: Reportage "Grande gueule", défenseur des opprimés ou "trop clivant" : à Montreuil, les électeurs de gauche divisés sur le cas Mélenchon avant les législatives
"Bonjour, c'est Sabrina Ali Benali, candidate pour le Nouveau Front populaire à Montreuil et Bagnolet !" Sourire aux lèvres et tracts à la main, la candidate de l'union de la gauche aux législatives parcourt de long en large le marché des Ruffins, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), mercredi 26 juin. Pourtant, dans cette circonscription où la gauche a recueilli plus de 74% des voix aux élections européennes – un record –, ce ne sont pas les candidats macronistes ou Rassemblement national que l'urgentiste craint le plus.
Dans quatre jours, Sabrina Ali Benali devra affronter Alexis Corbière, député sortant, élu depuis 2017. Baron local de La France insoumise mais critique de Jean-Luc Mélenchon, il n'a pas obtenu l'investiture du Nouveau Front populaire (NFP)... mais affiche sur ses tracts les visages de ses principaux artisans, du socialiste Olivier Faure à l'insoumis François Ruffin en passant par l'écologiste Marine Tondelier. Pour combler son déficit de notoriété, la nouvelle candidate arpente méthodiquement la circonscription depuis deux semaines, flanquée d'une nuée de députés LFI – ce matin-là, Clémence Guetté, Danièle Obono et Antoine Léaument sont venus lui prêter main-forte. En se présentant aux électeurs, elle n'oublie jamais de rappeler qu'elle a "le soutien de Jean-Luc Mélenchon".
"Mélenchon président !"
Dans ce quartier populaire, le nom du chef de file insoumis est porteur. "Je l'adore", assure Fabrice*, agent de sécurité. "Il défend les droits de tout le monde, notamment des diminués. Il a même pleuré une fois en faisant un discours, ça m'est allé droit au cœur." Avant ce matin, il n'avait jamais entendu parler de Sabrina Ali Benali. Il ne connaît pas non plus le nom de son parti, encore moins celui du Nouveau Front populaire. Mais dimanche, il votera pour elle. "C'est une femme accueillante, souriante, gentille." Et puis, elle travaille avec Jean-Luc Mélenchon, qu'il verrait bien Premier ministre.
"Mélenchon, président, Mélenchon président !", tonne aussi Bertah, bras levés en signe de victoire, face aux caméras présentes ce matin-là. Certes, elle "aime bien" le député LFI de la Somme François Ruffin, mais Jean-Luc Mélenchon est son "favori" : "Il a une grande gueule, comme moi", lâche en riant cette infirmière en psychiatrie. Surtout, "il a défendu la Palestine, alors que personne n'en parle", pointe la sexagénaire, native d'Oran, en Algérie.
A côté d'un petit groupe occupé à tracter pour la candidate du NFP, un vendeur de fruits et légumes s'interroge, à propos de Sabrina Ali Benali : "Elle est avec Mélenchon ?" Acquiescements en face. "Votez Sabrina !", tonne-t-il alors, sous les applaudissements des militants. Lui ne pourra pas le faire : il habite Drancy, un peu plus au nord en Seine-Saint-Denis. Mais il choisira également un candidat LFI. "Eux, ils ne sont pas racistes", justifie-t-il, sans en dire plus.
"Corbière, il est aussi avec Mélenchon, non ?", interroge une passante, en attrapant un tract pour la candidate officielle. "Il va aller avec les communistes ou les socialistes !", lui répond Brahim Benramdan, ex-élu municipal d'opposition LFI à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), venu tracter pour l'urgentiste. En réalité, Alexis Corbière n'a pas annoncé son intention de quitter le parti, et se réclame du "Front populaire" sur son matériel de campagne. "Moi, je n'oublie pas la déchéance de nationalité [proposée puis abandonnée par François Hollande] et la loi Travail faite par les socialistes", rappelle néanmoins Brahim Benramdan, tentant de convaincre l'électrice partagée. "Dans les médias, c'est toujours les mêmes qui sont attaqués. (...) Sabrina, c'est une candidate qui nous ressemble."
"J'ai voté pour lui, mais maintenant, il me fait peur"
Pourtant, les noms de la candidate locale et du leader insoumis ne font pas l'unanimité, y compris parmi les électeurs de gauche. "Jean-Luc Mélenchon ? Ah non !", lâche Linda, ouvrière retraitée, bien en peine de savoir pour qui elle votera dimanche. "J'ai voté pour lui à la dernière présidentielle, mais maintenant, il me fait peur. C'est à cause de son attitude, et puis, quand il parle des juifs...", lâche cette immigrée portugaise de 77 ans. Elle aurait aimé voter socialiste, mais, union de la gauche oblige, il n'y aura pas de candidat PS dans la circonscription. Alors, elle se laissera peut-être séduire par la candidate du camp présidentiel… voire celle du Rassemblement national. "Quand même, Jordan Bardella, il présente bien", glisse-t-elle.
Un peu plus loin, Maxime, quadra au sac bien rempli, en a aussi un peu marre du leader insoumis. "Jean-Luc Mélenchon occupe trop d'espace, il a une pastèque comme pas possible", estime ce régisseur, qui reste marqué par une saillie devenue célèbre de l'ex-député : "La République, c'est moi !" Le père de famille s'interroge aussi sur le soutien appuyé de Jean-Luc Mélenchon et de ses proches au peuple palestinien ces derniers mois – une "stratégie de séduction de l'électorat aux ficelles un peu grosses", selon lui. Pourtant, s'il préfère "la simplicité" de François Ruffin à la personnalité du fondateur du Parti de gauche, il n'hésitera pas à mettre un bulletin NFP dans l'urne dimanche. Sans savoir encore lequel.
"Je privilégie des idées à une personne"
Céline, infirmière de 39 ans, rencontrée près d'un autre marché montreuillois, ignore même qu'elle aura le choix entre deux candidats se réclamant du Nouveau Front populaire. Le vainqueur importe peu, estime-t-elle : "Je privilégie un parti et des idées à une personne." Certes, Jean-Luc Mélenchon est "une personnalité controversée" au vu de "la façon dont il s'exprime", mais elle "passe outre".
"L'important, c'est que le RN ne gagne pas."
Céline, habitante de Montreuil (Seine-Saint-Denis)à franceinfo
Si la gauche devait défier les prédictions des sondages et s'imposer à l'issue du second tour, Céline ne serait en revanche "pas trop chaude" pour voir l'insoumis poser ses valises à Matignon. "Il est un peu trop foufou."
Le temps n'est plus aux désaccords, mais à l'union entre les différentes nuances de gauche, plaide pour sa part Pascal, ancien militant communiste, puis insoumis, également venu au marché des Ruffins tracter pour la candidate du NFP. "Jean-Luc Mélenchon ne sera pas Premier ministre, il l'a dit ! Alors, s'il faut en plus qu'il se taise, comme certains le lui demandent...", gronde cet ancien cadre dans le secteur de la presse. Tout en jouant la partition de l'unité, plusieurs responsables de gauche appellent en effet à ce que Jean-Luc Mélenchon ne soit pas le candidat du NFP pour Matignon en cas de victoire.
L'ancien député LFI "est peut-être mal compris" car il se met en "colère", avance Faso, 65 ans. Ce musicien a lui aussi été sensible au discours du parti sur la guerre à Gaza. "Jean-Luc Mélenchon a dénoncé une discrimination sociale, raciale, ségrégationniste." "C'est un mec bien", estime aussi Brigitte, médecin retraitée assise à quelques pas de là. "Mais il n'est pas toujours fiable. Je ne sais pas si dire que l'antisémitisme est 'résiduel' en France fait de lui un antisémite. Mais pour un politique, ça n'est pas habile, juge-t-elle. Ça a déclenché tout ce qu'il fallait pour détruire le mouvement" d'union à gauche. "Il a les compétences pour être Premier ministre, ajoute-t-elle, mais il est trop clivant." Qui voit-elle à sa place ? L'ancien secrétaire général de la CFDT "Laurent Berger, peut-être... Mais il n'ira pas."
* Le prénom de la personne interrogée a été modifié à sa demande.
Liste des candidats dans la 7e circonscription de Seine-Saint-Denis :
M. Yannick DUTERTE (Extrême gauche)
M. Alexis CORBIÈRE (Divers gauche)
M. Sebastien ATLANI (Divers)
Mme Aurélie JOCHAUD (Extrême gauche)
Mme Françoise TROVA (Rassemblement national)
Mme Pauline BRETEAU (Ensemble)
M. Eric VERHAEGHE (Divers centre)
M. Antoine TOCHE (Divers droite)
Mme Elsa CAUDRON (Extrême gauche)
Mme Sabrina ALI-BENALI (Union de la gauche)
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