Présidentielle 2022 : quels seraient les pouvoirs de Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen si Emmanuel Macron devait nommer l'un d'eux Premier ministre ?
Le candidat de La France insoumise et de l'Union populaire fait miroiter la possibilité d'une cohabitation avec Emmanuel Macron pour mobiliser avant les élections législatives de juin. Une échéance que le Rassemblement national voit comme un "troisième tour" de la présidentielle.
"Je demande aux Français de m'élire Premier ministre". Par cette formule étonnante, Jean-Luc Mélenchon a lancé la campagne des élections législatives, mardi 19 avril, avant même le verdict du second tour de l'élection présidentielle. Plus que jamais, l'idée que l'élection des députés représenterait un "troisième tour" séduit l'opposition. Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, l'a évoquée dimanche soir, à peine la défaite de Marine Le Pen reconnue, sans aller cependant jusqu'à imaginer sa candidate à Matignon.
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L'élection d'une majorité opposée au président de la République est devenue improbable depuis que les élections présidentielles et législatives se déroulent systématiquement à quelques semaines d'intervalle. Mais la défiance envers Emmanuel Macron semble pousser l'opposition à y croire et invite à se plonger dans les souvenirs des précédents cohabitations. S'ils remportaient les législatives, Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen pourraient-ils vraiment appliquer leur programme présidentiel sous les yeux d'un Emmanuel Macron impuissant ?
Une capacité de blocage limitée pour le président
Pour cela, il faudrait déjà que le chef des "Insoumis" ou la patronne du RN accèdent à Matignon. La Constitution est claire : c'est le président qui nomme le chef du gouvernement. Les ministres, eux, sont également nommés par le chef de l'Etat, sur proposition du Premier ministre : ce n'est pas pour rien que leurs noms sont annoncés sur le perron de l'Elysée. Mais en pratique, Emmanuel Macron n'aura aucun moyen d'imposer son choix, explique à franceinfo Dominique Rousseau, professeur de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : "L'article 49 de la Constitution précise que le Premier ministre doit avoir la confiance du Parlement. S'il (Emmanuel Macron) nommait Richard Ferrand, par exemple, ce dernier serait immédiatement renversé par l'Assemblée nationale", via une motion de censure.
Par le passé, aucun président privé de majorité à l'Assemblée nationale n'a tenté une telle manœuvre. "Il peut y avoir des discussions sur certains ministères, on sait que ça a été le cas entre Mitterrand et Chirac", rappelle le constitutionnaliste. "Mais tout dépend du rapport entre le président et le Premier ministre. Si c'était Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, je suppose qu'ils ne feraient aucun cadeau à Emmanuel Macron".
Une fois à Matignon, Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen auraient en main l'essentiel du pouvoir. "Si Jean-Luc Mélenchon est élu Premier ministre, il peut signer des décrets pour le blocage des prix, pour augmenter le smic", faisait notamment miroiter l'Insoumis Manuel Bompard sur CNews, dimanche. C'est vrai : le président ne peut pas empêcher le Premier ministre et le gouvernement de gouverner, par des lois ou des décrets. Ils pourraient ainsi concerner la mise en place de la retraite à 60 ans promise par Jean-Luc Mélenchon ou la baisse de la TVA sur les carburants.
Dominique Rousseau rappelle qu'entre 1997 et 2002, "Chirac n'a pas pu empêcher les 35 heures, le Pacs ou la Couverture maladie universelle". En 1986, François Mitterrand avait refusé de signer certaines ordonnances prises par Jacques Chirac, alors Premier ministre, mais il n'avait que freiné l'action du gouvernement : "Chirac avait transformé ses ordonnances en lois, qui avaient été adoptées, et Mitterrand avait dû les promulguer". Pour qu'une loi s'applique, elle doit en effet être promulguée par le chef de l'Etat, mais s'il refusait de le faire, "il pourrait faire l'objet d'une procédure de destitution, pour manquement grave à sa charge", estime le constitutionnaliste.
Une Constitution très difficile à réviser
Marine Le Pen comme Jean-Luc Mélenchon seraient cependant rapidement confrontés à un obstacle critique : la difficulté de modifier la Constitution. Pourtant, des mesures centrales de leurs programmes en dépendent. Marine Le Pen ambitionne de la modifier via un référendum pour y inscrire la priorité nationale et pour permettre "d'arrêter l'immigration incontrôlée". Le candidat de La France insoumise, lui, veut même convoquer une assemblée constituante pour la réécrire et mettre en place une VIe République.
S'ils avaient été élus présidents, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon projetaient pour ce faire d'utiliser l'article 11, qui permet de soumettre au référendum certains projets de loi. Problème : la plupart des constitutionnalistes s'accordent pour dire qu'une utilisation de cet article pour une révision serait censurée par le Conseil constitutionnel. L'utilisation de l'article 11 est par ailleurs l'un des rares cas de figure où le président peut mettre des bâtons dans les roues du Premier ministre : "Emmanuel Macron pourrait soit s'y opposer, soit saisir le Conseil Constitutionnel qui, selon toute vraisemblance, déclarerait anticonstitutionnelle" cette manœuvre, juge Dominique Rousseau.
La voie classique de la révision de la Constitution est l'article 89. Mais il nécessite de faire adopter le projet en des termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat. Même dans l'hypothèse d'une cohabitation, le Sénat resterait contrôlé par la droite et un changement de majorité dans les cinq ans serait très improbable. Face à ces impasses, la VIe République voulue par Jean-Luc Mélenchon et le référendum sur l'immigration souhaité par Marine Le Pen semblent condamnés. Tout comme la mise en place du référendum d'initiative citoyenne (RIC), proposé par les deux candidats.
La dissolution comme menace
Dans ce scénario, le président de la République conserverait une arme : la dissolution de l'Assemblée nationale. Un pouvoir qu'il est le seul à détenir : s'il doit d'abord consulter le Premier ministre et les présidents des deux chambres du Parlement, il n'est pas contraint de suivre leurs avis. Si Emmanuel Macron, confronté à une victoire de l'opposition aux législatives, refusait de nommer Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon à Matignon, "il pourrait prendre le pays à témoin, dissoudre l'Assemblée et essayer d'obtenir une majorité qui lui soit favorable", explique Dominique Rousseau. Ce serait aussi un recours envisageable face à une loi qu'il souhaiterait absolument empêcher. Mais cette option a des limites : si les Français renouvelaient leur choix, "il serait obligé de s'y soumettre ou de se démettre" en démissionnant, résume le constitutionnaliste. D'autant qu'il est impossible de convoquer des élections à répétition : l'Assemblée ne peut être dissoute qu'une fois par année.
Une victoire de l'opposition aux législatives ne renverrait pas pour autant Emmanuel Macron dans l'ombre. "Il conserverait le pouvoir de la parole et rien ne l'empêcherait de l'utiliser pour dénoncer la politique du gouvernement", explique Dominique Rousseau. Entre 1986 et 1988, François Mitterrand n'avait pas ménagé ses critiques, préparant ainsi sa future réélection.
La voix dissidente de l'Elysée pourrait particulièrement handicaper Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen sur les sujets internationaux, pour lesquels ils ont des visions radicalement différentes de celle du président. "On pourrait imaginer qu'il fasse des conférences de presse très critiques, par exemple si le Premier ministre adoptait une attitude bienveillante à l'égard de Poutine", explique le spécialiste du droit constitutionnel. Si le scénario peu probable d'une cohabitation se concrétisait, elle pourrait bien être la plus houleuse de la Ve République.
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