaines un proche du chef de l'Etat.
Une arme "anti-Bardella" déjà enrayée ?
Ils sont plusieurs à miser sur l'engagement des deux têtes de l'exécutif dans la dernière ligne droite. "La campagne est encore longue et les européennes se jouent dans les trois dernières semaines", relativise un conseiller ministériel. Avec l'arrivée de Gabriel Attal à Matignon, présentée par la majorité comme la réponse parfaite à la popularité montante de Jordan Bardella, le scrutin continental se dispute plus que jamais sur le ring national. Mais tous, au sein de la majorité, ne sont pas convaincus par l'apport du nouveau Premier ministre : "Entre le storytelling de Gabriel Attal et celui de Jordan Bardella, les Français vont choisir celui de Bardella", souffle un élu macroniste.
En cinq semaines à Matignon, "l'arme anti-RN" semble s'être enrayée, du moins dans les enquêtes d'opinion. La cote d'approbation du Premier ministre, observée par Ifop-Fiducial pour Sud Radio et Paris Match, baisse de quatre points en un mois, de 51% à 47%. "La durée moyenne de la popularité d'un Premier ministre sous la Ve République est très courte", prévient le politologue Benjamin Morel. Cette petite alerte sondagière intervient alors que le Premier ministre multiplie les déplacements sur le terrain : dans les exploitations agricoles, sur les chantiers, auprès des personnes touchées par les inondations dans le Pas-de-Calais… Une agitation permanente qui se double d'une volonté frénétique d'"assumer" les choix politiques entrepris depuis sa nomination.
Au-delà de cette communication offensive, certains s'interrogent sur la direction prise par l'exécutif. "Sur le papier, la majorité a une stratégie, mais elle est mal exécutée. On voit beaucoup d'errements", poursuit Benjamin Morel. Selon lui, le départ d'Elisabeth Borne et l'arrivée de Gabriel Attal avaient pour objectif de "solder la séquence de la loi immigration et d'ouvrir une nouvelle page du quinquennat". Sur la méthode, le gouvernement souhaite désormais privilégier la voie réglementaire et non législative pour agir rapidement, dans divers domaines, comme l'Education. Il mise aussi sur la dynamique des européennes pour maintenir l'unité du camp présidentiel.
Mais le virage à droite du gouvernement de Gabriel Attal, associé à la difficile séquence du remaniement, qui a notamment vu François Bayrou exprimer publiquement des désaccords de fond, a fragilisé les plans. La majorité semble de plus en plus divisée, comme l'illustre le transfert de deux députés du groupe Renaissance à celui d'Horizons, le parti d'Edouard Philippe, révélé par Le Figaro . Et une partie des parlementaires se crispe devant le choix du gouvernement de mettre au second plan le Parlement.
"Nos adversaires sont idiots", s'amuse le RN
Dans le même temps, certains parlementaires confient une gêne face au changement d'attitude de l'exécutif vis-à-vis du RN. Lorsqu'elle était à Matignon, Elisabeth Borne avait insisté sur la nécessité de rechercher des alliances "au sein de l'arc républicain" à l'Assemblée nationale, en excluant sans les nommer La France insoumise et l'extrême droite. "Moi, je considère que l'arc républicain, c'est l'Hémicycle", défend pour sa part Gabriel Attal, dans des propos rapportés début février par Le Monde .
"C'est normal que Gabriel Attal traite [prenne en compte] le RN, mais qu'il ne nous demande pas de faire des compromis avec eux."
Un député Renaissanceà franceinfo
"Je pense que l'on a beaucoup surinterprété les propos sur le RN. Je les vois, en gros, comme une validation de leur représentation dans les instances comme les 'rencontres de Saint-Denis' ou le bureau de l'Assemblée nationale" , évacue Mathieu Lefèvre, un autre député Renaissance. Emmanuel Macron a lui-même jugé "tout à fait normal" qu'il puisse y "avoir des discussions" avec le RN à l'Assemblée . "Je ne comprends pas la stratégie de nos adversaires de parler de nous H24, ils sont idiots, sourit un cadre du RN. Ils nous mettent au centre du jeu à chaque fois. (...) On parle encore de nous et plutôt en bien, ils sont obnubilés par nous."
Au-delà des mots, le parti d'extrême droite voit dans le vote de la loi immigration, nettement durcie par rapport au texte initial, la validation d'une partie de ses idées. "On est à chaque fois le groupe pivot", renchérit le cadre du RN cité plus haut, qui se réjouit de voir la majorité afficher des fragilités avant les européennes. Pour le camp présidentiel, il reste moins de quatre mois pour s'éviter une déroute.
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