Résultats des législatives 2024 : les ambiguïtés du camp présidentiel face à la question d'un front républicain au second tour

Les cadres de la majorité sortante se divisent sur les désistements et les consignes de vote, alors qu'Emmanuel Macron a exhorté à "un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour".
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le Premier ministre, Gabriel Attal, prononce une allocution à l'Hôtel de Matignon, le 30 juin 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Le message tombe à 20 heures pile, dimanche 30 juin, au moment où les résultats des élections législatives sont dévoilés. Dans une déclaration écrite, Emmanuel Macron appelle "à un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour (...) face au Rassemblement national". Et pour cause : le RN et ses alliés ciottistes sont arrivés en tête avec 33,15% des voix, selon les chiffres quasi définitifs du ministère de l'Intérieur. Le camp présidentiel, regroupé sous la bannière Ensemble, n'arrive que troisième (20%), derrière le Nouveau Front populaire (NFP, 28%).

Si le chef de l'Etat incite clairement à faire barrage au RN, ses consignes de vote pour le second tour demeurent floues. Que doit faire un candidat de la majorité sortante en cas de triangulaire avec le RN et le NFP ? Quel bulletin les électeurs d'Ensemble doivent-ils glisser dans l'urne quand leur candidat a été éliminé dès le premier tour ? Le président, qui a régulièrement exclu La France insoumise (LFI) de sa définition de "l'arc républicain", ne donne pas de réponse claire. Alors, dans le camp présidentiel, chacun interprète ses propos à sa manière.

Bayrou et Braun-Pivet défendent le cas par cas

Parmi les cadres de la majorité, le premier à réagir est François Bayrou, le président du MoDem. "Chaque fois que nous sommes troisièmes et qu'il n'y a pas de chance de succès, il faut qu'on regarde circonscription par circonscription", déclare l'ex-ministre de la Justice, dimanche soir, sur TF1. "Je ne regarde pas de la même manière les candidats qui, sous l'étiquette LFI ou dans le groupe LFI, ont eu des attitudes profondément choquantes et profondément antirépublicaines", insiste-t-il.

Même son de cloche pour la présidente sortante de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. "J'appelle à voter à chaque fois pour le candidat le plus républicain, celui qui partage nos valeurs", déclare-t-elle, sur TF1. "Il y en a de très nombreux au sein de l'alliance de la gauche, mais ils ne sont pas tous sur cette ligne-là", estime cette figure du parti Renaissance, qui assume de faire le tri parmi les candidats du Nouveau Front populaire.

Une ligne ni-RN ni-LFI pour Philippe et Bergé

Quelques minutes plus tard, la consigne se durcit avec l'ancien Premier ministre, Edouard Philippe. "Aucune voix" ne doit "se porter sur les candidats du Rassemblement national, ni sur ceux de La France insoumise", martèle le fondateur et président du parti Horizons.

"En cohérence avec cette position, je proposerai aux candidats Horizons arrivés troisièmes (...) de se retirer au profit des candidats des partis avec lesquels nous partageons les mêmes exigences démocratiques et républicaines."

Edouard Philippe, président d'Horizons

dans un discours

Membre de l'aile droite du gouvernement, Aurore Bergé s'inscrit dans ses pas. "Je n'appellerai jamais à voter pour La France insoumise", lâche la ministre déléguée chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, sur France 2, évoquant une "position personnelle".

Attal véhément contre le RN, silencieux sur LFI

Lorsqu'il prend finalement la parole, peu avant 22 heures, Gabriel Attal choisit de concentrer ses attaques sur le RN. Sur le perron de Matignon, le chef du gouvernement évoque un seul "objectif", "clair" : "empêcher le Rassemblement national d'avoir une majorité absolue au second tour." "Mon histoire personnelle, tout autant que mon parcours politique, nous conduisent, aujourd'hui et devant vous, à me dresser de toutes mes forces contre le projet funeste de l'extrême droite", lance-t-il.

"Pas une voix ne doit aller au Rassemblement national dans de pareilles circonstances. La France mérite que l'on n'hésite pas. Jamais."

Gabriel Attal, Premier ministre

dans une allocution

Concrètement, le Premier ministre appelle au "désistement de nos candidats dont le maintien en troisième position aurait fait élire un député Rassemblement national face à un autre candidat qui défend, comme nous, les valeurs de la République". Mais inclut-il les candidats "insoumis" parmi les défenseurs des valeurs républicaines ? Mystère.

Belloubet et Lescure prêts à glisser un bulletin LFI

Face au RN, "il n'y a pas de difficulté" à voter pour un candidat LFI membre du Nouveau Front populaire, "sauf dans des situations très particulières", embraye la ministre de l'Education nationale, Nicole Belloubet, sur franceinfo. "De manière extrêmement majoritaire, sauf dans quelques exceptions, clairement, il faut faire barrage au Rassemblement national", martèle-t-elle.

Evoquant le "vrai danger" d'"une majorité absolue" du RN, le ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Energie, Roland Lescure, appelle, lui aussi, au désistement de "tous [les] collègues" de la majorité arrivés en troisième position et à voter "pour le candidat alternatif le mieux placé au premier tour"

L'ancienne ministre de la Culture Rima Abdul Malak se fend également d'un message sur X pour inciter au "désistement des candidats arrivés en troisième position quand le RN est en tête", unique "chance", selon elle, "de sauver notre démocratie". "LFI n'est pas que Mélenchon", souligne-t-elle.

Des premiers désistements de candidats Ensemble

Dans la soirée, la candidate Ensemble arrivée troisième dans la première circonscription de la Somme annonce se désister "face au risque du Rassemblement national". "Je fais une différence entre des adversaires politiques et les ennemis de la République", déclare Albane Branlant, qui a obtenu 22,68% des voix, derrière la candidate RN et le député NFP sortant François Ruffin.

Peu après, la secrétaire d'Etat à la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, elle aussi troisième dans la première circonscription de Marseille, suit le même chemin. "Ce soir, le choix a été clair : 45% pour le Rassemblement national, 27% pour le Nouveau Front populaire. Evidemment, je me retire et, dans ces conditions, je le dis de façon très claire, dans ma circonscription : 'pas une voix pour le Rassemblement national'", déclare-t-elle. Dans la même configuration, la ministre des Outre-mer, Marie Guévenoux, candidate en Essonne, se retire face à l'écologiste Julie Ozenne et au candidat RN Paul-Henri Merrien.

Une réunion à l'Elysée lundi midi

Dans le camp présidentiel, la nuit n'aide pas à lever les ambiguïtés. Lundi matin, bien qu'il se refuse à mettre un signe égal entre LFI et le RN, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, appelle à voter pour un "camp social-démocrate" dont il exclut la formation de Jean-Luc Mélenchon.

"Je combats le RN, mais je ne vote pas pour La France insoumise, car LFI a pris des décisions qui sont contre la nation française, parce que (...) c'est le communautarisme, parce que (...) c'est l'antisémitisme, parce que (...) c'est la violence."

Bruno Le Maire, ministre de l'Economie

sur France Inter

Face à cette "cacophonie" dénoncée par la gauche, un conseiller de l'exécutif, interrogé par franceinfo, tente de définir une position unique : "La ligne, c'est éviter le RN. Rester quand on peut gagner, se retirer quand on ne peut pas, sauf absence de candidat compatible avec valeurs républicaines." Une nouvelle clarification d'Emmanuel Macron pourrait également intervenir : pour évoquer la question centrale des désistements, le chef de l'Etat a convoqué ses ministres à l'Elysée à la mi-journée.

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